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Commerce informel et urbanisation sauvage, aux origines de la délinquance juvenile

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La délinquance juvénile est, sans aucun doute, le phénomène social qui traduit le mieux la difficulté d’adaptation d’un nombre grandissant de jeunes à la vie en société. Si les inadaptés sociaux sont nombreux ils n’accèdent au rang encore moins glorieux de délinquant qu’après qu’ils aient commis des actes juridiquement répressibles, parmi les quels, les agressions physiques, les vols,  le commerce et la consommation de stupéfiants sont les plus récurrents. Les actes délictueux commis par les mineurs sont variables, mais le plus fréquent est évidemment le vol qui représentait en 2017, environ 70% des cas, selon les statistiques consolidées des  services de sécurité algériens. Telles que décrites par ces derniers, les circonstances du vol sont des plus diverses. Il peut s’agir d’un petit larcin commis seul ou en bandes, comme il peut prendre toutes les formes du délit de vol organisé, tel que pratiqué par les adultes. Les « vols de compensation », consistant à subtiliser à autrui un objet ou de l’argent pour se procurer un plaisir qui compense en partie l’insuffisance d’affection dont le délinquant fut privé dans on enfance et les « vols altruistes » de celui qui veut se faire bien voir de ses camarades en distribuant aussitôt le produit de ses acquisitions irrégulières, seraient les plus répandus, selon des sources judiciaires concordantes.

Parmi les autres délits fréquemment commis, cette même source cite aussi, les coups et blessures volontaires, les fugues, le vagabondage et, depuis peu, les enlèvements suivis de séquestration, viol et assassinat. Il faudrait sans doute ajouter à cela, les trafics et les recels qui tendent, depuis ces dix dernières années, à émerger du lot des délits commis par les jeunes, sans doute en raison de la culture de l’enrichissement facile qui tend à s’enraciner chez de nombreux jeunes à la faveur de la corruption multiforme qui affecte des pans entiers de la société algérienne mais que l’on tend malheureusement à banaliser. Le manque de détermination des pouvoirs publics à combattre ce fléau tend en effet à bouleverser négativement, aussi bien, le mental des jeunes qui ne perçoivent plus la corruption comme un acte moralement répréhensible mais, seulement, comme un moyen de réussite sociale. Une part de gâteau à prendre, comme l’affirment aujourd’hui effrontément de nombreux jeunes !!

Grâce aux progrès des sciences sociales (sociologie et psychologie notamment) et médicales (psychiatrie), il est aujourd’hui tout à fait établi que rien ne se trouve au hasard dans le psychisme des jeunes délinquants et qu’ils ne sont ainsi devenus que parce que  certains facteurs l’y prédisposaient. Mais comme les statistiques l’ont de tous temps mis en évidence, la cause fondamentale de la délinquance juvénile réside d’abord et avant tout, dans la déficience parentale résultant généralement des dissociations familiales. L’irresponsabilité des parents contribue à environ 80% aux statistiques des faits de délinquances répertoriés par les services de sécurité algériens. C’est dire son importance et l’urgence de remédier par toutes sortes de moyens appropriés à cette déferlante de démissions parentales. La dissociation familiale qui tend à prendre des proportions alarmantes du fait du nombre de plus en plus élevé de divorces, de remariages et autres concubinages a, comme le prouvent les enquêtes sociologiques, des conséquences désastreuses sur les enfants. La dissociation familiale et la déficience parentale qui souvent en résultent, figureraient en effet, parmi les causes les plus déterminantes de la transformation d’un enfant innocent en délinquant parfois abjecte, comme ne cessent de le rappeler, aussi bien, les sociologues que les pédagogues.

La déficience parentale qui, en grande partie, explique le retard scolaire de l’enfant, son déséquilibre affectif et le relâchement moral, est souvent imputable aux conditions de vie des parents, marquées par la misère, le taudis, la promiscuité et l’entassement à la périphérie ou dans l’enceinte des nouvelles zones urbaines livrées à l’habitation sans aucune commodité ni environnement favorable à l’épanouissement des jeunes. Le cas de la nouvelle ville « Ali Mendjli » de Constantine qui comptabilise un nombre impressionnant de délits commis par de très jeunes délinquants, en est un parfait exemple, mais il n’est malheureusement pas le seul. Les autorités algériennes qui ne veulent pas se départir de cette forme d’urbanisation pourtant souvent dénoncée par les urbanistes et la société civile continuent, malheureusement, aujourd’hui encore à persévérer dans la réalisation de ces « incubateurs de délinquants ». Une urbanisation qui, de surcroît, constitue un appel d’air aux populations rurales qui désertent les campagnes pour s’entasser dans ces cités dortoirs, emportant avec eux leurs mœurs archaïques qu’ils imposeront à tous leurs voisins, comme meilleure manière de vivre. Ce processus de « rurbanisation » magnifiquement décrit par le sociologue Mustapha Lacheraf est aujourd’hui visible dans toutes les nouvelles cités d’habitations et, quelques fois même, dans d’anciens tissus urbains.

Certains phénomènes de société, comme la contrefaçon et le commerce informel, apparus à la faveur de l’ouverture économique des années 2000, constituent également un terrain de prédilection pour la délinquance juvénile. Les jeunes en provenance de ces espaces « rurbains » y découvrent des procédés et des moyens d’enrichissement rapides et s’y adaptent sans se rendre compte qu’ils agissent dans l’illégalité.  Le commerce informel sur lequel des mafias ont souvent la main mise, s’est ainsi développé à une allure vertigineuse sur tout le territoire national, offrant à ces jeunes un mode de vie gratifiant et peu dangereux et durable. Des adolescents qui ont entamé leur vie professionnelle dans l’informel y sont encore à l’âge adulte et ne désespèrent pas d’y passer toute leur vie, tant les gains peuvent être substantiels pour les plus dynamiques d’entre eux. Nous avons tous eu l’occasion de constater, notamment durant cette dernière décennie, à quel point les jeunes sont obsédés par le désir de faire rapidement fortune en prenant exemple sur des personnes qui ont  réussi dans la pratique du commerce informel et autres formes de trafic. De la référence à cet idéal de réussite sociale en a résulté un manque de scrupule sur les moyens d’y parvenir, une sorte de « devoir de débrouillardise »  qui fait peu cas de la loi. Les repères moraux finissent par se disloquer pour laisser place à une nouvelle éthique qui ne valorise plus que l’enrichissement rapide et sans cause. Les tromperies lucratives sur les marchandises vendues, le vol pour posséder, mais surtout pour revendre, ont de ce fait pris une ampleur sans précédent chez les jeunes de toutes les catégories sociales qui vont subitement se découvrir des qualités de commerçants dynamiques capables de brasser des sommes considérables.

La rue et,  notamment les espaces de commerces informels seraient même, comme  l’indiquent les bilans périodiques des services de sécurité, les lieux privilégié d’initiation aux pratiques délictueuses, voire même, criminelles. Il s’y forme des bandes d’adolescents (de 13 à 16 ans généralement) dans lesquelles l’enfant est conditionné par le groupe à commettre des actes qu’il n’aurait sans doute jamais commis si ses parents l’avaient tenu loin de ces espaces criminogènes.

Il est, affirment divers acteurs de la lutte contre la délinquance juvénile, aujourd’hui possible  pour une société qui dispose des moyens humains et matériels, mais aussi et surtout de la volonté politique requise, de traiter ce phénomène en mettant notamment en place un dispositif à même de le prévenir, car il est incontestable que du point de vue social, la prévention doit primer sur la répression ou la rééducation. Il paraît en effet évident que quel que soit le jugement répressif prononcé par un tribunal, le mineur qui a comparu en justice restera marqué par son délit et surtout par les contacts inévitables avec les autres délinquants dans ces « bouillants de culture » que constituent les prisons. Étant donné que la délinquance juvénile n’est somme toute que la manifestation agressive d’une inadaptation sociale, on mesurera l’efficacité du dispositif de prévention, à sa capacité de remédier aux causes de l’inadaptation. Cette prévention, nous apprend notre source proche de l’hôpital de Blida « peut être assurée au moyen du dépistage précoce de l’enfance abandonnée, du repérage des foyers de délinquance, de l’orientation professionnelle des jeunes qui se trouvent dans de mauvaises conditions d’existence et bien entendu, l’accès aux loisirs sains et à portée du plus grand nombre ».

Les initiatives prises par les psychiatres sont certes louables et, dans tous les cas à encourager, mais elles n’apportent que des solutions partielles à un vaste problème de société. Le problème est en effet de trouver le bon moyen de  contenir la délinquance juvénile dans des proportions gérables, sachant que la société algérienne est, comme c’est actuellement le cas, prédisposée à générer une pléthore d’inadaptés sociaux (chômage affectant massivement les jeunes, démographie galopante, paupérisation de larges pans de la société, mauvaises conditions d’habitat, dégradation dramatique du cadre de vie dans les cités, système éducatif archaïque, une vie politique et sociale anxiogène, services de sécurité orientés vers d’autres taches que la lutte contre la délinquance etc.). Si rien n’est fait pour y remédier, ce constat peu reluisant laisse présager que les mêmes causes continueront à produire les mêmes effets, poussant ainsi le phénomène de la délinquance à prendre à terme des proportions encore plus dramatiques qu’aujourd’hui.

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