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Boualem Aliouat, professeur à l’université de Nice: « Le Hirak: Intrigue et démêlée d’une impasse annoncée »

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Ma réflexion à propos du « hirak » n’est pas ici de revenir sur les causes généralement répétées dans tous les médias à propos de la « vénézualisation » du pays, des injustices commises par le système au pouvoir, des prédations infâmes, de l’incompétence inqualifiable des gouvernants, ou d’autres raisons encore que nous répétons sans cesse depuis des années, celles-là mêmes qui nous mènerons prochainement au FMI et dans le giron des nations incapables de tirer utilement profit de leurs ressources naturelles par des pratiques de bonne gouvernance, des investissements créatifs, des facilitations entrepreneuriales, de la formation et de l’incitation à l’innovation dans tous les secteurs diversifiés susceptibles de sortir de la dépendance à la rente liée aux énergies fossiles. Nul besoin non plus de rappeler que les rentes politiques, énergétiques, publiques, népotiques, etc. ont montré leurs limites dans leurs capacités à redistribuer les richesses au plus grand nombre. Plus personne, les jeunes en tête, ne croient désormais dans la durabilité de ces martingales qui ont fait illusion un temps comme l’ont été tous nos projets « Potemkine » dans le domaine des parcs technologiques, des énergies renouvelables, des projets agroalimentaires ou de la révolution digitale. Tout n’était (ou presque) que propagande sans lendemain destinée le plus souvent à masquer des pratiques moins avouables de transferts de fonds publics, de biens mal acquis et de prédations en tout genre. Le peuple, qui vit un passage générationnel c’est important de le signaler, entend désormais faire valoir son rejet du système dont il sent bien qu’il le mènera à un avenir calamiteux, pourvu que durant le temps qu’il lui reste à revendiquer, les fuites de capitaux et de ressources ne mèneront pas à un dévissage dramatique du dinar et donc à une perte de pouvoir d’achat sans précédent en Algérie, effroyable pour les classes moyennes et inférieures. Mais la dilatation du temps dans le processus qui mènera au changement est aussi précisément la variable qui mène à l’impasse institutionnelle destinée à mettre tout un peuple devant ses contradictions entre volonté d’un ordre nouveau et désordre institutionnel.

La fin d’un Califat

A ce constat, il faut bien ajouter le dernier épisode de la démission présidentielle, sous forme de lettre d’excuse, qui en dit long sur la suite et la guerre des clans dans les méandres excessivement complexes du pouvoir de cet Etat sandwich qui comprend un sommet oligarchique et une base populaire sans aucune ligne hiérarchique intermédiaire qui soit effectivement décisionnaire en quoique ce soit, j’y reviendrai. Le pouvoir était si entremêlé que plus personne ne prenait de décisions réellement, pas mêmes les autorités suprêmes tant elles s’entredéchiraient en permanence. Rappelons à ce titre que le départ de Bouteflika a convoqué une sortie théâtrale digne des plus grands califats. Cette sortie était sensée coiffer son règne d’une légitimité religieuse qui confine aux précieuses ridicules d’un autre temps ou d’un autre lieu. La convocation du religieux était sensée recouvrir d’un voile divin l’irrationnel, l’inexplicable, l’impensable et l’échec d’une politique improbable et hasardeuse. Sans doute, son clan a t’il confondu l’Algérie avec une péninsule arabo-persique, mais ce ne serait là qu’un moindre de leurs défauts de clairvoyance. Cela en dit long cependant sur l’acte fondateur du règne de Bouteflika, celui de la concorde civile, treille où le pampre d’une République hyper-présidentielle se mêlera dangereusement à la ronce d’une théocratie insidieusement dévoyée. Personne n’a été dupe de la manœuvre pathétique d’un départ mis en scène par un entourage peu scrupuleux, démontrant encore une fois à quel point l’utilisation sans vergogne de la figure du président laissait à penser qu’elle faisait encore recette. L’illusion d’un départ culpabilisant de tout un peuple qui n’aurait pas saisi le caractère « prophétique » des noces de porcelaine du califat, a rapidement fait place à une répétition de la revendication populaire que certains ne veulent ni entendre ni comprendre.

Un mouvement pour un ordre nouveau

Les détracteurs du mouvement populaire, y compris parmi ceux qui sont encore au pouvoir, n’en finissent pas de dénoncer les risques d’anarchie et d’impasse dans lesquelles nous mèneraient des revendications qui confinent à l’éradication de tout le système politique en place. Or, ce que nous dit paradoxalement le soulèvement du peuple algérien, à mon sens, relève moins d’une volonté anarchisante de tout remettre en cause, que d’un rappel à un besoin d’ordre et d’organisation. Toute nation se doit d’agir sous la forme d’un corps politique, et nécessite donc un ensemble de normes suprêmes, une Constitution inviolable, qui posent les limites générales entre le légal et l’illégal, parfois entre le moral et l’immoral (ou l’amoral). Toute Constitution forme d’abord une charte des droits et libertés des citoyens, avant de régir l’organisation des pouvoirs publics. Les premiers étant garantis par les seconds sous le contrôle d’une autorité juridictionnelle. Le terme de Constitution renvoie donc à l’idée d’Etat, d’ordre et d’organisation. Or, depuis les premières décennies de la république algérienne, et ces vingt dernières années en particulier, il n’a été question que de construire un régime soumis au désordre permanent qui donne l’impression diffuse que la Constitution algérienne, même imparfaite, n’a jamais été appliquée dans ses principes fondamentaux, d’abord parce qu’aucune organisation rationnelle des pouvoirs n’a été respectée et qu’aucun contrôle juridictionnel ne s’exerce en toute autonomie. Le drame, c’est qu’au lieu de développer une conception normative de la Constitution algérienne, tous les régimes en place n’en ont eu qu’une conception descriptive ou institutionnelle qui ne perçoit la Constitution que comme un régime politique ou un système de gouvernance. En ce sens, la volonté du peuple algérien qui s’exprime pacifiquement depuis le 22 février (et à plusieurs reprises dans son histoire depuis 1954 et 1988), est précisément de revenir à une conception normative de la Constitution préservant ses droits et ses libertés, et donc de renverser le système dans son entier en tant que Régime politique (ou système de gouvernement) focalisé sur son propre pouvoir en parfaite déconnexion de la volonté du peuple. Autrement dit, le peuple algérien, loin de vouloir le désordre, et il le montre par son attitude pacifique, réclame l’ordre et la justice sociale qui permettent une juste redistribution des richesses et une égalité de chances à construire ses projets individuels et collectifs. Le peuple algérien veut juste ce qui se pratique dans la plupart des pays développés car la conception normative de la Constitution est aujourd’hui une conception dominante partagée par tous les pays développés. En l’état actuel des choses, nous irons sans doute vers une vision pluraliste qui associe les deux conceptions, normative et institutionnelle, comme je tenterai de le démontrer ci-après.

Un ennemi commun, pas de projet commun

Le « hirak » algérien traduit actuellement une situation confuse où il semble que tous aient un ennemi commun, mais pas forcément un projet partagé porté par un collectif commun, d’où la difficulté à sortir d’une impasse où le peuple agrège sans fédérer. Ce soulèvement, y compris après le simulacre du retrait théâtral de la présidence, arbore un radical geste de rejet de toutes instances ou personnes associées au régime ou au contexte politique lui-même associé à l’opportunisme voire à la prédation des ressources nationales. Pêle-mêle, on rejette les politiques d’abord, les militaires et consorts du DRS ensuite, mais aussi les oligarques entrepreneurs accusés d’avoir contribué et au pillage des ressources et au maintien du système politique pendant de nombreuses années. Le FCE et l’UGTA en tête font figures d’organisations complices des rendez-vous manqués avec l’histoire et du pourrissement de la situation économique, politique et sociale qui perdure en Algérie depuis plusieurs décennies. Plus surprenant est le rejet de tous les autres chefs d’entreprise sans distinction ni ménagement. Certains chefs d’entreprises, notamment au sein de CARE, pourtant depuis longtemps associés aux réflexions d’opposition dénonçant les pratiques mafieuses, se sentent en partie relégués au même rang que les entrepreneurs coupables de s’être illégalement enrichis aux côtés dedécideurs politiques véreux. Encore plus surprenant, Mustapha Bouchachia fait la dure expérience d’avoir été écarté d’un mouvement populaire à Adrar, ZoubidaAssoulest désormais soupçonnée de tergiverser sans cesse et ne recueille plus autant d’assentiment qu’à ses débuts, Rachid Nekkazest moqué ou aspergé dans les rues effervescentes d’Alger, Saïd Saadi est pareillement éloigné d’un rassemblement et les partis politiques sont globalement régurgitéscomme n’ayant jamais été vraiment dans une opposition effective. Bref, le peuple semble rejeter tout le système et ses supposés avatars. Or, encore une fois, sa marche pacifique relève d’un besoin d’ordre et non d’anarchie ; et sa cohérence doit être d’abord recherchée dans son refus de tout élitisme, à ses yeux, dévoyé. Il est clair que sans rassemblement sur la base d’une plateforme commune, toutes ces personnalités, parmi celles qui sont les plus crédibles, légitimes et acceptables, essuieront encore et encore le rejet d’un peuple pour les projets de société centrés sur les égos. D’ailleurs, aucune des personnalités supposées représenter le « Hirak », n’a pu à ce jour proposer un cap au peuple. Le mouvement du peuple algérien est le fruit d’un collectif fédéré autour d’un objectif commun de rejet du système politique en place.Il est pluriel et ses leaders se doivent d’être tout autant pluriels et représentatifs de ses sensibilités et de la diversité de ses périmètres de projets.Toutes les initiatives individuelles ou les cheminements focalisés sur une seule personne, ont fait l’objet d’un rejet instinctif du peuple.Toutes les femmes et les hommes de bonne volonté, toutes celles et ceux qui ont vocation à guider et servir le peuple dans ses revendications légitimes, sont invités à unir leur force et leurs engagements au sein d’une plateforme commune et fédératrice.De cette plateforme (peu importe son nom) sortira un grand projet partagé de refonte de nos institutions, pour une meilleure justice sociale, une redistribution équitable des richesses, une affirmation des droits et libertés et l’établissement d’un Etat fort et juste.

Le rejet des élites

Le peuple algérien a un rapport complexe avec l’élitisme. Nous en proposons d’abord deux formes, l’une liée à la passion égalitaire congénitale de son combat révolutionnaire, l’autre construite et exacerbée par des années de paternalisme socialisant, avant d’évoquer une troisième forme construite par l’abaissement d’un peuple qui respectait pourtant l’ordre et ses dépositaires. La guerre de libération se construit d’abord sur un idéal républicain qui repose sur l’égalité de droit que le colonialisme lui refuse, niant par là-même son identité et sa dignité. Une passion égalitaire que l’on retrouve d’ailleurs dans toutes les révolutions (cubaine, russe, américaine, anglaise…) et Tocqueville lui-même la conceptualise dans le comportement révolutionnaire des français en 1789 confrontés à la tyrannie féodale qui a asservi la société civile. A chacun les mêmes droits et qu’il les exploite selon ses moyens. Cette passion égalitaire algérienne a été ensuite accompagnée, structurée et même exacerbée par le régime socialiste des années Boumédiène. A chacun selon ses besoins, et non plus ses moyens. Cependant, depuis quelques années, s’est progressivement construite une tout autre conception de l’élitisme en Algérie. L’élite est devenue le symbole de la nouvelle classe bourgeoise qui s’est arrogé des droits et l’essentiel de la rente bien au-dessus des droits communs du citoyen algérien. Et au lieu de saluer et servir le peuple qui respectait l’autorité en place, cette nouvelle classe bourgeoise condescendante et arrogante s’est mise à le mépriser et le tenir en respect, détruisant ainsi toute relation de confiance entre le peuple et l’autorité institutionnelle politique ou économique dans son ensemble. Aujourd’hui, tous sont suspecté d’avoir contribuer au système d’une manière ou d’une autre. Les partis politiques ont-ils été dans l’opposition effective ou ne faisaient-ils parties que d’un folklore de démocratie d’opérette ? Les chefs d’entreprise, s’ils ont réussi quelque affaire, ont-ils pour ce faire usé de quelques pratiques frauduleuses ou passe-droits ? Les personnalités émergentes de la société civile supposées défendre des droits, ont-ils été vraiment efficaces ou même audibles ? Toutes ces questions restent en suspens et parasitent l’accueil du peuple pour toutes ces personnes qui apparaissent davantage comme des nantis ou des opportunistes centrés sur leur égo, et ce sans discernement.

A l’inverse, l’accueil fait, le vendredi 5 mars, aux héritiers des figures historiques de Mohamed Boudiaf, Abane Ramdane, Mohamed Khider, Larbi Ben M’hidi, témoigne d’une volonté d’un retour au point de départ. Le peuple algérien semble dire qu’il veut revenir à la première révolution spoliée et violée, tout reprendre à zéro. Et cela conforte l’idée qu’il veut revenir à l’ordre vrai, une constitution normative où ses droits et ses libertés sont réellement garantis dans le cadre d’une démocratie tout à la fois participative et représentative. Ce qui suppose un véritable re-engeniering de la gouvernance. La question est donc de savoir qui prendra la responsabilité ou le lead d’un tel chantier. Sur cette question, l’armée nationale, si elle n’est pas avare d’intrigues au sommet, n’en demeure pas moins muette sur ses intentions réelles. Et comme aux échecs, elle semble disposer de quelques coups d’avance tant qu’elle a les pions en main.

Le leader providentiel

Le changement en Algérie passera forcément par une nouvelle forme de leadership identifiable. Certes, l’homme ou la femme providentiels du changement n’existent pas. Cependant, on peut s’en approcher et les candidats ne manquent pas : il ou elle sera relativement jeune, étranger(ère) aux circuits de corruption et de transferts illégaux de fonds publics douteux et de biens mal acquis, acquis(e) à la cause du peuple, à l’intérêt général et au bien commun, compétent(e) en matière de gestion de fonds publics et d’affaires publiques, acquis(e) aux bonnes pratiques de gouvernance (transparence, recevabilité, responsabilité, efficience/efficacité…), démocrate et soucieux(euse) de l’indépendance des pouvoirs parlementaire, constitutionnel et judiciaire, respectueux(euse) des droits de l’homme et du citoyen (libertés individuelles, égalité de droits, représentants indépendants…), issu(e) de la société civile et citoyenne (et non militaire, sécuritaire ou du renseignement), légitime, crédible et acceptable et porteur(euse) d’une forte ambition et d’une vision stratégique forte pour son pays. Tous les membres de son équipe gouvernementale devront porter les mêmes caractéristiques de probité, de compétence, de responsabilité et de bienveillance, et les mêmes ambitions. Cela implique aussi une capacité de dialogue constructif et responsable avec le peuple qui prendra lui aussi la mesure des efforts à déployer pour mener à bien toutes les réformes nécessaires. Une éventuelle Constituante, ou assemblée collégiale, ou comité des sages (peu importe son nom) mettra au référendum le vote sur une nouvelle constitution issue de la volonté du peuple, pour une deuxième république. Le peuple se montrera lucide face aux défis si on lui tient un langage de vérité. Les jeunes ont démontré ce potentiel à travers toutes leurs initiatives, leur lucidité, leur détermination et leur intelligence de situation. Il faut que cette énergie positive serve de terreau aux réformes. L’après est possible et il est même indéfectiblement nécessaire. Français, anglais, américains, coréens du sud, japonais, allemands, italiens, espagnols, pays de l’Est…ont tous connu des périodes comparables à celles de l’Algérie d’aujourd’hui dans leur histoire. Ils n’ont pas douté de l’après. Ils ont écrit leur nouvelle constitution, leur déclaration des droits de l’homme et du citoyen, leur déclaration d’indépendance, leur projet de société nouvelle et le cap de leur avenir. Ont-ils eu tort de ne pas avoir douté ? Bien évidemment non,ce sont aujourd’hui des puissances reconnues dans le concert des nations. Cependant, gardons à l’esprit que peu de pays ont réussi leur parfaite résilience en dehors de l’Allemagne, du Japon et de la Corée du Sud. Or, ces pays disposaient au préalable de fondamentaux incontestés. L’Algérie ne pourra faire l’économie de ses fondamentaux, notamment par la formation solide des nouvelles recrues qui dirigeront la nation. Ne cédons jamais au doute. Si nous croyons en nous, tout le monde croira en nous. Le changement n’est pas insurmontable. Il est à portée de main pour les hommes et les femmes de bonne volonté.

Le risque d’une énième confiscation

La confiscation de la loi du peuple à disposer de lui-même n’est pas une hypothèse improbable à ce stade du « hirak » et à l’approche d’un mois de ramadan attendu par certains comme le mois de l’accalmie. De George Orwell qui nous offre une image effroyable de cette confiscation dans « Animal Farm »à Ibn Khaldun et ses analyses sociologiques renversantes de la topographie sociale du Maghreb et en particulier de l’Algérie offerte aux caprices des archaïsmes imposés par quelques potentats sans vergogne, nous pouvons imaginer le sort que certains réservent à la volonté du peuple.

Le peuple va sans doute vivre ces jours prochains, ces mois prochains, l’une des plus redoutées intrigues de toute sa vie car pendant qu’il jette sa poitrineau-devant de l’histoire, pendant que ses cris du cœur déchirent le silence des nantis, pendant que ses rêves avalent le bitume des années d’amertume, il se trame dans les rizières de la rancune, les pires jeux que la vindicte populaire peut encore offrir aux soldats de l’embuscade.

Ces soldats sont constitués des clans porteurs d’ambitions tout aussi nocives que celles que le peuple laissera derrière lui. S’il n’y prend garde, si on lui laisse croire que son jeune âge n’a de place qu’au rayon des utopies candides et des rêves infantiles ou puériles, son combat ira par pertes et profits. Et les autres, encore les autres, lui raviront son dû, son rêve d’un monde meilleur, sa seule chance de voir son pays s’élancer vers le progrès, le développement et la croissance. Le peuple doit prendre la mesure de son dû, de son combat et de la place que l’Etat doit désormais lui accorder.

La jeunesse en particulier doit exigersa participation dans toutes les instances de gouvernance. La jeunesse n’est pas une tare. C’est le seul ferment dont le pays a besoin pour se reconstruire. Personne n’a plus le droit désormais de lui remettre les fers quand par son combat, son soulèvement, elle est sortie de la caverne qui la tenait dans l’obscurité et l’obscurantisme. Ses droits sont naturels en tant que citoyens, ils sont sacrés en tant que combattantpour sa liberté.

Épilogue

Que savons-nous exactement de la distribution du pouvoir en Algérie ? Personnellement, je n’adhère pas vraiment aux schémas simplificateurs d’un pouvoir localisé au sein d’un clan ou de clans bien déterminés, et la vision que nous avons du pouvoir mutile largement sa complexité. L’un des problèmes de notre pays est sa complexité dans la chaîne de prise de décision. Si la solution est de reproduire un État sandwich avec une nouvelle oligarchie au sommet et une base sans ligne hiérarchique dotée de pouvoirs de décision, nous reproduirons l’échec. Si nous ne formons pas les nouveaux gouvernants, nous irons à l’échec. Trouvez-moi un seul cadre intermédiaire habilité ou capable de prendre une décision sans trembler de tout son long. Trouvez-moi un seul cadre mis en face à face des partenaires internationaux capable d’en savoir plus qu’eux et de négocier en position de force ou d’assimiler le savoir pour un transfert de compétences ou de technologies efficaces. Demandez à nos meilleurs ingénieurs écartés des postes à responsabilité, à nos meilleurs techniciens, à nos meilleurs professeurs, s’ils sont souvent sollicités pour mener à bien de grands programmes nationaux. Le népotisme, les accointances, la loyauté…coiffent la compétence à tous les niveaux. Et tout le monde a assimilé cette règle informelle. Nous avons sans doute l’un des indices de distanciation hiérarchique les plus élevés au monde selon le modèle de Geert Hofstede. L’arbitraire, la redistribution inégale des richesses et du pouvoir, les abus, la « hogra » …étaient largement intégrés et même assimilés. Ce sont nos têtes qu’il faut changer pas seulement les têtes de la gouvernance actuelle. Vous comprendrez que notre système de gouvernance nécessite un changement de niveau 2, pas un changement de niveau 1 comme disait Watzlawick. Un changement du système, pas dans le système. Si nous ne prenons pas conscience des efforts significatifs de re-engineering complet de la gouvernance, nous n’irons nulle part. Est-ce que l’armée peut nommer une constituante sensée réformer le système alors qu’elle en fait partie. J’en doute. Il faut être assez créatif pour que l’armée se contente d’assurer la sécurité autour d’un processus qui doit être initié par le civil. Il faudra sans doute penser une institution politique transitoire inédite où se mêlent dans une instance collégiale élargie des autorités incontestées dans leur domaine d’expertise mais désintéressées et qui quitteraient le collège après l’instauration d’une nouvelle gouvernance, et d’autres personnes amenées à assurer la conduite des affaires de l’Etat sous le contrôle de différents pouvoirs exécutif, législatif, constitutionnel et judiciaire. L’indépendance des pouvoirs de contrôle est la clef d’une justice sociale véritable et d’une redistribution des richesses équitable. Une Constitution mi-normative,mi-institutionnelle, pour des droits, des libertés et un Etat fort. De l’ordre et de la justice sociale, de l’organisation et du bien commun, un Etat et des citoyens ; c’est ce que nous dit le peuple en nombre chaque jour croissant dans son effervescent « hirak ».

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