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Raouya avoue l’échec de la reforme bancaire et la nécessite de la relancer au plus tôt

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Pour ceux qui suivent depuis longtemps l’évolution du secteur bancaire algérien, la rencontre que lui ont consacrée l’Association des Banques et Établissements Financiers (ABEF) et le ministre des finances Abderahmane Raouya ce mardi 19 février 2019, apporte la preuve qu’aucun événement exceptionnel n’est venu changer le cours des choses dans cette forteresse qui continue à fonctionner, comme au temps des années 80, selon des règles bureaucratiques et clientélistes.

Même si les devantures des succursales ont effectivement été rénovées et que des enseignes de banques étrangères donnent l’illusion d’une compétition interbancaire, le mode de fonctionnement des banques est resté globalement le même. Ce sont pour la plupart des banques de dépôts et d’octrois parcimonieux de crédits sans risque, à des sociétés de négoce dont les retours sur investissements sont généralement très rapides. Elles financent rarement les investissements productifs et, lorsqu’elles le font, leurs faiblesses en ingénierie financière retardent exagérément les notifications de crédits, causant parfois de graves préjudices aux opérateurs qui les sollicitent.

Ces problèmes étaient déjà posés au début des années 90 à l’aune de l’ouverture économique qui devait reposer sur un système bancaire efficient et moderne, appliquant des règles de gestion universelles basées sur l’autonomie de décision, la commercialité et l’obligation de résultats. Pour ce faire, une vaste réforme avait été engagée par le ministère des finances et la Banque d’Algérie en conformité avec la loi sur la monnaie et le crédit promulguée à cet effet en 1991, mais comme elle fut entreprise sans ardeur et sans accompagnement politique, cette réforme qui devait arrimer à la modernité des banques sclérosées par de longues années de gestion administrée, n’a pas changé grand chose à leur mode de fonctionnement. Leurs clientèles continuent aujourd’hui encore à se plaindre de mauvais accueil et de lenteurs à être servies.  Leurs griefs à l’égard des banques, y compris celles qui portent des enseignes étrangères, se sont même exacerbées sous l’effet de la nonchalance des préposés aux guichets, de leur tendance à susciter des conflits avec les clients chaque fois qu’une brèche dans les procédures leur en offre l’occasion, des délais de plus en plus longs pour délivrer un carnet de chèque ou une carte de crédit, calculer des intérêts générés par les dépôts ou effectuer des opérations de change. En dépit de l’indéniable amélioration des devantures et de la mise en place d’équipements informatiques, dont ont bénéficié pratiquement toutes les agences bancaires, ces dernières n’ont malheureusement pas réussi à faire le bond qualitatif qu’on attendait d’elles. Le qualificatif dévalorisant de « banques les plus archaïques du bassin méditerranéen » que leur avait attribuées le Fonds Monétaire International au début des années 1990, continue aujourd’hui encore à leur coller à la peau.

Une simple virée dans une agence bancaire publique ou étrangère, permet d’en faire l’amer constat. Un constat en totale contradiction avec le discours, pour le moins, triomphaliste des autorités financières algériennes. A bien des égards, la qualité et la célérité des services ont même régressé et, pour preuve, les carnets de chèques qu’on obtenait en moins d’une heure il y a quelques années et qui ne vous sont aujourd’hui délivrés qu’après plusieurs mois d’attente. Le temps de calcul des intérêts sur livrets d’épargne bancaire connaît le même sort. Alors qu’ils étaient calculés chaque trimestre en à peine quelques heures, ils ne le sont aujourd’hui qu’à l’année avec, de surcroît, un retard dépassant allégrement le trimestre. Certaines banques de dépôt sont allées jusqu’à bloquer les mouvements de comptes de leurs clients exigeants d’eux qu’ils renouvellent leurs dossiers administratifs pour pouvoir mouvementer à nouveau leurs comptes. La banque d’Algérie émet de temps en temps des directives de nature à recadrer le fonctionnement des banques, mais bien souvent elle ne se fait pas obéir par des patrons de banques trop bien épaulés par des cercles du pouvoir.

L’autre dysfonctionnement et, non des moindres, perceptible au niveau de pratiquement toutes nos banques concerne les relevés de comptes courants qui ne sont communiqués aux clients qu’à la fin des trimestres, quand vous avez la chance de les recevoir. A moins que vous en fassiez la demande expresse, moyennant des frais qui ne cessent d’augmenter dans la discrétion. N’étant pas informés des encaissements, mais pire encore, des chèques sans provision que vous avez remis à l’encaissement, les clients sont, ainsi, mis en situation de gérer leurs comptes à l’aveuglette, avec tout ce que cela pourrait engendrer, en terme de déplacements inutiles pour s’enquérir de leurs soldes bancaires et d’éventuelles émissions de chèques sans provisions.  Et ces derniers prolifèrent en grande partie pour cette raison, à laquelle il faudrait, sans doute, ajouter les dysfonctionnements des traitements informatiques récemment mis en œuvre, que les employés des banques ne maîtrisent pas encore pas. Comme pour se dédouaner, les banquiers qualifient « d’incidents de paiement » ces dysfonctionnements dont les clients, notamment les entreprises, sont de plus en plus nombreuses à se plaindre. Un homme d’affaires nous a, à titre d’exemple, cité le cas d’un gros chèque revenu impayé, alors que le compte de son émetteur était suffisamment provisionné. La banque a reconnu son erreur, mais n’a absolument rien fait pour réparer le préjudice financier causé à  cette entreprise qui avait ainsi été mise en situation de découvert bancaire. On comprend alors aisément pourquoi, les opérateurs économiques, tout comme les simples citoyens, évitent autant que possible l’usage périlleux du chèque pour se rabattre sur le paiement en espèces beaucoup plus rassurant eu égard aux défaillances des banques. S’il est vrai, qu’un effort a été fait durant ces toutes dernières années, pour susciter l’usage de la monnaie scripturale, ce dernier demeure pénalisé par les lenteurs et les incertitudes des opérations interbancaires. Les virements ne représentent de ce fait qu’environ 12% des opérations interbancaires, alors que les effets de commerce (traites) éprouvent encore beaucoup de difficultés à se faire admettre comme moyen de paiement à part entière. Les systèmes de cartes de paiement électronique si peu développées après autant d’années de prétendues réformes que d’aucuns se posent la question de savoir si ce retard à introduire des outils de paiement modernes (cartes de crédit, paiements en ligne, application Smartphone etc.) n’est pas sciemment provoqué pour entretenir l’opacité dans les transferts de fonds.

La bancarisation des capitaux, déjà très faible, est maintenue en l’état, pour ne pas dire aggravée, par les effets repoussoirs que nous avons décrit plus haut, mais aussi et surtout, par le commerce informel et la corruption, qui de par leur nature clandestine, doivent nécessairement fuir les banques, pour ne pas laisser trace des capitaux mal acquis. Bancariser dans ces conditions les flux monétaires considérables en circulation dans notre pays est un défit que les autorités chargées de la réforme bancaire ne pourront, à l’évidence, pas relever de si tôt. Le marché informel qui a pris une ampleur considérable a sa propre logique de financement. Les acteurs de l’informel ne s’adressent aux banques que s’ils y trouvent un serviteur qui, moyennant prébendes, accepte de violer des règles prudentielles pour les servir. Cette pratique est surtout visible dans les banques publiques du fait que ce sont elles qui accaparent l’écrasante majorité de la clientèle bancaire et octroient le plus gros de la masse des crédits. Le gouvernement avait longtemps évoqué son souhait de se désengager de la propriété de certaines banques publiques (CPA et BDL) mais, pour diverse raisons, il n’y est jamais parvenu. De ce fait, le secteur bancaire public continue à dominer outrageusement le système financier algérien, avec tout ce que cela génère en termes de difficulté à introduire des changements structurels de nature à rompre avec le mode de gestion archaïque, parfois sciemment entretenu par des dirigeants qui ne souhaitent pas prendre de risques managériaux qui pourraient les conduire en prison. Le risque d’être incarcéré des suites d’un acte de gestion mal interprété par les tribunaux, est en effet encore bien réel aujourd’hui. D’où leur extrême frilosité à sortir de cette routine professionnelle qui leur permet de travailler dans la quiétude du statu quo et la sécurité de l’emploi. C’est en grande partie ce qui explique les échecs recommencés de toutes les réformes que les gouvernements avaient tentés d’impulser au système bancaire algérien.

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