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Présidentielle : Peut-on ignorer longtemps encore les revendications du hirak ?

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Même si le dispositif de l’élection présidentielle du 12 décembre est loin d’être opérationnel dans toutes les circonscriptions électorales et le mouvement du 22 février qui s’oppose à cette élection et prend chaque jour un peu plus de puissance, l’état major militaire qui a imposé ce rendez-vous électoral semble, malgré tout, obstiné à tenir à sa feuille de route.

Peu de wilayas et communes disposent en effet des organes légaux habilités à  prendre en charge cet événement, conformément à la loi électorale et aux textes qui régissent le fonctionnement des commissions électorales. Les wilayas et communes éparpillées sur le vaste territoire algérien, ne sont effectivement pas toutes dotées de commissions électorales, pourtant indispensables à la gestion et à la supervision des élections à tous les niveaux du processus.

Par ailleurs, dans certaines communes les bureaux électoraux sont carrément murés ou, dénués d’agents communaux qui refusent d’y travailler. Les promesses d’obstructions populaires régulièrement réitérées à l’occasion des manifestations populaires, rendent par ailleurs le rendez vous électoral du 12 décembre très aléatoire et, dans bien des cas, impossible.

A moins que les informations en provenance du terrain ne remontent pas vers lui ou, plus grave encore, lui parviennent tronquées, le haut commandement militaire est sensé connaître cette triste réalité et réagir en conséquence, au risque d’imposer un événement qui peut tourner à l’échec, ou pire encore, au drame. Au moment où nous écrivons cet article (le 30 novembre 2019), l’état major militaire est encore dans cette attitude jusqu’au-boutiste que résume parfaitement ce vieil adage « ça passe ou ça casse ». C’est en tous cas l’état d’esprit qui prévaut aujourd’hui malgré un faisceau d’alertes qui recommande une attitude autrement plus prudente.

Mais à regarder de près, cette feuille de route que le chef de l’armée veut coûte que coûte imposer, est battue en brèche par une série de gros obstacles, qu’on ne peut feindre d’ignorer. Le premier d’entre est évidemment la montée en puissance de l’insurrection populaire qui ne se contente plus de manifester son hostilité à cette élection dans les rues de pratiquement toutes les villes du pays les vendredis et mardis, mais depuis peu, tous les jours et les soirs de la semaine. Nos émigrés sont également mis à contribution pour épauler le hirak en défendant sa cause dans tous les pays occidentaux, et leur aide est d’une efficacité redoutable.

Le second motif d’inquiétude vient évidemment du rejet par la majorité des algériens, des cinq candidats en lice, auxquels ils expriment leur hostilité à l’occasion de leurs déplacements électoraux. Cette parodie d’élection qui semble être jouée d’avance en faveur du candidat Azzedine Mihoubi n’a pas de quoi plaire aux algériens, qui se sentant floués par l’état major militaire, expriment leur mécontentement de cette manière. Aucun candidat, mis à part le très protégé Azzedine Mihoubi, pour l’instant n’a réussi à tenir un meeting dans la sérénité et la tendance va très certainement, perdurer durant toute la campagne, qui ne prendra fin que le 8 décembre au soir.

L’autre sujet d’inquiétude et non des moindres, a trait au manque d’engouement pour ce scrutin fabriqué de toutes pièces et imposé par le haut commandement militaire. Il est en effet très rare de trouver un algérien emballé par ce rendez-vous électoral qui vous déclare ouvertement vouloir se rendre aux urnes le jeudi 12 décembre. Au mieux, c’est l’indifférence qu’on peut encore relever chez quelques uns, au pire c’est le rejet du vote par l’écrasante majorité de ceux qui se sont confiés à nous. Et pour preuve, les manifestations publiques suscitées par les walis, ont pratiquement toutes tournées au ridicule au vue du nombre et de la qualité des participants, en dépit de la protection des forces de l’ordre et des moyens matériels dont on les a fait bénéficier.

Il y a enfin, l’écueil des urnes qu’il sera bien difficile de mettre en place à l’étranger, notamment dans les pays à forte émigration. Que ce soit en France, en Espagne, en Belgique, en Italie, en Grande Bretagne, au Canada où aux États Unis, l’hostilité à l’égard de la présidentielle du 12 décembre est franchement déclarée par nos compatriotes, aux portes des Ambassades et consulats algériens. Selon des informations qui nous sont parvenues d’Espagne, des initiatives de notre diaspora (cas de Madrid et Barcelone) seraient même envisagées pour bloquer l’accès aux bureaux de vote les jours de scrutin.

Il reste évidemment au pouvoir la possibilité de faire voter les corps constitués (militaires, gendarmes, policiers et agents de la protection civile), un grand nombre de fonctionnaires et, bien entendu, la manipulation du fichier électoral, d’où les virtuoses de la fraude pourraient tirer, au minimum, quatre millions de faux électeurs. Mais tous ces dépassements réprimés par la loi électorale et le code pénal, ne feront pas de ce scrutin imposé par l’état major, une élection honnête et transparente. Elle sera entachée d’irrégularités qui déteindront négativement sur la légitimité du président élu dans pareilles conditions. Les réseaux sociaux présents à tous les niveaux de la chaîne électorale sauront mettre en évidence cette arnaque pour en faire un scandale retentissant à l’intérieur du pays comme à l’extérieur.

Pour toutes ces raisons, nous pensons que la « raison »finira par primer dans les tous prochains jours. La possibilité d’un report dont la rumeur circule à plein régime sur les réseaux sociaux et parmi les citoyens ou carrément, l’annulation de ce scrutin au profit d’une période de transition, n’est également pas à écarter, bien qu’on en parle moins.

Le report de l’élection serait évidemment le pire scénario pour le pays, en ce sens qu’il ne constituera qu’un répit pour l’état major militaire, qui le mettra à profit pour imposer, en position de force, une nouvelle date de scrutin sans rien changer à la réalité du système qu’il cherche toujours à perpétuer. L’état major aura ainsi le temps de mettre en prison tous les opposants qui le gênent, d’acheter la complicité des officines étrangères et de plonger le pays dans un climat de terreur qui tétanise toutes initiatives contraires à ses objectifs de caporalisation de la société.

L’état major pourrait ainsi prolonger de quelques mois son emprise totale sur le pouvoir, voir même ressusciter ses réseaux de soutien traditionnels (UGTA, FLN, Zaouïas etc.), sans pour autant résoudre le problème de la contestation qui, faute de réponses à ses revendications politiques, n’arrête pas de gagner en puissance, avec tous les risques de dérapages, qui pourraient résulter des frustrations accumulées depuis bientôt dix mois de hirak.

Bien conscient de tous les risques qui pourraient naître d’une insurrection populaire, certes pacifique, mais qui pourraient, pour diverses raisons, être détournée de son cours tranquille, l’état major militaire pourrait réagir dans les tous prochains jours, pour annuler ou, seulement, reporter cette troisième échéance électorale. Cette décision importante, déjà précédée par des rumeurs savamment distiller pour jauger les réactions de l’opinion publique, est très certainement à l’ordre du jour et il ne saurait en être autrement, à moins que de vouloir précipiter un pays, en proie à une crise politique et morale sans précédent, vers l’irréparable. Le report de l’élection à une date ultérieure serait évidemment la pire des solutions, car elle ne ferait que prolonger la durée de la crise avec le même système et les mêmes hommes au pouvoir.

Les algériens en quête d’une véritable transition devront alors continuer à manifester massivement, en augmentant chaque jour un peu plus leur cadence et leur radicalité, à l’effet de faire aboutir les revendications desquelles ils ne démordront jamais. Par la faute d’une gouvernance têtue et mal éclairée, qui refuse au peuple ce qui lui revient de droit, l’Algérie risque de plonger dans une périlleuse instabilité politique, si l’état major venait à décider d’un simple report du scrutin du 12 décembre.

Par contre, dans le cas où l’état major venait à accepter la transition réclamée par l’écrasante majorité des algériens, les choses pourraient évoluer autrement, pour le bien des deux parties en conflit. Bien qu’il s’attache chaque jour, a manifester son option pour un forcing électoral, il y a tout de même quelques indices qui montrent que sa position en la matière pourrait évoluer vers l’issue d’une transition politique telle que réclamée sans relâche par les algériens. Cela pourrait, à la limite même l’arranger, du fait que des lois aussi importantes que la loi de finance pour l’année 2020 et celle relative aux hydrocarbures promises aux multinationales, peuvent être signées en toute quiétude par le Chef de l’Etat par intérim, sans devoir attendre, comme cela vient de se faire avec le tout récent décret de création de dix nouvelles wilayas, le nouveau président de la république qui devait sortir des urnes du 12 décembre 2019.

Mais au delà de toutes ces considérations, annuler cette élection de tous les dangers, pourrait surtout constituer un geste d’apaisement envers une société qui manifeste massivement et pacifiquement depuis bientôt dix mois pour réclamer un droit garanti par la constitution. L’annulation de l’élection pourrait également constituer une halte de cette vague de répression et d’arrestations arbitraire qui commencent à traumatiser les algériens et susciter un dangereux mécontentement collectif.

Il est évidemment trop tôt pour disserter de la forme et du contenu de ce que pourrait être ce contrat social qui conviendrait aux deux parties en conflit. On en reparlera dans les tous prochains jours si, évidemment, la situation politique du pays venait à évoluer dans ce sens.

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