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Mourad El Besseghi, expert financier : « La baisse du dinar va continuer tant que la balance des paiements est déficitaire »

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Dans cet entretien, l’expert financier Mourad El Besseghi s’exprime sur différents sujets d’actualité y compris les mesures principales de la loi de finances 2021. Il donne son avis aussi sur d’autres questions comme la dévaluation du dinar, et le marché noir des devises. 

Algérie-Eco : La loi de Finances de 2021 est entrée en vigueur. Que pensez-vous des principales mesures de cette dernière?

M. El Besseghi : La loi de finances 2021 vient dans un contexte particulier caractérisé par la pandémie de la COVID 19 qui a impacté lourdement l’économie du pays en 2020 à l’instar de tous les pays du monde, avec son lot de conséquences sur le double plan social et économique. 

Cette loi a introduit une série de mesures qui convergent toutes, vers la recherche effrénée de la rationalisation des ressources, l’élargissement de l’assiette fiscale, avec une volonté d’améliorer le climat des affaires, de promouvoir les exportations et de mettre les moyens pour la relance économique.

Au titre de l’encouragement de l’investissement au profit des jeunes entrepreneurs et des exportateurs, la LF 2021 a introduit plusieurs mesures fiscales, entre autres, l’exonération des entreprises disposant du label « start-up » de la taxe sur l’activité professionnelle (TAP) et de l’impôt sur les bénéfices des sociétés (IBS) ou de l’impôt sur le revenu global pour une durée de 4 années, à compter de la date d’obtention de leur label, avec la possibilité de prolonger cet avantage pour une période supplémentaire de deux ans en cas de renouvellement du label « start-up ». Il en est de même pour les entreprises ayant obtenu le label « incubateur » avec toutefois une exonération sur deux ans seulement à compter de l’obtention du label incubateur.

Les équipements acquis par ces entreprises, entrant directement dans la réalisation de leurs projets d’investissement, seront exonérés également de la TVA et soumis à 5% des droits de douane.

Après avoir mis à leur disposition un fonds spécial pour le financement des projets de ces jeunes entrepreneurs, il était logiquement attendu en accompagnement des mesures fiscales et parafiscales incitatives afin de leur donner toutes les chances de succès et de réussite.  

Une autre mesure qui rétablit l’équité fiscale dans les opérations d’exportation est introduite ; Il s’agit de l’alignement des personnes morales et des personnes physiques en termes d’avantagesfiscal, puisque les exportateurs « personnes physiques », bénéficient désormais d’une exonération permanente en termes d’IRG sur les opérations d’exportation de biens et services, ce qui n’était pas le cas auparavant.

La nouvelle Loi de finances à exonérer les bijoux artisanaux en argent, de la TVA à l’exportation, en vue de permettre la promotion de leur exportation et la préservation de ce patrimoine culturel. 

Il est prévu également la suppression de la taxe annuelle sur les véhicules automobiles et engins roulants due à l’occasion de la souscription du contrat d’assurance. Cette taxe introduite à l’occasion de la précédente loi de finances n’a pas produit l’effet escompté, d’où sa suppression. 

Pour encourager la commercialisation des carburants propres, il a été retenu d’accorder une réfraction de 75% en matière de TAP sur le montant des opérations de vente au détail de l’essence sans plomb, gasoil, GPL/C et GNC, tout comme l’essence super, normale.

Comme mesure incitative, les industries de recyclage bénéficient de l’application du taux réduit de TVA soit 7% sur les déchets valorisés d’aluminium, de bois, de verre, de carton et de plastique. 

Au titre de l’élargissement de l’assiette fiscale et la mobilisation des ressources, il est retenu dans la loi de finances 2021, la limitation de l’exonération de l’application du taux de 5% sur la plus-value au lieu de 15% libératoire de l’IRG des plus-values de cession des actions et parts sociales, en cas de leur réinvestissement en valeurs mobilières. Cette réduction de taux va inciter les redevables concernés à déclarer davantage, ce qui est de nature à engendrer spontanément une contribution plus élevée des redevables.

Les plus-values de cession seront frappées d’un abattement de 5% par an à compter de la troisième année de la date d’entrée en possession du bien cédé dans la limite de 50%.

Les revenus fonciers provenant de la location des locaux à usage commercial ou professionnel, seront soumis à un taux d’IRG de 15% alors que les locations à usage agricole seront soumises à un taux d’IRG de 10%. 

Dans le chapitre traitements et salaires, l’indemnité liée aux conditions particulières de résidence et d’isolement serait exonérée à hauteur de 70% seulement.

Il a été retenu de soumettre les bières à une TIC (taxe intérieure sur la consommation) qui est actuellement de 3.971 da/HL pour la fixer à un niveau qui est fonction du degré alcoolique et qui oscille entre 4.368 DA/HL à 5.560 DA/HL. Dans le même chapitre, la TIC sera augmentée de 10 à 15%  pour les tabacs alors que les produits chimiques auro-cyanure seront soumis à une TIC de 60%.

Les droits de timbre sur différents documents et papiers administratifs sont également revus à la hausse y compris un droit sur les véhicules de tourisme et camions utilitaires à l’occasion de chaque sortie du territoire national. Cette taxe varie entre 500 DA et 12.000 DA selon la nature et la puissance du véhicule.

Pour ce qui est de la taxation à la TVA des opérations d’importation des graines de soja destinées au raffinage des huiles de table, il est fait obligation aux importateurs et aux transformateurs du sucre roux et de l’huile brute de soja, d’investir dans la production de matières premières dans un délai de 18 mois à compter du 1er janvier 2021, à défaut ils perdent le bénéfice des exonérations fiscales à l’importation. 

Au titre de la simplification des procédures et le renforcement des garanties des contribuables, il y a également une série de mesures prises qui concerne les procédures fiscales et qui visent à les simplifier. Dans ce cadre, il y a lieu de citer le rattachement des subventions d’équipement accordées aux entreprises par l’Etat ou les collectivités locales à leur résultat suivant la durée d’amortissement lorsque l’équipement considéré est amortissable et 5 ans par fractions égales pour les immobilisations non amortissables.

Il est également décidé du soutien aux entreprises en difficulté avec une extension des échéanciers de paiement à soixante mois maximum au lieu de 36 mois avec un versement minimum de 10% du montant de la dette fiscale.

Au titre du renforcement de l’inclusion fiscale, il est institué une obligation pour les contribuables suivis au régime du réel et relevant des services dotés du système « Djiballatic », de souscrire au plus tard le 20 mai de chaque année, par voie de télé déclaration, un état récapitulatif (ERA), reprenant les données comptables figurant dans la déclaration annuelle des résultats et des états annexes. La non-souscription de cette déclaration engendre une amende assez lourde qui peut atteindre 1 million de dinars. 

Dans le même cadre, il est ré-institué l’état fournisseur à joindre à la déclaration G50 y compris sur support informatique, pour vérifier la déductibilité de la TVA.

Des dispositions douanières et domaniales sont contenues dans cette loi et visent la protection et la sauvegarde de l’économie et la protection du patrimoine de l’Etat.     

Quel commentaire faites-vous aussi sur l’inéluctable chute du dinar?

En dépit des annonces rassurantes qui ont été faites sur la stabilité du dinar dans le courant de l’année 2020, force est de constater que la valeur du dinar ne cesse de baisser par rapport au dollar ou l’euro. Mais c’est surtout la parité par rapport au dollar que les observateurs sont braqués, du fait que cette monnaie est utilisée dans les transactions à l’export des hydrocarbures et dérivés qui constituent l’essentiel des ressources en devises.  La valeur du dinar a baissé de plus de la moitié depuis 2014. La corrélation avec la chute des réserves de change est certaine, et on constate que la valeur du dinar a dévissé au fur et à mesure que les réserves de change ont baissé. Cette baisse tendancielle va continuer tant la balance des paiements est déficitaire et que les ressources sont nettement inférieures aux emplois.

Selon certains observateurs, ces dévaluations sont destinées principalement à disposer de plus de liquidités pour faire face aux dépenses incompressibles (salaires, transfert sociaux, etc…). Si  l’essentiel de nos recettes sont libellés en dollars, toute baisse du dinar par rapport au dollar se traduirait après la conversion par un volume en dinar plus important. Une baisse d’un dinar peut procurer une somme en dinar considérable dans les ressources.

Le cadrage macroéconomique de la loi de finances 2021, annonce une forte baisse du dinar en termes nominaux : 11,45% en 2021, ce qui est important, 4,9% en 2022 et 4,8% en 2023. En agrégeant les taux d’inflation prévisionnels 4,5 % en moyenne  par an sur toute la trajectoire, la baisse du dinar est importante. A noter que le dinar a chuté en 2021 de 30% de sa valeur. Cette descente de la monnaie locale annoncée sur la trajectoire de trois ans (2021 2023) est un très mauvais signal pour les investisseurs potentiels locaux et étrangers.     

Le ministre des finances a annoncé dernièrement une disparition prochaine du marché noir des devises, est-ce réalisable à votre avis?

Le FMI n’a pas cessé de recommander aux autorités monétaires Algériennes de faire baisser la valeur du dinar pour juguler le déficit budgétaire qui augmente chaque année et pour préserver les réserves de change. L’objectif également est de mettre fin à ce double marché de la devise. Le marché officiel qui repose sur les taux de change flottant qui est plutôt administratif et le véritable marché qui existe au vu et au su de tous mais qui paradoxalement fonctionne dans l’opacité et l’informel avec des règles opaques. 

Pour aller vers la disparition de ce marché, il faut que la parité dinar /dollar soit de 1 dollar pour 250 dinars, selon certains observateurs. Ce qui n’est sans conséquence sur l’investissement, la consommation, le chômage et surtout le pouvoir d’achat. Nous gardons en mémoire la chute brutale de la monnaie nationale dans le début des années quatre-vingt-dix, et l’impact négatif énorme sur le plan social et économique. Les taux d’intérêts avaient frôlé les 30%. Les dégâts ont été immenses sur l’investissement local et étranger.

En réalité, la chute du dinar ne peut être absorbée et contenue que si en parallèle il existe une véritable stratégie de croissance de l’économie. Avec, la situation actuelle de l’économie ou des secteurs d’activité entiers sont littéralement sinistrés, cette voie n’est pas évidente à prendre. Par ailleurs, il est attendu pour la trajectoire 2021-2023, un taux de croissance moyen de 4% au même niveau pratiquement que le taux d’inflation projeté et quasiment de même ampleur (5%) que la chute prévue du dinar, ce qui ne concourt pas à atténuer les effets de la dégringolade de la monnaie locale. 

Même si la chute du dinar est techniquement inéluctable, elle doit être gérée, opérée graduellement afin que l’impact sur le plan social, déjà mis à mal, ne rajoute pas une autre couche de paupérisation et de prolifération des zones d’ombres.     

Selon le Directeur général du Budget au ministère des Finances, le retard observé dans la mise en place des crédits diffère la chaine et le processus de redistribution des crédits à tous les niveaux. Qu’en pensez-vous?

La bureaucratie qui gangrène l’administration des finances est un phénomène contre lequel il n’est pas aisé de se dresser.  Il est vrai que l’état de déliquescence de la gouvernance institutionnelle et les dérives graves que le pays a connu récemment, ne mettent pas à l’aise les fonctionnaires chargés de la gestion et de l’exécution des crédits alloués dans le cadre du budget de l’Etat. Leur réaction naturelle pour se sécuriser est de mettre en place des verrous administratifs supplémentaires, au demeurant inutiles, mais qui renforcent la bureaucratie étouffante et bloquante. Les crédits mettent par moment un temps inimaginable pour arriver à leur destinataire à l’ère du numérique, ce qui donne peu de marge de manœuvre et qui réduit les délais d’exécution avec des répercussions sur les couts des projets.

La bureaucratie est un véritable fléau, un mal qui ronge l’économie. Il faut un véritable plan d’ensemble de lutte, qui pourrait venir à bout de cette gangrène. La généralisation du numérique est, à coup sûr, un des moyens et la voie royale à emprunter pour lutter contre ce mal.   

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