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Akli Moussouni (expert agronome) : « Les rendements des céréales en Algérie s’affaibliront de plus en plus »

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Dans cet entretien, l’expert agronome, M. Akli Moussouni revient sur les dernières actualités du secteur de l’agriculture, notamment, le récent remaniement ministériel qui a vu le changement à sa tête et la suppression du poste de ministre délégué en charge de l’agriculture saharienne, les importations et la production algérienne de céréales particulièrement de blé, l’agriculture saharienne que les pouvoirs publics veulent développer…

Algérie-Eco : Les prévisions du département américain de l’agriculture (USDA) tablent sur une hausse de plus de 15% des importations algériennes de blé (7,5 millions de tonnes) durant la saison 2020/2021, au moment où le ministère de l’agriculture prévoit une saison record en terme de production de céréales, qui croire selon vous ?

Akli Moussouni : Les informations en temps réel fournies par des systèmes de télédétection par satellite de la dynamique végétale combinée aux données de l’agro-météorologie et des cartes de la structure du sol ainsi que de l’historique de l’assolement, font que les américains peuvent estimer la production des céréales en particulier dans n’importe quelle région du monde. Aussi, le domaine du traitement de l’image satellitaire ne s’applique pas seulement pour déterminer les rendements, mais aussi diagnostiquer l’état sanitaire des grandes plantations pour évaluer le marché mondial de céréales et encadrer les enjeux qui concernant l’alimentation humaine et animale. L’Algérie, en tant que cliente potentielle de ce marché fait l’objet bien entendu d’un intérêt pour ces statistiques prévisionnelles, généralement crédibles.

Quant à nos prévisions, elles sont fantaisistes en l’absence de statistiques fiables, d’observatoires et d’outils d’estimation des productions. En Novembre 2019, un communiqué du ministère stipulait que « le gouvernement compte rendre le pays autosuffisant en blé dur d’ici cette fin année », mais ironie du sort, quelques mois après, on importe des milliers de tonnes. Une gymnastique qu’on ne fini pas de reproduire. Ce qui a rendu caduque toutes les prévisions du ministère de l’agriculture.

De toute façon, les rendements des céréales en Algérie s’affaibliront de plus en plus, s’agissant d’une culture pluviale conduite sur les mêmes terres, sans rotation culturale ou en intermittence avec la jachère. Dans les 2 cas, les rendements ne risquent pas d’évoluer, s’ils ne diminuent pas. Cette année encore, des quantités plus importantes de céréales seront importées à des prix qui commencent à flamber par rapport à la pandémie de la Covid 19, pour compenser une bonne partie des pertes occasionnées à la production nationale par la sécheresse qui a fait que dans certaines régions, il n’y aura aucune production significative.

Récemment quatre marques d’huiles d’olive algériennes ont été primées lors d’un concours international organisé à Paris (France). Qu’est-ce que représente selon vous cette reconnaissance internationale pour l’huile d’olive algérienne ?

Au-delà de l’effort individuel entrepris par ces opérateurs que je félicite au passage, le tapage médiatique fait autour de ces distinctions est un brouhaha inutile, du fait de la confusion qui a entaché cet événement. Il faut comprendre que la promotion des produits marginalisés est devenue à la longue le cheval de bataille de AVPA France, qui a réussi à ouvrir des marchés de niches à des petits producteurs de café, de thé, d’huiles d’olive…etc.

Ce 18ème concours dénommé « Les huiles du monde » est donc dédié à des produits peu connus, par rapport à leurs aspects organoleptiques. A ne pas confondre avec le « Concours international d’huiles d’olive vierges extra Mario Solins du Prix à la qualité » organisé par le Conseil oléicole international, dont les conditions de participation sont draconiennes, qui ne permettent pas pour l’instant aux opérateurs algériens d’y prendre part.

A ce concours parisien, il y’a eu la participation de 10 pays qui ont présenté 250 échantillons d’huiles dont la moitié (117) ont été sanctionnés par rapport à 2 catégories de qualité. Celle du « fruité vert » connue dans le milieu professionnel international et celle du « fruité mûr », hors normes généralement commercialisée sur des marchés de proximité en tant que qualité immatérielle. Dans cette 1ère catégorie (Fruité vert) l’Espagne a raflé la mise avec 33 distinctions sur les 60 attribuées (55%). La presque totalité des autres concurrents ont parié sur le « Fruité mûr », ce qui correspond à la presque totalité des huiles d’olives algériennes. Nos lauréats ayant obtenu 4 distinctions sur les 58 attribuées pour cette 2eme catégorie.

Mais le hic, pour nos représentants à cette manifestation, est qu’ils ont consenti des efforts pour concourir par rapport à une catégorie de qualité qui n’a aucun avenir sur le marché international compte tenu des caractéristiques physico-chimiques de la variété « Chemlal » qui représente près de 60% de l’oliveraie algérienne. En effet, au-delà de l’indice de maturité 2,5 c’est à dire à partir des récoltes de la 1ère semaine de décembre, l’huile issue de cette variété perd environ 50% de ses propriétés nutritionnelles. Aussi le système d’extraction à « 3 phases » adopté en Algérie alors qu’il est abandonné de par le monde, réduit ce qui en reste de sa composante en phénols et polyphénols, qui représente l’essentiel de la valeur marchande de l’huile d’olives sur le marché international.

C’est un faux pas, dont la responsabilité incombe à nos instituts techniques pour avoir accompagné ou laissé agir ces opérateurs sur une fausse piste par rapport aux enjeux qui s’imposent à cette filière.

Les pouvoirs publics insistent dans leur communication sur le développement de l’agriculture saharienne présentée comme une alternative pour assurer la sécurité alimentaire du pays. L’agriculture saharienne est-elle selon vous un mirage ou une réalité?

Par rapport à ce projet d’agriculture saharienne, on a fait sortir cette idée du néant, puisqu’on a engagé aucune expertise de ces territoires. Puis on l’érigée en programme pour lequel on a créé un ministère délégué et des structures attenantes avec une rapidité sans commune mesure, et en projetant des mégas fermes pour produire du sucre, du lait, des céréales, des huiles et des graines oléagineuses…etc, dotées d’une industrie de transformation sur site. Ce qui, effectivement relève d’un mirage. Par contre, l’agriculture traditionnelle saharienne en tant que telle, a toujours existé. Les milliers de kilomètres de conduites d’eau d’un système d’irrigation ingénieux qui avait existé depuis la nuit des temps et les foggaras qui avaient servi d’un outil hydraulique de partage de cette eau, avaient permis une agriculture oasienne en étage, grenier intarissable des populations qui y vivent. Cette agriculture, certes archaïque, avait néanmoins valorisé à l’optimum ces écosystèmes micro-climatiques dans l’affrontement quasi quotidien des conditions extrêmes d’un désert des plus inhospitaliers du monde. Cette activité traditionnelle s’est vue « concurrencée » par une agriculture sous serre de légumes frais dans l’anarchie totale puisque non planifiée.

Un peu plus au nord, la steppe, une zone tampon où les populations vivaient de l’ovin et du caprin, s’est appauvrie dramatiquement du fait qu’un hectare de parcours suffisait pour alimenter jadis une brebis et sa suite immédiate, a présent, il faut au moins 5 hectares pour nourrir cette unité de cheptel.

L’agriculture saharienne n’est donc pas une utopie, si on agit dans le respect de son écosystème très fragile. Ce qui ne peut être entamé du jour au lendemain. En effet devant la pression de la facture de plus en plus salée de l’importation des produits alimentaires, on a ouvert ces régions à l’investissement à tout va, sans planification, ni une exploitation rationnelle et étudiée des nappes qu’on a d’ailleurs « oublié » de protéger contre la salinité qui prend sa source dans des gisements de sel de surface, et qu’on a fini par remonter en surface pour infecter le sol à son tour, au lieu de développer l’irrigation par inondation pour exploiter les eaux de pluie et la fonte des neiges de l’atlas saharien par rapport à certaines régions.

A défaut de développer l’agriculture du contexte méditerranéen du nord du pays, comme nos voisins, on a tenté de se rabattre sur l’Albien, une autre aubaine qu’on va saccager assurément à son tour pour produire pas grand-chose au final. L’Arabie Saoudite, qui s’est voulu faire partie des pays exportateurs de blé et de lait va finir par ne rien produire pour avoir asséché son sous terrain sur des centaines de mètres de profondeur. Un exemple édifiant à méditer, puisque l’Algérie a encore une chance qui consiste à valoriser économiquement les espaces productifs à travers une nouvelle politique agricole qui doit être calquée sur le physique de tous les territoires homogènes du pays ; à gérer par rapport à leurs spécificités.

Dans le dernier remaniement ministériel on a vu un changement à la tête du département de l’agriculture et la suppression du poste de ministre délégué chargé de l’agriculture. Quel est votre avis sur ce sujet ?

Ce remaniement vient à point nommé pour stopper une aventure aux conséquences incalculables à travers une soi-disant agriculture saharienne destinée à couvrir la défaillance du secteur agricole traditionnel qu’on n’arrive pas à faire évoluer. Surtout que ce projet devrait être financé quasi intégralement par l’Etat, puisque l’éventuel investisseur est invité à s’acquitter de 10 à 30% du projet qu’il aura à engager. C’est la reprise intégrale des formules scandaleuses des programmes engagés jusqu’alors, en l’occurrence l’ex CGA, le PNDA et les dispositifs d’emploi ANSEJ et CNAC où l’Etat est l’unique investisseur par le truchement des montages financiers à l’origine de toutes les tricheries.

Pour faire évoluer la situation, le nouveau ministre doit engager une nouvelle politique en adoptant de nouveaux dispositifs de fonctionnement de ce secteur à travers une nouvelle vision de transformation de contraintes en opportunités économiques . La dépendance vis-à-vis de produits agricole étranger doit servir d’axe de réflexion. Nous sommes convaincus à travers nos recherches dans le cabinet SIMDE, que la problématique fondamentale est liée à la mauvaise organisation de ce secteur et de l’administration qui est sensée le gérer. Nous estimons qu’une telle politique est la seule en mesure de remettre ce secteur sur des pistes sûres dans un délai raisonnable de quelques années sans investissements démesurés.

Selon vous, qu’est-ce qui freine l’émergence et le développement du secteur agricole en particulier en ce qui concerne les produits de large consommation qui incarnent la dépendance alimentaire du pays ?

C’est l’éternelle question qui revient à chaque fois dans les débats autour de cette dépendance alimentaire du pays par rapport aux importations. A vrai dire, nous n’avons pas de filières dans le vrai sens du terme, ce qui fait qu’il n’y a donc pas de notion de filière qui puisse être partagée entre l’Etat et l’agriculteur par rapport à des objectifs précis, qui seraient fixés et élaborés dans le cadre d’une planification qui elle-même n’existe pas. Plus que ça, on dégage une idée irréfléchie pour laquelle on tente de mettre en place une panoplie de mécanismes, de logistiques et de financement qu’on abandonne quelques années après pour n’avoir pas produit des résultats probants.

Par rapport au potentiel humain il y a une absence totale d’identification de groupes socio-économiques spécifiques pour leur attribuer les missions de développement en fonction de leur pouvoir d’intervention. Mais aussi le manque flagrant de professionnalisme à tous les niveaux de l’administration et de la profession est aggravé par l’absence flagrante d’un réseau de communication par rapport au marché et aux productions.

La sécurité alimentaire du pays n’est pas prise en charge dans un cadre politique qui puisse permettre d’encadrer les politiques agricoles. On est donc dans un contexte où « chacun pour soi et Dieu pour tous » et où aucun ministre ne peut faire évoluer la situation.

C’est toutes ces raisons qui ont fait que notre agriculture est un éternel secteur à la charge de l’Etat au lieu de produire des richesses dans un cadre cohérent, durable et stable.

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