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Ali Benouari : « La réforme financière tendra à optimiser l’utilisation de nos ressources financières » Part I

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Dans cet entretien, l’ex ministre du trésor 1991-1992, Ali Benouari, nous livre son avis sur plusieurs questions d’actualité financière en Algérie. Entre autres sujets, ceux de l’endettement extérieur, de la situation financière du pays, de la planche à billets, mais aussi de la dévaluation du dinar.

Algérie-Eco : La situation économique et financière de l’Algérie se corse, selon les chiffres du Gouvernement. Baisse des réserves de changes, baisse du prix du pétrole, déficit budgétaire etc. s’ajoute à cela la chute des liquidités des banques. A votre avis, comment faire face à cette situation?

M. Benouari : Les problèmes que vous évoquez renvoient toutes à la mauvaise gouvernance économique de ces vingt dernières années. Il y a deux manières d’y faire face, qu’on les considère comme conjoncturels ou comme structurels.

Les tenants de l’approche conjoncturelle sont ceux qui raisonnent comme le pouvoir, qui a toujours misé sur la rente pétrolière et géré l’économie de manière administrative et populiste. Quand cette rente augmente, on fait n’importe quoi. Quand elle s’amenuise, on décrète l’austérité et on puise dans les réserves, en attendant une hypothétique remontée du prix du pétrole.

Les tenants de la seconde approche considèrent que seul le travail est source de richesse. Il convient donc de le valoriser. Les problèmes de l’économie algérienne ne peuvent donc être résolus qu’en s’attaquant à leurs origines structurelles, en procédant à des réformes institutionnelles profondes, d’essence politique. La dernière occasion pour le faire dans de relatives bonnes conditions a été ratée avec la reconduction de Bouteflika en 2014.

Les réserves de change avoisinaient alors les 200 milliards de dollars, et le fond de régulation de recettes abritait près de 7000 milliards de dinars de liquidités.

Ces liquidités ont aujourd’hui fondu alors que les déficits persistent, rendant les réformes plus coûteuses, socialement et économiquement, dans un contexte démographique explosif.

L’une des manifestations de la crise économique que nous vivons est la profonde détérioration de nos équilibres financiers. Pour pouvoir assurer le financement de l’économie et le paiement des salaires des fonctionnaires, on imprime de la monnaie sans contrepartie productive, et pour enrayer la fonte des réserves de changes, on freine les importations, au risque de conduire au blocage total de l’économie et à la montée en flèche du chômage. La crise sanitaire venant aggraver ce risque.

Beaucoup a été dit et écrit sur ces sujets, mais on trouve peu d’analyses de fond et beaucoup d’approximation dans les chiffres. Il faut donc revenir à une approche documentée et aussi objective que possible de la situation économique.

Et, puisque nous parlons de chiffres, il faut regretter que le site de la Banque d’Algérie ne soit pas à jour. Les dernières statistiques publiées datent du mois de Novembre 2019. Ce retard de plus de 6 mois, qui dure depuis des années, cause une réelle gêne pour les étudiants, les chercheurs et les cadres qui veulent s’informer autrement qu’au travers des déclarations de responsables, pas toujours en harmonies, d’ailleurs, les unes avec les autres.

Quelques agrégats macro-économiques sont pertinents pour établir un constat irréfutable de la mauvaise santé de notre économie. Ce sont ceux qui se rapportent à la croissance de l’économie et aux réserves de change, mais aussi, rapportés au PIB, ceux qui concernent les soldes du trésor et de la balance des paiements courants, le déficit budgétaire, la structure et l’évolution de la masse monétaire, ainsi que les contreparties de celle-ci, notamment les crédits au Trésor et à l’économie.

En 2019, le taux de croissance est en berne: 0,7%, prévu en baisse de 3% cette année et perspectives sombres pour 2021. Dans ces conditions, il est à prévoir une forte augmentation du chômage (qui était à 11,7% en 2019) pour cette année et pour les années qui viennent. De moindres rentrées fiscales viendront aggraver le solde budgétaire public et la dette publique qui s’établissaient respectivement déjà à des niveaux excessivement élevés, à 9,3% et 46,3% du PIB pour l’année 2019.

Le solde de la balance des paiements courants était de 16,2% du PIB en 2019. Il risque d’atteindre la barre de 20% à la fin de cette année et les réserves de change, qui s’élevaient à 62 milliards de dollars, sont attendues à environ 42 milliards fin 2020. Parallèlement, le taux d’inflation était de 2% en 2019 et est attendu à 5% pour 2020.

Les données proprement monétaires confirment, par une simple lecture du bilan de la Banque d’Algérie, la dégradation de la situation.

Ce dernier nous révèle que la taille de ce bilan ne s’est pas gonflée entre fin 2013 et 2019 alors que la masse monétaire a augmenté de près de 40%, mais sa composition a connu un véritable bouleversement. A l’actif de ce bilan, la dette du Trésor était nulle tandis que les réserves de change en représentaient plus de 97%. En 2019, les réserves de change ont baissé à 50% du total du bilan tandis que la dette du Trésor a grimpé à 44%. La détérioration importante de la couverture extérieure du dinar saute aux yeux, de même que la monétisation du déficit budgétaire, à un niveau inédit. Ceci traduit, mieux que n’importe quel discours, l’extrême dépendance de notre pays à l’égard des hydrocarbures. On n’observe, par ailleurs, aucun réescompte d’effets privés ou publics (créances sur l’économie) parmi les contreparties à la masse monétaire. Ce qui illustre l’indigence de la gestion financière de l’économie et l’incapacité des banques à mobiliser des créances éligibles à l’escompte.

On ne s’étonnera pas, dans ces conditions, de voir le passif du bilan de la Banque d’Algérie enregistrer, au cours de la même période, une importante augmentation de la circulation fiduciaire (de 3’200 à 5’500 milliards de dinars), une détérioration du compte créditeur du trésor (de 5’600 milliards à 1’800 milliards), une diminution de la liquidité bancaire (« Compte des banques et des établissements financiers ») qui passe de 2’700 milliards à 1’256 milliards.

Pour sortir de ces impasses, il faut des réformes structurelles, car ce sont elles qui sont à l’origine de nos déséquilibres financiers. Ces réformes concernent tout l’environnement qui conditionne l’acte d’investir, de produire d’échanger et d’exporter. Autant dire l’environnement juridique, financier et éducatif (formation, éducation, recherche).

Vaste programme, aux relents nécessairement politiques. Je ne peux pas, ici, les détailler toutes. Aussi, je me limiterai à décrire le contenu de l’une de ces réformes, qui me paraît essentielle. Il s’agit, de la réforme financière, monétaire et fiscale.

La réforme financière tendra à optimiser l’utilisation de nos ressources financières, en particulier à diversifier l’offre de produits financiers et à mettre en place aussi les instruments et les mécanismes qui encourageront et sécuriseront l’épargne afin qu’elle puisse s’orienter vers le financement des investissements à long terme.

Ces instruments et mécanismes sont ceux de l’économie de marché. Cela va des nouvelles institutions financières à créer (banques de développement, banques d’affaires et banques spécialisées), aux  mécanismes de couverture des risques liés aux opérations de marché, en passant par le développement du marché boursier dans tous ses segments.

La bourse des valeurs mobilières serait ainsi dynamisée et étendue au segment des dettes des entreprises, des banques et du Trésor, afin de donner aux pouvoirs publics des leviers d’action plus complets que ceux actuellement à disposition.

La seule politique monétaire ne peut pas réguler le marché de l’argent. On pourrait lancer, dans cet esprit, la cotation en bourse d’un emprunt phare du Trésor, un « notionnel » à 10 ans, qui fournirait un ”Benchmark” pour tous les emprunts à long terme. Ceci permettrait de structurer tous les taux, du plus court au plus long terme, fournissant ainsi la liquidité, la rentabilité et la sécurité dont ont besoin les épargnants. La réforme monétaire est aussi à envisager en engageant résolument le pays vers une libéralisation progressive du régime des changes. Cette réforme permettra de doter le pays d’une monnaie saine, d’un « dinar lourd », indispensable pour susciter la confiance des agents économiques locaux et des investisseurs étrangers. Une monnaie saine est aussi précieuse au tissu économique que le sang qui irrigue le tissu humain.

Une réforme fiscale viendrait compléter cette réforme financière. J’ai préconisé il y a six ans une “flat tax” à 10 % qui rendrait inutiles les avantages fiscaux particuliers accordés à telle ou tel investisseur. Il simplifierait la vie des entreprises et découragerait l’évasion fiscale. Il élargirait aussi l’assiette fiscale et rendrait notre pays plus attractif pour l’investissement étranger. Bien plus que nos concurrents des pays émergents. Nous avons en effet, dans notre malheur, la chance de pouvoir compter sur un minimum de ressources fiscales d’origine pétrolière, qui serviront à amortir le choc initial de cette réforme.

Une des réformes structurelles mérite un traitement particulier, de par son lourd impact sur nos équilibres financiers. Elle concerne la gestion de nos finances publiques, en particulier la manière dont sont allouées les ressources budgétaires.

Le principe est d’aller vite vers l’équilibre financier des comptes de l’Etat et d’allouer le maximum de ressources aux secteurs porteurs de croissance. Tâche difficile à court terme, quoique nécessaire, en raison des contraintes qui pèsent tant sur les dépenses que sur les recettes.

Côté dépenses, le budget de fonctionnement est constitué essentiellement en salaires des fonctionnaires (60%) et en subventions diverses. Sa révision ne peut être que progressive, pour éviter au pays des troubles sociaux importants. Pour éviter aussi une révision déstabilisatrice de notre politique de sécurité au regard du poids prépondérant de certains départements comme ceux de l’intérieur et de la défense, ministères de souveraineté par excellence, qui consomment exactement un tiers de l’ensemble du budget de fonctionnement.

Même nécessité et mêmes contraintes du côté du budget d’équipement (qui ne représente déjà plus qu’un tiers du budget de fonctionnement), qui prend en charge des subventions aux entreprises publiques, des équipements publics et d’importantes dépenses de sécurité. Côté recettes, les contraintes sont aussi grandes. On ne peut agir rapidement ni sur les recettes fiscales issues des hydrocarbures, car elles dépendent d’une donnée (prix du pétrole) que nous ne contrôlons pas, ni sur les recettes fiscales ordinaires, qui dépendent de l’activité économique, qui souffre du double effet de la crise sanitaire et de la chute du prix du pétrole.

Le Pouvoir est décidé, pas d’endettement extérieur, est-ce une bonne décision à votre avis?

Je ne suis pas de cet avis, pour plusieurs raisons : D’abord parce que l’endettement extérieur pourrait pallier à l’insuffisance de l’épargne intérieure. Elle est aujourd’hui de l’ordre de 40%, mais elle ne cesse de décliner depuis son pic de 2006 (57 %), et les prévisions de la banque Mondiale la situent autour de 27% en 2025, soit à un niveau jamais atteint depuis 1990. L’endettement extérieur est donc un excellent moyen pour pallier à cette insuffisance et relancer l’investissement et la croissance. Il aiderait à financer des projets à fort impact social et économique, à l’instar du doublement et de l’électrification de nos lignes de chemin de fer, (projet initié au début des années 2000 et inexplicablement abandonné), ou encore la réalisation de notre ambitieux projet de développement des énergies renouvelables. Nous éviterons aussi de freiner les investissements dans le domaine du pétrole et du gaz, parfaitement éligibles aux crédits extérieurs. Les banques multilatérales de développement comme la Banque Mondiale et la  Banque Africaine de Développement et les fonds de développement spécialisés s’empresseront de financer ces projets. Leurs lignes de crédit, peu coûteuses et à maturité longue ne pèseront pas sur notre indépendance financière. C’est un pari sur le développement du pays, tout le contraire du pari sur une hypothétique augmentation du prix du pétrole.

Ensuite parce que tous les endettements ne se valent pas. N’est pas sain l’endettement qui vient financer des biens de consommation. Est acceptable  celui qui finance des projets de développement structurants, rentables et ceux qui sont tournés vers l’exportation. Car ce type d’endettement crée de la richesse et s’auto-rembourse, d’une manière ou d’une autre.

Un type particulier de financements extérieurs est aussi à privilégier, celui du « project finance », adossé au système de concessions. Il s’auto-rembourse directement par une partie des recettes générées par le projet. Un peu comme les investissements directs (IDE), mais ici la dette s’éteint complètement au terme de la durée de la concession. Le potentiel de ces financements particuliers est infini. Peuvent être financées par ce biais des lignes de chemin de fer et des autoroutes à péage, des centrales électriques, des fermes solaires photovoltaïques et éoliennes, des raffineries, etc. Bref, tout ce qui entre dans la sphère marchande et qui dispose d’un débouché garanti.

Une quatrième  raison est que l’endettement extérieur permet d’opérer un meilleur contrôle sur les coûts et les délais des investissements. Contrôle assuré conjointement par le bailleur de fonds et l’Etat. Une cinquième raison réside dans le fait qu’il est une bonne arme de lutte contre la corruption, car les bailleurs de fonds contrôlent aussi les procédures d’appels d’offres. Cela mettra un frein aux dérives observées, comme celle de l’autoroute Est-Ouest, la plus chère au monde.

La sixième raison est qu’il faut réapprendre à revenir sur les marchés financiers, après une longue absence pendant laquelle nous avons perdu toute expertise en matière de négociation de contrats et d’approche des marchés financiers. Cela dit, il faut veiller, en toutes circonstances, à ne pas dépasser le ratio du service de la dette (remboursement en principal et en intérêts), qui est communément fixé à 25% des revenus en devises du pays.

Lire la partie II

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