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Questions autour du projet de la nouvelle constitution

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Lorsqu’elle sera adoptée par le parlement et par voie référendaire, ce qui ne suscitera sans doute aucune difficulté en raison de la majorité parlementaire acquise au pouvoir, mais aussi et surtout, eu égard de la loi électorale qui permet tous les abus, l’Algérie comptera bientôt une nouvelle Constitution, la neuvième du genre depuis son indépendance, il y a exactement soixante ans.

Soit environ une Constitution tous les sept ans. Sans doute un record mondial en la matière !! Chacun des présidents qui se sont succédé à la tête du pays, s’est en effet taillé une constitution sur mesure. Certains comme Chadli Bendjedid et Abdelaziz Bouteflika s’en étaient offert deux chacun et ce dernier s’était même fixé pour objectif d’en élaborer une troisième, avant que le Hirak et l’état major militaire, le débarque du poste qu’il occupait depuis une vingtaine d’années.

Du projet de Constitution qu’Abdelmadjid Tebboune, successeur d’Abdelaziz Bouteflika vient de soumettre à débat à quelques destinataires agréés par ses services, on retiendra, entre autres observations de moindre importance :

-Son élaboration en vase clos par des experts qui s’étaient déjà distingués par la rédaction de la constitution de 2016 taillée sur mesure pour Abdelaziz Bouteflika, qui avait pris le soin de s’octroyer tous les pouvoirs, à l’exception de l’institution militaire qui gardait une indépendance de fait. Le peuple auquel cette constitution était censée s’adresser avait totalement été écarté de la discussion, le parlement s’étant chargé de l’approuver à l’occasion d’une séance extraordinaire convoquée à cet effet par l’ex président.

-La période de pandémie de Coronavirus et de confinement choisie pour élaborer et soumettre à débat ce « projet » de constitution qui n’était pas si urgent. L’intérêt pour ce genre de débat qui requiert attention et disponibilité intellectuelle n’y est pas, ce qui augure de réactions bâclées et de partis pris flagrants de la part des soutiens au pouvoir en place.

-L’absence de médias indépendants et d’élites crédibles en mesures d’émettre des critiques constructives à même de donner de la consistance au projet de constitution. Les médias lourds publics et privés sont tous sous influence de l’exécutif et de ce fait, leurs marges de critiques sont réduites à néant.

-La mise en veilleuse du Hirak qui aurait pu apporter une sérieuse contribution, voire même, une légitimation de fait au contenu de la nouvelle constitution  qui, ne l’oublions pas, était censée avoir été conçue suite aux grandes manifestations populaires qui réclamaient l’avènement d’une nouvelle république. Mis en veilleuse en raison du confinement sanitaire qu’il s’est lui-même imposé, le Hirak fait l’objet d’une répression qui a déjà affecté bon nombre de ses animateurs, ce qui a instauré méfiance à l’égard de toutes initiatives venant du pouvoir.

Difficile, sinon impossible, dans ce cas, d’établir un dialogue serein entre la population qui ne rêve que d’une reprise rapide et forte du hirak et l’exécutif qui, tout en déclarant vouloir instaurer une nouvelle république, emprisonne à tour de bras des acteurs du hirak. C’est donc à un dialogue de sourds auquel on assiste actuellement, les destinataires du projet de constitution étant sournoisement chargés d’apporter l’illusion d’un débat serein auquel aurait prétendument pris part une large part de la population algérienne.

Que dire du contenu du projet de nouvelle constitution ? L’idée étant partie de l’excès de pouvoir qu’avait illégalement accaparé l’ex président Bouteflika, on s’attendait à ce que les rédacteurs du projet commencent par rétablir l’équilibre des pouvoirs confisqués. Il n’en est rien ! Aucun changement de fond n’a été apporté à la « monarchisation » de l’exercice du pouvoir héritée de Bouteflika.

Ce dernier nous a légué un régime hyper-présidentiel et la nouvelle constitution l’a reconduit pratiquement à l’identique. Le pouvoir exécutif détenu par le président de la république qui n’est soumis à aucun contrôle, continuera encore à dominer le législatif et la justice à la faveur de cette neuvième constitution. Il continuera, comme précédemment, à désigner les présidents de toutes les grandes institutions de surveillance et de contrôle (Cour constitutionnelle, Cour suprême, Cour des comptes, Conseil d’Etat, Conseil de l’Energie, Conseil de Sécurité, Gouverner de la Banque Centrale, ainsi que toutes les instances de régulation).

Les premiers responsables de ces institutions sont nommés par le président de la république qui est le seul dirigeant habilité à leur confier d’éventuelles missions de contrôle destinées à rétablir la légalité des décisions prises par la haute hiérarchie du pouvoir exécutif.

On attendait également que le chef du gouvernement soit mécaniquement issu du parti vainqueur des élections législatives, comme cela se passe dans les véritables démocraties. Il n’en est rien, là aussi. C’est toujours le président de la république qui choisira son chef de gouvernement qui n’aura en réalité aucun poids face aux députés et qui sera, de surcroît, diminué par son absence totale d’autorités envers les walis et chefs de daïra, nommés par le président de la république. La perte du privilège de légiférer par ordonnance compliquera encore davantage le travail du chef de gouvernement, qui sera livré poings et pieds liés aux députés et sénateurs qui, bien souvent, recevront comme ils en avaient l’habitude, leurs ordres de chapelles qui lui échappent totalement et qui pourraient même,  lui être hostiles.

Très peu de choses changeront également du coté de la Justice qui reste dépendante du pouvoir exécutif, ne serait-ce que du fait que le Chef de l’Etat continuera comme par le passé, à nommer lui-même les juges et à présider le puissant Conseil Supérieur de la Magistrature. Contrairement à ce qu’on nous avait fait croire, la séparation des pouvoirs n’est donc pas un sujet de préoccupation des rédacteurs de la nouvelle constitution.

Sur le plan des libertés publiques, beaucoup de sujets sont certes traités avec de bonnes intentions, comme par exemple le recours à une simple déclaration pour créer des journaux ou des associations, mais sur le terrain ces bonnes intentions sont vite contredites par le nouveau code pénal particulièrement liberticide, les détentions arbitraires de journalistes et autres activistes du hirak, à l’origine du climat anxiogène qui prévaut dans le pays.

Un climat en totale contradiction avec les velléités d’amélioration que promet le pouvoir à la faveur de la nouvelle constitution. Toutes les personnes que nous avons interrogées étaient unanimes à dire, qu’ « en Algérie le problème ne réside pas dans les lois, il y en a suffisamment et, souvent même, de bonnes lois mais dans la capacité à les faire appliquer sur le terrain ». « La constitution de 2016 ajoutent certains de nos interlocuteurs, est globalement une bonne constitution, mais elle est, à certains égards non appliquée, voire violées par ceux la même qui étaient censés lui obéir et la protéger ».

Nos interlocuteurs n’ont effectivement pas tort, tant les exemples de violations de la Constitution n’ont pas manqué depuis que l’Algérie est indépendante et c’est lorsque ces violations sont trop voyantes, qu’on se dépêche de procéder à des modifications qui agréent l’exécutif.

A signaler cette innovation inattendue introduite, pour on ne sait quelle raison précise, dans le projet de constitution. Il s’agit de la possibilité désormais offerte à l’armée algérienne, d’effectuer des missions de diverses natures, y compris guerrières, hors de nos frontières.

Les constitutions précédentes ne leur en octroyaient pas ce droit, même si l’Histoire nous indique que nos militaires ont été physiquement présents dans certains théâtres de guerre (guerre des six jours au moyen orient, participation à des missions de paix sous l’égide de l’ONU etc.). Pourquoi l’avoir expressément prévue dans le cadre de la nouvelle constitution ? Sans doute en raison de nouvelles donnes géostratégiques qui requièrent des actions offensives plutôt que défensives et sous réserve de vérifications, le danger libyen pourrait bien être à l’origine de cette disposition qui donne, pour des raisons d’efficacité militaire, le droit à l’armée algérienne de poursuivre l’agresseur jusqu’à l’intérieur de son territoire.

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