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Ali Benouari : « La réforme financière tendra à optimiser l’utilisation de nos ressources financières » Part II

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Dans cet entretien, l’ex ministre du trésor 1991-1992, Ali Benouari, nous livre son avis sur plusieurs questions d’actualité financière en Algérie. Entre autres sujets, ceux de la l’endettement extérieur, de la situation financière du pays, de la planche à billets, mais aussi de la dévaluation du dinar.

Lire la Partie I

Les autorités algériennes se refusent à recourir aussi au financement non conventionnel, qu’en pensez-vous?

Les autorités ont raison de se méfier de ce type de financement, dont les risques ont été maintes fois soulignés. Cependant, je conseillerais personnellement sa reprise, rapidement, tant que n’auront pas été mises en place les mesures alternatives pour pallier à la crise des liquidités actuelle. Nous faisons face en effet à la plus grave crise de liquidité de notre histoire, et le pire est de donner le sentiment aux citoyens que non seulement l’Etat ne se soucie pas de leurs innombrables difficultés causées par la crise sanitaire, mais qu’il les empêche en outre de disposer de leurs maigres économies. Les grandes foules qui se massent devant les banques et les guichets de poste aggravent les difficultés quotidiennes des gens, tout en accroissant les risques de contaminations.

Des milliers d’entreprises sont également à court de liquidités à cause du confinement et sont menacées de faillite, ce qui risque de pousser le chômage à des sommets inconnus jusqu’ici.

A titre de contribution personnelle aux efforts pour trouver une issue à cette crise, j’ai cherché à identifier la nature précise du risque qui résulterait de la poursuite du financement monétaire de l’économie. Je suis arrivé à la conclusion que ce danger pouvait être temporairement écarté et qu’une injection massive de liquidités banque centrale serait tout à fait pertinente dans les circonstances actuelles. Il faut d’abord rappeler le contexte dans lequel ce type de financement a été introduit.

Il nous avait été présenté, en 2017, comme une solution non conventionnelle, au sens américain du terme. Mais cela n’a aucun rapport, tant le contexte et la finalité sont différents de ceux des USA ou de l’Europe. Dans ces régions, la mesure était destinée à débloquer des marchés financiers sophistiqués et paralysés par la crise boursière de 2008.  L’économie réelle de ces pays n’était pas en cause et était prête à redémarrer comme lors de la crise de 1929. C’était une solution de type keynésien, guère transposable à notre pays, qui ne dispose pas de capacités de productions excédentaires, ni d’un marché financier digne de ce nom. La liquidité de l’économie est presque entièrement dépendante de la fiscalité pétrolière.

Celle-ci se tarissant à partir de 2015, le financement monétaire (par la planche à billets) est apparu comme la seule planche de salut (sans jeu de mots).  Il suffit de se rappeler, à cet égard, la déclaration de Ouyahia de l’été 2017, qui avouait publiquement que le pays ne pouvait plus assurer le paiement des salaires à partir d’octobre, sauf en cas de recours à la planche à billets.

De nombreux experts Algériens, dont moi même, avaient souligné, à l’époque, les dangers inhérents à ce financement. Les arguments avancés étaient focalisés sur le risque inflationniste qui découle de sa totale déconnexion de tout processus de création de richesse, de ses montants exorbitants et du silence total sur les modalités de son remboursement.

De ce fait, ce financement non orthodoxe a accentué la hausse de la masse monétaire au cours des dernières années, qui a cru plus vite que la richesse nationale produite, tout en transformant négativement sa structure. La masse monétaire a atteint 83% du PIB en 2018 contre 78% en 2016 et 37% en 2000. En valeur absolue elle a atteint 16’500 milliards de dinars en 2019, dont un tiers de circulation fiduciaire (contre 13’800 milliards en 2016 et 1’500 milliards de dinars en 2000). Le poids de la circulation fiduciaire dans le PIB à lui aussi augmenté, à 30% (contre 2% pour l’Afrique du Sud, 4% pour la Turquie et 3% pour l’Union Européenne) la part des billets de banque dans la masse monétaire M1 (billets + dépôts à vue auprès des banques) s’établissait, à fin 2019, à près de 50% contre 30% au Maroc, 20% dans l’union Européenne et 33 % en Tunisie.

Pour se prononcer sur l’opportunité de poursuivre ou non le financement non conventionnel, je propose de porter la réflexion sur deux niveaux. Le premier porte sur la mesure du risque inflationniste et le second sur les alternatives qui éviteraient un recours prolongé au financement monétaire des déficits du Trésor. La mesure du risque inflationniste, depuis ses pics des années 1991-1995 (constamment supérieure à 20%), l’inflation a fortement baissé. Elle a été en moyenne de 3,75 entre 2000 et 2015, puis s’est établie à 6,4% en 2016, 5,59% en 2017, avant de ralentir de nouveau à 4,27% en 2018 et 1,95% en 2019.

L’inflation tant redoutée ne s’est paradoxalement pas produite. Tachons d’en comprendre les raisons. Deux facteurs peuvent avoir contrarié le processus inflationniste : Il y a d’une part l’importante destruction monétaire consécutive au déficit de la balance des paiements apparu depuis 2015. D’où la croissance insignifiante ou quasi nulle de la masse monétaire en 2016 (0,79 %) et en 2015 (0,13 %).  Il y a d’autre part la thésaurisation d’une bonne partie des 5000 milliards de dinars créés entre 2002 et 2019. Cette thésaurisation s’est traduite par une diminution de la vitesse de circulation de la monnaie et de la capacité des banques à créer de la monnaie.

La création monétaire, n’est en effet pas du seul fait de la banque centrale. Les banques commerciales aussi créent de la monnaie, au travers des crédits accordés à leurs clients. Crédits qui se traduisent par une augmentation des dépôts à vue bancaires. Cette limitation de la capacité des banques à accorder de nouveaux prêts s’est traduite par une baisse de la liquidité bancaire, qui n’atteint plus, aujourd’hui que 1000 milliards de dinars, contre 2’700 milliards fin 2013. Cela en dépit de l’augmentation de la circulation fiduciaire qui est passée de 664 milliards de dinars en 1992 à 2’900 milliards en 2012 et à plus de 5’500 milliards de dinars fin 2019.

Cela fait que, singularité algérienne, la masse monétaire totale (environ 16’500 milliards de dinars) est constituée pour un tiers de billets émis par la banque centrale, pour un tiers de dépôts à vue et pour un tiers de dépôts à terme (à moins de deux ans).

Voici un bref résumé de l’importance du multiplicateur de crédit et de la vitesse de circulation de la monnaie, qui mesure le nombre de fois où une unité monétaire change de mains au cours d’une période donnée.

La vitesse de circulation de la monnaie est exprimée sous la formule (simplifiée) suivante : V=  Y*P/M « V » étant la vitesse de circulation de la monnaie. Elle est essentiellement liée au comportement des agents économiques et « Y » la production d’une économie pendant une période donnée (soit le PIB) « P » le niveau des prix (prix réel des échanges), « M» la quantité de monnaie en circulation dans une économie pendant la même période, M se décomposant en « e » (la monnaie thésaurisée) et « c » (la monnaie circulante). Cette formule signifie que pour une pour production réelle donnée, une moindre valeur de « e » au profit de « c » conduit à une accélération des échanges, donc de la vitesse de circulation de la monnaie, ce qui est nécessaire pour assurer l’écoulement de la production Y. C’est tout le contraire en Algérie, où la vitesse de circulation de la monnaie est ralentie par le poids du facteur « e » (large thésaurisation) et donc par la prépondérance du facteur « c ». Voilà donc ce qui pourrait expliquer en partie le paradoxe de la non apparition d’un processus inflationniste, en dépit d’une accélération de la circulation fiduciaire.

La thésaurisation de près de 90% de l’émission totale de billets a permis de contenir toute pression inflationniste, d’autant que le niveau de la masse monétaire globale reste acceptable : le rapport masse monétaire/PIB reste en effet contenu à 82%, en ligne avec celui de nos voisins (Maroc : 119%, Tunisie : 72%, Egypte : 81%). Cette thésaurisation élevée explique le faible niveau des liquidités bancaires, qui constitue à son tour un frein à la capacité des banques à accorder des crédits, donc à créer de la monnaie et augmenter la part des dépôts à vue.

Je résume, pour les lecteurs profanes, la formule du multiplicateur de crédit (M), qui mesure cette capacité, pour une quantité donnée de monnaie banque centrale déposée auprès des banques commerciales: M=   ______1____________

(b+r) – (r * b)

Où « b » est la proportion de billets thésaurisés, « r » le taux de réserve obligatoire (1% en France, 1,5% au Maroc et 6% en Algérie, ce qui est une source d’interrogation en soi).

Sans entrer dans le détail, le lecteur comprendra que plus la thésaurisation est élevée, et plus le multiplicateur M est faible. Sachant qu’en Algérie « b » avoisine les 90% et que « r » est égal à 6%, les banques commerciales ne peuvent prêter qu’un peu plus qu’une fois la quantité de billets a sa disposition, contre environ 8 à 10 fois en moyenne dans la plupart des pays.

En résumé, trois observations peuvent être tirées du constat précédent : Les craintes inflationnistes ne viennent pas tant d’une trop grande quantité de monnaie émise que du fait que seule la banque d’Algérie en crée en grande quantité. Dans une économie saine, les avances au Trésor public sont contenues dans des limites étroites, aussi bien par rapport au PIB que par rapport aux recettes fiscales ordinaires. Ce ne sont pas, en effet, les avances au Trésor qui créent de la richesse, mais les crédits à l’économie, qui sont mobilisables auprès de la banque d’Algérie via le réescompte. Le bilan de celle-ci montre d’ailleurs l’absence de toute ligne de réescompte.

Le financement monétaire du Trésor par la banque d’Algérie n’a pas engendré une grande inflation car le phénomène de thésaurisation a privé les banques de la base monétaire qui leur aurait permis de participer à la création monétaire globale et donc à la création de richesses. Cela dit, le danger inflationniste n’est pas écarté. Il est simplement reporté, et il finira par se manifester si l’économie continue à ne pas créer de richesses. Le pays entrera alors dans le cercle vicieux inflation-dévaluations-récession. La stagflation dans toute son horreur. C’est ce qu’on observe au Venezuela.

Les alternatives au financement conventionnel : Il me semble que la priorité de l’heure est de faire face au danger d’étranglement économique du pays, par manque de liquidités.

En attendant de mettre en place les alternatives au financement conventionnel, quelles solutions ?

Il convient d’abord de comprendre que tant que ce financement n’a pas trouvé d’alternatives, la question de son abandon ne se pose pas, dans la mesure où le trésor n’a qu’un compte, qui est logé à la banque d’Algérie. Si ce compte est à découvert, la banque centrale est tenue d’imprimer de la monnaie car elle ne peut refuser d’honorer les ordres de paiement émis par celui-ci. Comme s’il s’agissait d’un client ordinaire. Les deux institutions sont des institutions de l’Etat

A court terme, le gisement d’argent le plus important est l’argent qui se trouve en dehors du circuit bancaire. Cet argent-là n’est pas sensible au niveau du taux d’intérêt ou à l’absence de taux d’intérêt.

Cet argent prospère dans l’informel car il ne paie pas d’impôt. Sa source, comme sa raison d’être, est l’évasion fiscale. A partir de là, il se multiplie, tel un cancer qui métastase. Aucune incitation ne peut le ramener dans le circuit officiel. Pas même une promesse d’amnistie. Il n’y a qu’à se référer à l’échec des obligations à 7% qui ont été émises dans ce sens il y a une dizaine d’années.

Ce n’est pas non plus en multipliant le nombre de banques, publiques ou privées que cet argent pourra être récupéré. Cet argent, il faut le prendre par la force de la loi et par le seul moyen infaillible, qui est celui du changement complet de billets de banques. La seule question qui se pose à ce niveau est de savoir s’il y a la volonté politique pour le faire.

L’enjeu est le recyclage d’environ 5’000 milliards de dinars qui dorment ou prospèrent au sein des circuits informels. La taxation à 30% de cette manne permettrait de récupérer, en une fois, presque l’équivalent du déficit budgétaire annuel. En plus de cet avantage, il y a élargissement de l’assiette fiscale pour les années à venir.

A défaut de prendre cette décision, voici quelques mesures qui pourraient être prises : La poursuite de la politique d’ajustement de la valeur du dinar. Etalée dans le temps, elle permet d’atténuer ses chocs sociaux et économiques. L’endettement extérieur. La taxation des grandes fortunes et des biens immobiliers oisifs. La taxation des actifs détenus à l’étranger par les algériens résidant en Algérie. La récupération de l’argent volé au peuple, investi à l’étranger. La confiscation, au profit du Trésor public, des fortunes mal acquises

Le dinar ne cesse de dévaluer et l’inflation grimpe de plus en plus, pourquoi?

Le dinar dévalue progressivement, sur intervention administrative, pour tenir compte de sa valeur réelle. Valeur exprimée en parité de pouvoir d’achat, mais aussi en fonction d’autres critères qui affectent nos équilibres financiers internes et externes (balance des paiements courants).

L’ajustement auquel nous assistons peut être vu comme un ajustement progressif du pouvoir d’achat global de la nation, par rapport à ses possibilités immédiates, Cet ajustement est nécessaire pour encourager la production nationale, les exportations, le tourisme et les investissements étrangers, qui sont très sensibles à la stabilité du risque de change. Il est de loin préférable à un ajustement brutal qui résulterait, tôt ou tard, du maintien prolongé d’une valeur figée. La stabilité pour la stabilité n’aurait aucun sens dans un contexte de dégradation avancée des principaux indicateurs macro économiques. L’ajustement monétaire progressif peut être, au contraire, le gage d’une stabilité future.

Entretien réalisé par Imène A.

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