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Luis Martinez : « La France regarde avec espoir et inquiétude la situation algérienne »

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Le politiste spécialiste du monde maghrébin et directeur de recherche au CERI-Sciences Po Paris l, Luis Martinez, estime que « la France regarde avec espoir et inquiétude la situation algérienne. »

« La France regarde avec espoir et inquiétude la situation algérienne. L’émergence du hirak est une belle promesse pour l’avenir de l’Algérie : un mouvement citoyen de masse, pacifique, qui aspire à la démocratie réconforte tous ceux qui croient en l’avenir de ce pays. En même temps, l’échec d’une transition politique ou de changements politiques peuvent, dans les pires des cas, déboucher sur des dynamiques de violences », analyse-t-il la position diplomatique de la France sur la situation en Algérie.

« Jusqu’à quand le hirak restera-t-il pacifique si ses revendications restent sans réponses ? Jusqu’à quand l’armée tolérera-t-elle la désobéissance civile ? L’après-Bouteflika ouvre de nombreuses incertitudes qui amènent la France à s’interdire tout propos public sur la situation en Algérie », explique Luis Martinez dans un entretien accordés au journal El Watan de ce lundi 21 octobre 2019.

« Le hirak a été très utile à l’institution militaire »

Pour Luis Martinez, le hirak a été très utile à l’institution militaire, estimant que « grâce à ce mouvement, l’armée a pu démanteler tous les réseaux d’influence qui avaient été mis en place sous la présidence de Bouteflika. »

« Donc, dans un premier temps, on pouvait observer une convergence d’intérêts entre l’armée et le hirak : les deux voulaient la fin du ‘système Bouteflika’. Toutefois, l’armée sait qu’elle aurait dû faire cela en 2014 pour le quatrième mandat, mais l’absence de mobilisation citoyenne de masse contre le Président ne lui a pas permis d’agir. En 2019, c’est un alignement des planètes : l’armée saisit l’opportunité que lui offre le hirak. Mais la divergence s’installe lorsque l’armée considère que ses revendications sont satisfaites (démission du Président, emprisonnement des membres de la «bande», etc.) alors que le mouvement, lui, ambitionne de déconstruire tout le système, dont l’armée fait partie, afin de rebâtir des institutions démocratiques », analyse-t-il.

Il rappelle que depuis l’indépendance, le pouvoir politique est soumis au pouvoir militaire. « Toutefois, l’armée a toujours eu besoin d’un partenaire politique pour gérer l’Etat et occuper l’espace politique. Le FLN a rempli ce rôle jusqu’aux émeutes d’Octobre 1988. Sous la présidence de Bouteflika, la stabilité a reposé sur cette division du travail : le Président a reconstruit une clientèle politique autour de lui, pendant que l’armée multipliait par cinq le budget de la Défense ! Lorsque émerge le hirak, l’armée comprend que son partenaire politique était fini, comme le FLN avant lui et qu’il fallait donc trouver un nouveau partenaire… », précise ce spécialiste du Maghreb.

Il estime que « le nouveau partenaire pourrait être issu des partis démocratiques ou du hirak », ajoutant que « l’armée s’inquiète lorsqu’elle entend tous les vendredis : « Ils doivent tous dégager », car, selon lui « elle fait partie du système, elle en est le cœur même. »

Pourquoi l’armée a-t-elle peur de laisser le pouvoir aux politiques ?

Luis Martinez refuse de comparer l’Algérie à la Tunisie, mais, préfère la comparer au Maroc. « Si vous voulez comparer l’Algérie, il ne faut surtout pas le faire avec la Tunisie, je le redis, l’armée tunisienne n’a rien à voir avec l’armée algérienne. Il faut comparer l’Algérie avec le Maroc par exemple, où la monarchie, comme l’armée algérienne, veut contrôler les partenaires politiques. »

« Pourquoi l’armée a-t-elle peur de laisser le pouvoir aux politiques ? Dans les transitions politiques en Amérique latine, les armées, au Chili, en Argentine, au Brésil, ont négocié des pactes qui sécurisaient les armées (pas de procès, maintien des avantages et privilèges, etc.). Ces compromis ont en effet permis de créer, si ce n’est un climat de confiance entre l’armée et les acteurs politiques au moins les conditions pour une ouverture du système politique », explique-t-il.

« Le hirak a intérêt à travailler dans la durée »

Concernant l’élection présidentielle que tient à organiser l’armée dans les « plus brefs délais », Luis Martinez estime que « les militaires veulent, à tout prix, une élection présidentielle dans les brefs délais car, une fois l’élection du Président est sécurisée sur le plan institutionnel, il sera plus facile à l’armée de faire des offres politiques au hirak (…) ».

Pour lui, « le report du scrutin est possible si l’armée considère que le pays est paralysé par le hirak », estimant que « la mi-octobre, nous n’en sommes pas là, il reste encore beaucoup de marge. »

« Il me semble que l’armée comme le hirak doivent sortir de la logique de confrontation. Si l’armée cède, elle ne sait pas jusqu’où cela pourra l’entraîner ; le hirak a intérêt à travailler dans la durée, à faire ce qu’il fait très bien : occuper l’espace public pacifiquement ; recréer du lien social, familial ; restaurer le sentiment de confiance dans les acteurs de la société civile ; créer des passerelles avec les partis politiques. En somme, démontrer, particulièrement à l’armée, sa capacité à gérer demain, sans rancune ni revanche, les institutions de l’Etat », conclut Luis Martinez.

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