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Le déficit de capital humain : inciter les gouvernements à investir dans les ressources humaines

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Tribune de Jim Yong Kim, président de la Banque mondiale publiée le 18 juin…

Les gouvernements en quête de croissance économique aiment investir dans le capital physique : nouvelles routes, ponts magnifiques, aéroports étincelants et autres infrastructures. En revanche, ils manifestent généralement beaucoup moins d’intérêt pour les investissements dans le capital humain, que l’on peut définir comme la valeur totale de la santé, des aptitudes, des connaissances, de l’expérience et des habitudes d’une population. En cela, ces gouvernements commettent une erreur, car le désintérêt pour les investissements dans les ressources humaines peut affaiblir radicalement la compétitivité d’un pays dans un monde en mutation rapide dont les économies ont besoin de toujours plus de main-d’œuvre qualifiée pour maintenir leur croissance.

Depuis la création du Groupe de la Banque mondiale, nos spécialistes du développement étudient tous les facteurs de croissance économique, les méthodes qui aident les êtres humains à s’extirper eux-mêmes de la pauvreté et la façon dont les pays en développement peuvent investir dans la prospérité. En 2003, la Banque a publié la première édition de son rapport annuel Doing Business, qui classe les pays selon de nombreux critères allant des niveaux d’imposition à l’exécution des contrats. Il était difficile d’éluder les conclusions de ce premier rapport : à l’époque, certains chefs d’État et ministres des Finances couraient le risque d’assister à une baisse des investissements étrangers directs dans leur pays, car les entreprises choisissaient d’investir dans des pays où le climat de l’activité économique était plus favorable. Durant les 15 années qui ont suivi la publication du premier rapport, Doing Business a inspiré environ 3 180 réformes en matière de réglementation.

Aujourd’hui, nous poursuivons une démarche similaire pour mobiliser l’investissement dans les êtres humains. Le personnel du Groupe de la Banque mondiale prépare un nouvel indice visant à évaluer la contribution du capital humain à la productivité de la prochaine génération de travailleurs. Cet indice, qui sera dévoilé lors des Assemblées annuelles que le Groupe de la Banque mondiale tiendra à Bali en octobre prochain, mesurera le niveau de santé ainsi que la quantité et la qualité de l’éducation dont un enfant né ces temps-ci pourra espérer bénéficier lorsqu’il aura 18 ans.

Les spécialistes sont parfaitement conscients des nombreux avantages de l’amélioration du capital humain, mais ce savoir n’a pas suscité d’appel à l’action convaincant parmi les pays en développement. Dans ce domaine, un des obstacles est le manque de données crédibles démontrant les bienfaits de l’investissement dans le capital humain à l’intention non seulement des ministres de la Santé et de l’Éducation, mais aussi des chefs d’État, des ministres des Finances et d’autres personnalités influentes dans le monde. C’est pourquoi un indice du capital humain couvrant de nombreux pays peut inciter les gouvernants à investir davantage — et plus efficacement — dans leurs concitoyens.

Durant les 30 dernières années, les niveaux d’espérance de vie des pays riches et des pays pauvres ont commencé à converger. La scolarisation, en outre, s’est énormément développée. Pour autant, le programme d’action est inachevé : près du quart des enfants de moins de cinq ans souffrent de malnutrition, plus de 260 millions d’enfants et de jeunes ne sont pas scolarisés et 60 % des élèves du primaire des pays en développement n’atteignent pas les niveaux de compétences minimales dans le cadre de leur apprentissage. Dans trop de pays, enfin, les pouvoirs publics n’investissent pas dans leur population.

La valeur du capital humain peut être calculée de plusieurs façons. Selon un usage établi de longue date, les économistes la mesurent en évaluant le surcroît de revenus des personnes qui ont prolongé leur scolarisation. Des études ont démontré que chaque année de scolarité supplémentaire augmente en moyenne d’environ 10 % le revenu d’un individu. La qualité de l’éducation importe aussi. Aux États-Unis, par exemple, le remplacement d’un enseignant médiocre par un enseignant moyennement compétent dans une salle de classe du primaire accroît de 250 000 dollars le revenu combiné des élèves de cette salle de classe durant leur existence.

Les aptitudes cognitives ne sont pas les seules dimensions importantes du capital humain. Les aptitudes socioaffectives, telles que la détermination personnelle et la conscience professionnelle, produisent souvent des rendements économiques aussi élevés. La santé est aussi un facteur essentiel : des personnes en meilleure santé sont généralement plus productives. Prenons l’exemple des enfants qui cessent de souffrir de la présence de vers parasites dans leur organisme. Selon une étude réalisée en 2015 au Kenya, l’utilisation de médicaments antiparasitaires durant l’enfance réduit l’absentéisme scolaire et augmente de quelque 20 % les salaires des personnes concernées à l’âge adulte — un bienfait que leur procure pour toute la vie une pilule dont la production et la livraison coûtent environ 30 cents.

Les diverses dimensions du capital humain se complètent mutuellement au tout début de la vie. Une alimentation saine et une bonne stimulation durant la gestation et la petite enfance améliorent le bien-être physique et mental des êtres humains durant le reste de leur existence. Certaines lacunes en matière d’aptitudes cognitives et socioaffectives qui se manifestent à un âge précoce peuvent certes être comblées plus tard, mais à un coût plus élevé lorsque les enfants entrent dans l’adolescence. Il n’est donc pas surprenant qu’un des investissements les plus rentables que les pouvoirs publics peuvent réaliser consiste à se focaliser sur le capital humain durant les mille premiers jours de la vie d’un enfant.

Quel est le rapport entre ce qui précède et la croissance économique ? En premier lieu, lorsque les effets positifs des investissements individuels dans le capital humain s’ajoutent les uns aux autres, l’effet global est supérieur à la somme de ses parties. Revenons aux écoliers du Kenya : l’application d’un traitement antiparasitaire à un enfant réduit aussi le risque que d’autres enfants soient infectés par les parasites et, par voie de conséquence, permet à ces enfants d’obtenir de meilleurs résultats scolaires puis, à l’âge adulte, des salaires plus élevés. En outre, certaines retombées positives de l’amélioration du capital humain s’accumulent au-delà de la génération durant laquelle les investissements ont été réalisés. Ainsi, la formation des mères aux soins prénatals améliore-t-elle la santé de leurs enfants en bas âge.

Les investissements individuels dans les ressources humaines s’additionnent : selon les spécialistes de l’économie du développement, le capital humain explique à lui seul des différences allant de 10 à 30 % entre les revenus par habitant d’un pays à l’autre. Qui plus est, ces effets positifs sont durables. Vers le milieu du XIXe siècle, l’État de Sao Paulo, au Brésil, a encouragé l’immigration d’Européens instruits vers des colonies de peuplement bien précises. Plus d’un siècle après, ces mêmes communautés présentent, par rapport à d’autres populations, des niveaux d’instruction supérieurs, une plus grande proportion de travailleurs employés dans l’industrie manufacturière plutôt que dans l’agriculture et des revenus par habitant plus élevés.

L’éducation dégageant des rendements particulièrement élevés, elle contribue fortement à la réduction de la pauvreté. La réussite du Ghana en témoigne : durant les années 90 et les premières années du siècle en cours, le pays a doublé ses dépenses d’éducation et a considérablement amélioré ses taux de scolarisation dans le cycle primaire. En conséquence, le taux d’alphabétisation a fait un bond spectaculaire de 64 points de pourcentage entre le début des années 90 et 2012, tandis que le taux de pauvreté chutait pour passer de 61 % à 13 %.

Les investissements dans l’éducation peuvent aussi réduire les inégalités. Dans la plupart des pays, davantage de possibilités sont offertes aux enfants de familles aisées dès leur plus jeune âge qu’aux enfants nés dans des familles moins fortunées. En conséquence, les premiers bénéficient pendant toute leur existence d’avantages qui resteront hors de portée des seconds. Lorsque les pouvoirs publics prennent des mesures pour corriger ce problème, les inégalités économiques tendent à s’atténuer. Selon une étude publiée cette année et inspirée d’une expérience réalisée en Caroline du Nord, si les États-Unis généralisaient des programmes efficaces de développement de la petite enfance à tous les enfants du pays, les inégalités de revenus baisseraient de 7 % — assez pour que le pays atteigne les niveaux d’égalité du Canada.

Les retombées positives de l’investissement dans le capital humain sur la société ne s’arrêtent pas là. La prolongation de la scolarité d’un individu réduit la probabilité qu’il commette un délit. Il en est de même pour les programmes visant à améliorer les aptitudes non cognitives. Dans le cadre d’une étude réalisée en 2017 au Libéria, des trafiquants de drogue, des voleurs et d’autres hommes ayant des prédispositions délictuelles ont participé à des séances de thérapie comportementale afin d’acquérir des aptitudes telles que la faculté de discerner les émotions, l’amélioration de la maîtrise de soi et la gestion de situations difficiles. Lorsqu’il est combiné à des transferts monétaires de faibles montants, le programme réduit sensiblement le risque que ces hommes retombent dans la délinquance.

La question du capital humain est liée aussi à la participation sociale. En voici un exemple. Au milieu des années 70, le Nigéria a instauré l’éducation primaire universelle. Grâce à cette mesure, un grand nombre d’enfants, qui, sans quoi, n’auraient pas été scolarisés, ont achevé le cycle primaire. Des années plus tard, les mêmes personnes étaient plus susceptibles de suivre l’actualité de près, de parler politique avec leurs pairs, de participer à des réunions communautaires et de voter.

Par ailleurs, l’investissement dans le capital humain renforce la confiance. Les personnes instruites font davantage confiance aux autres et les sociétés où la confiance règne plus qu’ailleurs tendent à jouir d’une croissance économique plus élevée que d’autres populations. Les gens instruits sont aussi plus tolérants : selon certaines études, les vagues de réformes en faveur de l’enseignement obligatoire mises en œuvre en Europe au milieu du XXe siècle ont conduit les populations à se montrer plus accueillantes vis-à-vis des immigrants…

Source : WBANK

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