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Le statut quo politique aggrave la détérioration de l’économie

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L’économie algérienne se porte mal. On le perçoit à travers la dégradation de pratiquement tous ses indicateurs macroéconomiques, à commencer, par la croissance économique (1,9%) inférieure à la croissance démographique (2,3%), la baisse des réserves de change aujourd’hui réduite à moins d’une année d’importations, l’inflation qui grimpe est perceptible sur tous les marchés des biens et services et le dinar est en constante dérive. Les exportations d’hydrocarbures sont également en nette baisse, tandis que la population augmente de plus d’un million de nouveau-nés chaque année. La demande sociale explose au moment où les moyens de la satisfaire régressent à des niveaux qui posent problèmes. Mais il ne faut surtout pas lier cette dégringolade des performances macroéconomiques aux événements politiques (Hirak) qui secouent le pays depuis le début de l’année 2019.

L’économie algérienne présentait en effet des signes d’essoufflement bien avant l’enclenchement de l’insurrection populaire du 22 février 2019. Le malaise économique avait effectivement pris racines sous le long règne d’Abdelaziz Bouteflika et, notamment, depuis que sa maladie invalidante l’avait tenu six années durant, loin de son poste de commande, provoquant un statut quo politique qui se poursuit à ce jour en dépit des bouleversements multiformes qui s’étaient, entre temps, produits. La gouvernance du pays ayant été disloquée en plusieurs centres de décisions détenus, pour certains, par la fratrie du président et, pour d’autres, par une multitude de hiérarques incompétents et corrompus, l’économie ne pouvait qu’en pâtir en sombrant dans une longue et ruineuse léthargie. L’effondrement brutal des cours du pétrole survenu en 2014 assombrira encore davantage ce tableau déjà peu reluisant. L’économie Algérienne paiera un lourd tribut à cette gestion prédatrice que d’aucuns qualifient à juste titre, d’irresponsable, immorale et franchement antinationale. L’Algérie n’a pas fini d’en payer les conséquences à ce jour.

C’est effectivement durant cette longue phase de gouvernance calamiteuse que le fléau de la corruption s’exacerba en termes de surfacturations, de trafics de devises, de perceptions de commissions indues sur pratiquement tous les gros contrats d’équipements, de recours abusif à la planche à billets et l’explosion des dépenses de fonctionnement au détriment de l’investissement productif. C’est à cette période qu’on a repris conscience de notre extrême dépendance des hydrocarbures, qu’une longue embellie du marché pétrolier avait réussi à faire oublier.

Le choc de la crise financière de 1986 et ses effets désastreux sur l’économie, ont en effet été vite oubliés et rien de notable ne changera durant le long règne d’Abdelaziz Bouteflika. Il avait, on s’en souvient, pris les commandes d’un pays largement dépendant des recettes d’hydrocarbures en avril 1999 et il l’était encore davantage lorsqu’il déposa sa candidature pour un quinquennat supplémentaire. L’Algérie n’importait qu’environ 10 milliards de dollars de denrées alimentaires, lorsqu’il prit le pouvoir en avril 1999. Elle en importe plus de 40 milliards aujourd’hui  en dépit des restrictions imposées aux importateurs. Ce ne sont pourtant pas les moyens de faire de l’Algérie un pays émergent qui avaient manqués. Abdelaziz Bouteflika avait cumulé, à la fin de son quatrième mandat, pas moins de 1100 milliards de dollars de recettes d’hydrocarbures, presqu’autant de ressources fiscales et une réserve d’or estimée à 14 milliards de dollars environ. Vingt années de pouvoir absolu et autant d’excédents financiers, auraient dû suffire à mettre en œuvre tout ce qu’il avait promis de réaliser. Il s’agissait en fait de donner une forte dynamique à tous les secteurs d’activité aux moyens d’investissements impliquant, aussi bien, les ressources publiques, que celles des opérateurs privés, ce qu’il avait toute latitude de faire durant ses quatre quinquennats antérieurs mais qu’il n’a, pour diverses raisons, pas accompli. La mauvaise qualité de certains équipements réalisés à grands frais mettra en évidence sur fond de corruption généralisée, la mauvaise gestion des grands projets qui se dégradent à vue d’œil comme c’est le cas de nombreux tronçons de l’autoroute Est-Ouest. Par ailleurs et en dépit de la disponibilité des capitaux, des secteurs qui auraient pu tirer l’Algérie vers le haut ont été négligés. Il s’agit, on l’a compris, des nouvelles technologies, de la recherche scientifique, du système bancaire et du management moderne dont l’économie paye aujourd’hui les conséquences de leurs défaillances. 

Il faut évidemment ajouter à ce cocktail de déterminants, le choix du clan Bouteflika de confier le destin de l’économie algérienne à quelques oligarques qui l’avaient aidé à briguer ses quatre mandats successifs et s’apprêtaient à financer un cinquième, auquel le peuple algérien fit heureusement barrage. Ces hommes d’affaires ont accaparé les marchés et les secteurs d’activités les plus juteux, au détriment des autres entreprises publiques et privées, qui subissaient des  entraves pour remplir leurs carnets de commandes, exporter leurs produits ou investir. La croissance économique fut ainsi bridée tout au long du règne des Bouteflika alors que le pays dispose d’un énorme potentiel de développement. L’essor économique et commercial de l’Algérie fut ainsi bridé par une corruption à grande échelle, sciemment entretenue par les plus hauts hiérarques du pouvoir. S’il y avait effectivement beaucoup de corrompus parmi les hommes d’affaires, il faut reconnaitre que les corrupteurs tapis dans les plus hautes sphères du pouvoir étaient les plus néfastes. Ce sont eux qui ont autorisé moyennant commissions et autres avantages, les malversations commises. C’est cette prolifération de corrupteurs qui a permis à  la corruption de prendre autant d’ampleur et c’est sans doute, ce qui explique les hésitations de la Justice à élargir la campagne anti corruption aux plus hautes sphères de la gouvernance civiles et militaires.

Le long règne d’Abdelaziz Bouteflika et des hiérarques qui l’entouraient étant révolu depuis avril 2019, les algériens qui avaient beaucoup contribué à y mettre fin,  attendaient légitimement une reprise en main de l’économie évidemment couplée à un renouveau politique. Ils n’auront malheureusement ni l’un, ni l’autre. Il n’y a effectivement pour l’instant aucune lueur d’espoir pour une éventuelle démocratisation du pays et l’économie poursuit sa dégringolade, sur fond de déclin des recettes d’hydrocarbures et  des réserves de change. La gestion ultra sécuritaire pour laquelle le pouvoir a opté au lieu et place d’une gestion politique, ferme toutes les portes à une éventuelle sortie de crise. Le statuquo qui en a résulté n’est pas fait pour réfléchir à de meilleurs lendemains pour l’économie dont la production industrielle déjà très faible par le passé a fortement régressé cette année sous l’effet aggravant de la pandémie de coronavirus.

Le problème est que l’Algérie ne peut même plus compter sur un avantageux retournement de conjoncture qui ferait rebondir les prix du brut à des niveaux qui arrangeraient notre économie et cacheraient les tares d’une mauvaise gouvernance politique. Il faudrait, estime la Banque Mondiale, que les prix du baril atteignent au minimum 150 dollars pour pouvoir équilibrer le budget de l’Etat, ce qui ne risque évidemment pas d’arriver de si tôt compte tenu de la surabondance de l’or noir et de la paralysie qui affecte les secteurs qui consomment le plus d’énergies (aviation, transports terrestres et maritimes, centrales thermiques etc.) à cause de la pandémie de Covid-19. 

Le constat d’une très probable entrée en récession de l’économie algérienne étant clairement établi par la Banque Mondiale et bon nombre d’experts algériens qui recommandent tous, sans exception,  d’entamer immédiatement de profondes reformes structurelles, il se pose la question de savoir qui mettra en œuvre ces ajustements, qui ne se feront pas sans douleur, notamment, pour les couches populaires les plus vulnérables. Il aurait fallu que soit rapidement installée une équipe gouvernementale légitimée par le peuple qui lui donne mandat pour redresser l’économie, quel que soit le coût social à payer. Nous sommes malheureusement loin de ce pré requis que le régime en place refuse d’accorder au peuple qui le réclame depuis plusieurs mois. Le temps gagné par ceux qui s’accrochent au pouvoir est, à n’en pas douter, du temps perdu pour le peuple algérien qui espérait mettre cette période à profit pour organiser la meilleure transition possible.

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