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Près de Tunis, huit ans après la révolution, « on a la liberté mais pas la dignité »

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« Depuis la révolution, on a la liberté, mais pas la dignité » : Sofiene Jbeli, jeune informaticien au chômage, ne regrette pas le soulèvement qui mit fin à la dictature en Tunisie. Mais huit ans plus tard, l’amertume éteint progressivement l’espoir.

A Douar Hicher, dans la banlieue populaire de Tunis où réside Sofiene, des jeunes scouts, danseurs et humoristes en herbe préparent le spectacle marquant le huitième anniversaire de la révolution qui chassa Zine el Abidine Ben Ali du pouvoir le 14 janvier 2011. Ils répètent dans la Maison des associations, l’un des quatre seuls lieux proposant des activités à la jeunesse de cette ville de 100.000 habitants.

Si la Tunisie est le seul pays à poursuivre sur la voie de la démocratisation politique après le Printemps arabe, le pouvoir économique reste encore concentré dans les mains d’une élite et les habitants des zones périphériques se sentent exclus et abandonnés. « Si le système ne change pas en 2019 (avec les élections présidentielle et législatives, NDLR), tout cela n’aura servi à rien », lance Sofiène, qui a travaillé comme peintre ou vendeur de livres à la sauvette faute d’être embauché dans sa branche, l’informatique. « La révolution a été faite avec trois slogans, +travail, dignité, liberté+, mais les deux premiers n’ont pas été réalisés », reconnaît la sociologue Olfa Lamloum, directrice de l’ONG International Alert en Tunisie qui travaille dans les zones les plus marginalisées du pays.

Quelques avancées ont été enregistrées, note-t-elle. L’introduction d’un quota obligatoire de jeunes de moins de 36 ans parmi les candidats aux municipales leur a ainsi « permis d’entrer en nombre dans les conseils municipaux » l’année dernière.

Mais, « rien n’a été fait pour améliorer la vie » quotidienne des jeunes dont la situation sociale a subi « une réelle dégradation », tempère Mme Lamloum.

La reprise de la croissance ne bénéficie guère aux habitants des banlieues pauvres et des villes de l’intérieur. Le chômage y est deux à trois fois plus élevé que les 15,5% enregistrés nationalement, notamment chez les jeunes diplômés.

Au-delà des difficultés économiques, Sofiene pointe du doigt nombre d’humiliations et restrictions étouffant son quotidien : attitude méprisante de la police, rendez-vous médicaux impossibles à obtenir sans « bakchich », nécessité d’avoir une autorisation parentale pour voyager jusqu’à ses 35 ans, comme de nombreux jeunes considérés « à risque » depuis une série d’attentats en 2015. Amnesty International a dénoncé ces restrictions de déplacement « arbitraires » et « abusives ».

Sofiene déplore aussi que les transports en commun dont dépendent les banlieusards soient « tellement sales et anarchiques qu’on s’habille comme des clochards pour les prendre ! » « On a fait cette révolution pour devenir des citoyens, mais finalement je ne suis citoyen que dans la liberté d’expression », renchérit Hamza Dhifali, lycéen responsable d’un groupe de breakdance.

« Maintenant, nous pouvons parler et c’est très bien, mais personne ne nous écoute. A Douar Hicher, l’Etat n’est là que dans les commissariats », déplore-t-il.

Les sketches écrits par les jeunes de la Maison des associations de Douar Hicher parlent d’idéaux trahis, d’émigration clandestine, d’immolation.

La « révolution de la jeunesse » célébrée lundi a pourtant été lancée par de jeunes blogueurs et un marchand ambulant de 26 ans dont l’immolation avait déclenché les protestations.

Les hommes politiques assurent régulièrement soutenir cette jeunesse. « Sur le papier, il y a des programmes d’aide, des microcrédits », explique Issam Elhali, 31 ans, qui a emprunté 7.000 dinars (2.000 euros) pour lancer une petite quincaillerie. « Mais le taux d’intérêt est à 21%, je ne m’en sors pas : les dirigeants disent qu’ils soutiennent les jeunes mais ils nous arnaquent. Il n’y a plus de futur pour nous », assène ce jeune père.

Pourtant, Issam fait lui aussi partie de la jeunesse engagée de Douar Hicher : il préside une association qui tente de préserver la propreté et l’environnement dans le quartier. « Nous sommes parmi les rares ici qui ont encore de l’espoir, les autres se sentent abandonnés et attendent au café », explique-t-il. « Mais nous sommes dans un bateau dont les deux capitaines sont en train de se disputer, en regardant le bateau sombrer », déplore-t-il. Une allusion aux luttes de pouvoir paralysantes entre le président, Béji Caïd Essebsi, et le Premier ministre Youssef Chahed. « Moi je veux sauver ma vie et quitter le navire ».

Comme lui, la majorité des jeunes présents n’envisage d’avenir meilleur qu’à l’étranger. « Je crois encore à l’éducation pour m’en sortir, que ce soit ici ou ailleurs », souligne Zeinab Rannen, 17 ans, qui vise un bac avec mention. « Mais je voudrais surtout aller ailleurs pour avoir le respect la dignité que je n’aurai pas ici ».

Afp

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