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Smain Lalmas : « On ira forcément taper aux portes du FMI en 2021 »

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Les indicateurs de l’économie nationale passeront au rouge durant l’année 2021, et le projet de la loi des finances 2021, peine à retrouver les équilibres qu’il faut. Pour l’économiste et président d’Algérie conseil export (ACE),  Smain Lalmas, un diagnostic sérieux est nécessaire. Toutefois, il n’exclut pas la possibilité de recourir au FMI en 2021 signalant au passage le décalage existant entre le plan de relance économique et la situation financière du pays.  

Algérie Eco : Le projet de loi de finances 2021 arrive dans une conjoncture économique particulière caractérisée par la contraction des ressources et des réserves de changes, ce qui mettra en cause encore une fois les équilibres budgétaires. Qu’elles sont selon vous les mesures urgentes qu’il faut prendre afin de faire face à cette situation ?

Smain Lalmas : La crise économique mondiale liée à la Covid-19 a commencé à se faire ressentir dès le début de l’année 2020, ce qui a engendré une grande récession où certaines économies sont maintenues sous perfusion. Mais la durée de cette crise ne présage rien de bon avec un tableau bien noir dressé par les prévisions des différentes institutions qui comptent sur cette planète.

Cette récession mondiale qui perdure entraine une baisse draconienne de  la demande sur les matières premières , donc une baisse des prix des hydrocarbures, richesse dont dépend notre économie. Avec cette deuxième vague de la pandémie dans un grand nombre de pays, cela va forcément aggraver les choses surtout avec cette menace qui plane concernant le  retour au confinement total avec ses conséquences sur l’économie mondiale.

Pour répondre à votre question, je dois préciser la spécificité  du cas d’Algérie qui, en plus de la crise économique et sanitaire, se trouve en pleine crise politique depuis notamment le début 2019, une situation qui complique sérieusement les recettes de sortie de crise.  En dehors du fait que le début de crise doit impérativement passer par la solution politique, comme je l’ai souvent rappelé, les premières étapes consisteraient à mettre en place, une équipe purement technique, composée de compétences avérées qui auront pour mission de faire une espèce de SWOT, ou un diagnostic nécessaire pour identifier nos forces et nos faiblesses internes à notre pays, ainsi que les opportunités et les menaces d’un environnement extérieur en crise.

Ce diagnostic va permettre à l’équipe en place, d’élaborer un nouveau modèle économique basé sur la diversification de l’offre accompagnée d’une stratégie agressive d’exportation hors hydrocarbures, pour sortir de ce schéma rentier de notre économie, ce schéma, doit être suivi d’un large débat  autour de la nécessité d’aller vers une plus grande transparence dans la gestion de nos finances publiques, souvent réclamé d’ailleurs, surtout que l’Algérie a connu une série de scandales dans tous les secteurs, et que les nouvelles réalités financières ne permettent plus de maintenir le niveau élevé de dépenses publiques des dernières années. Bien sûr, le nouveau modèle économique doit être porté par le peuple, partie prenante du changement avec un nouveau mode de gouvernance et une nouvelle administration qui sera appelée à participer dans la réalisation des objectifs tracés.

La monnaie nationale connaîtra aussi une perte de valeur très importante, suivie d’une hausse de l’inflation. Peut-on dire que le spectre de la crise 1986 est devant nos portes ?

Effectivement, le dinar connaît et connaitra dans un avenir proche, une perte rapide de sa valeur, suite aux difficultés qu’a connu la Banque d’Algérie à maitriser la récession économique causée par le recul des prix du pétrole, qui engendrera une forte inflation ce qui aggravera le chômage, impactant ainsi, le pouvoir d’achat et l’investissement et rendra l’économie fortement vulnérable.

Cela rappel, comme vous le précisez, la crise de 1986, caractérisée par une baisse brutale du prix du brut accompagnée d’une forte baisse de la valeur du dollar US, notre monnaie de référence. Cette crise, avait dévoilé à l’époque, les dysfonctionnements structurels et la fragilité de notre économie. Une économie administrée dont les lacunes étaient maquillées par l’importance de la rente,  révélant ainsi, la dépendance d’un système construit sur la seule performance du secteur des hydrocarbures. D’ailleurs, cette crise avait conduit les décideurs de l’époque à baisser la valeur du Dinar pour combler de façon artificielle les déficits, causant au passage, une inflation à deux chiffres.

Pensez-vous qu’on sera prochainement dans l’obligation de solliciter des prêts auprès du FMI ?

Lors d’un discours de M Tebboune, il a signifié clairement que l’Algérie n’ira pas contracter des prêts auprès du FMI et des organismes financiers internationaux, malgré la chute du prix du brut, qui représente l’essentiel de nos recettes extérieures, et la fonte qui continue, de nos réserves de change.

Les pistes  proposées, sont l’emprunt auprès des citoyens et le recourt à l’argent de l’informel, que chacun s’amuse à estimer selon l’humeur du jour. Or, nous avions déjà essayé la première piste via l’emprunt obligataire pour mobiliser des capitaux, une opération qui a essuyé un échec fatal,  asséchant au passage,  les fonds de nos différentes banques publiques. L’autre piste consiste à mobiliser l’argent de l’informel,  mais pour cela, il faudrait installer toute une dynamique pour intégrer cette manne dans le circuit formel, une approche compliquée, surtout que nous vivons une période caractérisée par l’absence  totale de confiance et de visibilité. Je dirais même que ce qui est constaté est plutôt l’inverse, c’est l’argent du formel qui alimente et intègre les circuits de l’informel, ce qui explique en partie, cette pénurie de liquidité au niveau de certains établissements financiers

Il est clair, par ailleurs, que souvent, le FMI conditionne l’octroi de prêts à la mise en place de certains ajustements ou réformes pour une meilleure maitrise de la gestion des finances publiques qui, parfois est vu comme étant une ingérence financière. Mais honnêtement, vu l’évolution des choses, je pense qu’on ira forcément taper aux portes du FMI en 2021, je l’avais déjà évoqué lors d’une émission radio, d’autres disent que nous avons encore des réserves donc un peu plus de temps, oubliant qu’il est préférable d’aller négocier des prêts avec des poches à moitié pleines, vous donnant ainsi, un semblant de confort dans les négociations, que d’aller avec des poches vides, en position de faiblesse .

Cela dit, sans transformation préalable de la structure de notre économie, l’argent procuré par l’endettement va forcément s’évaporer dans les importations, les projets qui ne génèrent pas de richesses ou dans les circuits bureaucratiques de notre économie, sans  oublier de mentionner  la corruption, le canal par excellence, qui a fait ses preuves.

Un plan de relance économique est mis en place, mais est ce que la situation financière et économique du pays n’entrave pas sa réalisation ?

Une très bonne question, surtout qu’il s’agit d’un plan de relance économique en décalage total avec la situation de crises multiples que traverse le pays et des faibles moyens financiers dont il dispose, alors qu’on s’attendait plutôt à un plan de guerre avec une équipe réduite et cohérente d’un haut niveau pour faire face aux lourds challenges.

Je rappelle, que le plan prévoit la relance de tous les secteurs en mettant l’accent, comme souvent, sur des opérations de prospection et d’exploration dans le domaine des hydrocarbures et des mines. Il prévoit aussi, pour le secteur de l’industrie, l’élaboration d’un nouveau cahier des charges pour l’importation de véhicules neufs et le montage. Il est question aussi d’accorder une priorité pour le financement des start-up et l’Ansej,

Dans ce même plan, une attention particulière pour l’agriculture, les industries alimentaires, pharmaceutiques, la transition énergétique, tous les secteurs sont prioritaires, enfin, un plan de relance que les précédents gouvernements ont l’habitude de présenter à chaque occasion, oubliant qu’un plan de relance économique doit s’adosser sur des chiffres et des sources de financements identifiées. Il doit être évalué dans le détail, point par point avec des objectifs de résultats.

A signaler, que dans un passé, pas si loin que ça, l’Algérie disposait d’une manne financière considérable, qui a servi à tout sauf à la relance économique, donc ,il ne suffira pas d’injecter des milliards pour espérer un changement ou le décollage tant espéré par les Algériens, mais il faut également, une véritable rupture avec les méthodes du passé, les blocages du passé, le mode de gouvernance du passé et une rupture avec les personnes formatées aux pratiques du passé, finalement, il faut un véritable changement de système avec une véritable démocratie qui donnera naissance à la confiance nécessaire pour actionner les moteurs de croissance et de développement de notre économie et de notre pays.

 

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