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Comment le secteur agricole peut profiter des opportunités de la blockchain

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Apparue sur la dernière décennie, la blockchain fait aujourd’hui l’objet de vifs débats. Présentée de plus en plus comme une révolution majeure, la technologie pourrait représenter une opportunité pour l’agriculture, à condition que certains écueils soient surmontés. Eclairage.

« La machine à créer de la confiance » : D’après l’OMC, la blockchain ou chaîne de blocs est un registre numérique de transactions qui est décentralisé (aucune entité ne contrôle à elle seule le réseau), distribué (les dossiers sont partagés avec tous les participants) et dans lequel les transactions sont stockées de manière très sûre, vérifiable et permanente. 

Les   transactions   enregistrées sont combinées en « blocs » qui sont « enchaînés » les uns aux autres au moyen de la cryptographie, d’où l’expression « chaîne de blocs ».    « Il faut imaginer un très grand cahier que tout le monde peut lire librement et gratuitement, sur lequel tout le monde peut écrire, mais qui est impossible à effacer et indestructible », explique Jean-Paul Delahaye, professeur émérite en informatique à l’Université Lille I. En d’autres termes, chaque élément réparti contient les éléments nécessaires à garantir l’intégrité des données échangées faisant alors du système lui-même le tiers de confiance.  Ces différentes caractéristiques ont poussé le magazine d’actualité britannique The Economist à surnommer la blockchain, la « Trust Machine » (machine à créer de la confiance).

Pour le secteur agricole, la technologie offre de nombreuses promesses en termes d’applications.  

Un atout dans la traçabilité alimentaire : L’une des utilisations les plus prometteuses de la blockchain est l’amélioration de la transparence et de la traçabilité au niveau de la chaîne d’approvisionnement alimentaire ou de chaîne de valeur agricole.

Dans une étude baptisée « Blockchain : Key Vertical Opportunities, Trends & Challenges 2019-2030 », la firme d’analyse Juniper Research indique que la blockchain pourrait permettre de réaliser à l’échelle mondiale des économies de 31 milliards $, en matière de fraude alimentaire, d’ici 2024, avec le suivi des produits le long de la chaîne d’approvisionnement. La blockchain offre ainsi un moyen efficace d’assurer que les produits répondent aux normes sanitaires exigées et de redonner confiance aux consommateurs grâce à une totale transparence.  

S’il est vrai que, dans la réalité, des tierces parties doivent encore vérifier les processus hors chaîne, la technologie reste une alternative intéressante aux systèmes de traçabilité classiques souvent coûteux pour les pays africains.  Elle pourrait faciliter l’accès aux marchés pour les exportateurs et permettre aux petits producteurs de prouver la qualité de leurs produits et négocier des prix justes. Par exemple, en Ouganda, la firme Carico Café Connoisseur, une entreprise fondée en 2016, s’est lancée en 2018, dans l’utilisation de la blockchain qui lui permet d’enregistrer et de suivre le parcours du café depuis le champ jusqu’au magasin.

En scannant le code QR de l’étiquette avec leur smartphone, les consommateurs peuvent accéder au lieu de culture, au type de café et vérifier l’authenticité du produit.  

La première cargaison de son café commercialisé sous la marque « Bugisu Blue » et utilisant la blockchain est arrivée en Afrique du Sud en décembre 2018. D’après les fondateurs de Carico Café Connoisseur, le processus pourrait notamment conduire à une hausse de 10 % des revenus des producteurs avec lesquels elle travaille au sein de deux coopératives.

La réduction des coûts de transports des matières premières : La blockchain est considérée par beaucoup comme une technologie pouvant changer la donne dans le secteur du transport maritime et du commerce international, en raison de son fort potentiel de transparence et de sécurité.  En effet, si des efforts ont été entrepris pour numériser certaines procédures commerciales, les transactions commerciales dépendent toujours autant du papier et font intervenir de multiples acteurs.

Un exemple fourni par l’OMC illustre parfaitement cette situation : « En 2014, la compagnie de transport Maersk a suivi un conteneur réfrigéré rempli de roses et d’avocats depuis le Kenya jusqu’aux Pays-Bas, dans le but de documenter le dédale de processus physiques et de formalités administratives que chaque envoi doit suivre. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : environ 30 organismes et plus de 100 personnes sont intervenus tout au long du voyage, le  nombre  d’interactions  excédant  200.  Il a fallu environ 34 jours pour que l’envoi parvienne aux détaillants  depuis  l’exploitation  agricole, dont 10 jours d’attente avant que certains documents ne soient traités. Il s’est avéré qu’il manquait l’un des documents clés ; il a par la suite été retrouvé au milieu d’une pile de papiers ».

Selon les estimations de la firme américaine IBM, le transport d’un conteneur d’avocats de Mombasa à Rotterdam, premier port européen, coûte environ 2000 $, dont 300 $ pour les formalités administratives. Dans ce contexte, les caractéristiques particulières de cette technologie en font un outil particulièrement intéressant pour simplifier le processus de réduction des coûts. Elle peut permettre des économies considérables dans le secteur du transport maritime qui transporte environ 90% des marchandises échangées au niveau international.

« Certains acteurs prévoient que la digitalisation de la chaîne d’approvisionnement au moyen de la technologie blockchain permettrait d’économiser jusqu’à 20% des coûts du fret maritime international, en simplifiant considérablement la documentation commerciale et, in fine, en réduisant fortement les risques de fraudes ainsi que le délai de transport des marchandises », explique Jérémie Rolle, consultant Data & Analyste pour le cabinet d’analyse PwC France.

Pour IBM, une numérisation totale pourrait faire économiser aux transporteurs maritimes environ 38 milliards $ par an. Plusieurs entreprises de négoce de matières premières agricoles se sont déjà tournées vers la blockchain afin d’automatiser des processus post-transactions des oléagineux et des céréales. 

Le trader suisse Louis Dreyfus a été le premier à effectuer, en janvier 2017, avec d’autres partenaires, la première transaction de matières premières agricoles via la technologie. D’autres négociants comme Glencore, Cargill, Archer Daniels Midland devraient lui emboîter le pas.

L’amélioration du cadre de la gestion foncière : Sur le continent africain où la grande variabilité des droits fonciers freine l’investissement agricole, la création de cadastres adossés à la blockchain pourrait apporter aux titres fonciers africains une meilleure crédibilité. L’impossibilité de modifier les informations dans la chaîne de blocs devrait permettre de sauvegarder toutes les informations concernant le cadastre foncier au niveau des villes ou d’autres zones administratives. Elle pourrait ainsi, par ricochet, permettre aux autorités de disposer d’informations sécurisées et fiables sur les titres de propriété, à l’abri de toute corruption ou malversation. Cette application a été expérimentée dans la ville de Kumasi (Ghana) par l’ONG Bitland. L’organisation permet aux individus et aux institutions d’enregistrer leurs actes fonciers en remplissant un formulaire sur internet. Les données sont ensuite enregistrées dans la blockchain. La compagnie a pour ambition de porter cette démarche à plus grande échelle dans d’autres pays du continent, d’ici 5 ans.  

Les défis liés au déploiement de la blockchain : Bien que la blockchain offre de nombreuses possibilités pour le secteur agricole sur le continent, comme dans d’autres zones du monde, elle pose également plusieurs défis. En effet, la création d’une plateforme de chaîne de blocs est une démarche qui nécessite des processus d’intégration complexes. Ainsi, pour profiter du potentiel de la blockchain, cela suppose une numérisation en amont des composantes du processus ainsi qu’une connaissance technique nécessaire pour participer à la technologie, ou au moins des ressources pour utiliser un fournisseur de service. Au-delà de la technologie, le déploiement de la blockchain doit s’inscrire dans un cadre juridique qui détaille les contours des transactions de la chaîne de blocs et clarifie les responsabilités des parties prenantes.  « Sans ce volet réglementaire, la technologie de la chaîne de blocs pourrait bien être cantonnée à des projets pilotes », fait remarquer l’OMC.  

De nombreux changements à venir : La technologie de la blockchain a été utilisée pour la première fois en 2009, par Satoshi Nakamoto (pseudonyme du ou des fondateurs de la blockchain, ndlr), comme fondement du Bitcoin. Cette première monnaie virtuelle était alors perçue comme une solution de remplacement aux monnaies, dans un contexte de perte de confiance dans un système financier en pleine crise financière, et plus généralement dans la gouvernance publique.  Si le Bitcoin est la première application concrète de la chaîne de blocs, il faut attendre 2013 pour que le concept prenne son essor.

Depuis lors, la technologie suscite quelques controverses. Chez les plus optimistes, la blockchain est perçue comme un canal d’échange entre différents acteurs, indépendamment d’un organe central dans un contexte marqué par une monopolisation des services dans l’économie numérique. Pendant ce temps, les détracteurs mettent en avant une infrastructure virtuelle offrant un terreau favorable à des activités hors de contrôle de toute autorité souveraine.  Mais qu’ils soient enthousiastes ou pessimistes, la plupart des acteurs s’accordent à dire que la blockchain engendrera sans aucun doute de nombreux changements d’ordre économique, social voire politique de notre société.

Ecofin

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