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Malgré l’hécatombe d’emplois, la 4è révolution industrielle permettra à l’Afrique de griller des étapes

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Portée par une convergence entre technologies numériques, biologiques et physiques, la quatrième révolution industrielle risque de faire passer à la trappe plusieurs millions d’emplois en Afrique. Elle pourrait cependant permettre au continent de prendre des raccourcis pour rattraper son énorme retard sur le chemin de l’industrialisation.

Après l’âge du charbon et de la machine à vapeur, celui de l’électricité et du travail à la chaîne, puis celui l’électronique et des technologies de l’information, l’économie mondiale est à l’aube d’une quatrième révolution industrielle, définie par une fusion des technologies qui gomme les frontières entre les sphères physique, numérique et biologique.

Les robots, les imprimantes 3D, les objets connectés, la réalité augmentée ou encore les véhicules autonomes ne sont que les éléments avancés de cette vague dont on évalue encore mal la force de ressac. L’industrie 4.0 s’implante déjà sournoisement aux quatre coins du monde. Aux Etats-Unis, le géant du transport à la demande, Uber, utilise déjà des taxis sans conducteurs, tandis que son concurrent Lyft s’appuie sur des algorithmes qui recommandent aux chauffeurs les itinéraires les mieux indiqués pour accroître les revenus.

En Chine, des robots androïdes font 70% du travail de manutention dans les entrepôts du géant du e-commerce Alibaba. En Allemagne, plus de 2000 robots sont déjà à l’œuvre dans le secteur de l’industrie automobile. Au Japon, Erica, un robot humanoïde à l’apparence d’une jeune femme de 23 ans capable de réciter un texte, de répondre aux questions et de mimer le comportement des humains a remplacé une journaliste à la présentation du journal télévisé sur une chaîne nationale !

La déferlante de la robotisation et de l’automatisation n’a pas épargné l’Afrique. Le Rwanda a intégré à son système de santé des drones, qui livrent d’une manière autonome du sang pour des transfusions et des médicaments dans vingt-et-une cliniques situées dans les zones reculées du pays. A Kinshasa, des robots policiers, qui ne coûtent que 18 000 euros la pièce, gèrent le trafic routier, contribuant ainsi à limiter les accidents. La banque sud-africaine Nedbank a, quant à elle, lancé Pepper, un robot humanoïde capable de reconnaître les principales émotions humaines et d’adapter son comportement en fonction de l’humeur de son interlocuteur, en tant qu’agent d’accueil et conseiller client. Contrairement aux trois précédentes, la quatrième révolution industrielle bouleverse tous les secteurs partout dans le monde. Le monstre lâché au cœur du capitalisme n’a cependant encore fait que quelques pas. Il devrait cependant prendre sa vitesse de croisière durant les années à venir, ce qui bouleversera inéluctablement les modèles d’affaires et surtout le monde du travail.

Selon une étude publiée par le Forum économique mondial, 5 millions d’emplois seront détruits dans les pays développés d’ici 2020. L’automatisation et l’intelligence artificielle créeraient 2 millions d’emplois, mais en détruiraient 7 millions.

Le cabinet Roland Berger s’attend, quant à lui, à ce que près de la moitié des métiers actuels disparaissent d’ici une vingtaine d’années. Cette tendance n’épargnera pas l’Afrique. Cinq pays du continent sont tout particulièrement concernés par l’automatisation, selon une étude rendue publique en 2017 par le cabinet McKinsey. Le Kenya tient le haut du pavé avec un pourcentage d’activités automatisables de 51,9%, devant le Maroc (50,9%), l’Égypte (48,7%), le Nigeria (45,7%) et l’Afrique du Sud (41%).

Dans un rapport publié en mars dernier, le think tank londonien Overseas Development Institute (ODI) a de son côté conclu que les robots et les algorithmes remplaceront peu à peu l’homme sur ce continent. Les projections de l’étude intitulée «L’automatisation et l’avenir de l’industrie en Afrique» (Digitalisation and the future of manufacturing in Africa) montrent que le coût d’exploitation des robots et des imprimantes 3D dans l’industrie sera moins élevé que celui de la main d’œuvre kényane en 2034 ! En Ethiopie, les coûts d’exploitation des robots deviendront moins chers que ceux des humains entre 2038 et 2042. «Certains experts ont suggéré que les pays les plus pauvres ne seront pas affectés par l’automatisation, car ils disposent de moins de fonds à investir dans ce domaine. Nos recherches montrent que cette prévision est trop optimiste: actuellement, le coût de fonctionnement des robots dans l’industrie reste supérieur à celui du travail humain, mais ce ne sera pas le cas dans 15 ans», souligne Dirk Willem te Velde, directeur du programme de soutien à la transformation économique à ODI. L’étude note aussi qu’«avec l’augmentation des salaires même dans les pays à faible revenu, l’automatisation peut devenir une option de plus en plus attrayante pour les entreprises nationales, surtout que la robotisation rampante du secteur manufacturier dans les pays développés aura un effet d’entraînement à l’échelle mondiale».

Le tsunami de l’industrie 4.0 va d’abord balayer les employés exerçant des tâches répétitives et ennuyeuses comme les ouvriers exerçant dans les mines, les conducteurs de véhicules, les comptables, les électriciens, les commerciaux, les assureurs, les réceptionnistes, les chargés de recrutement. De nombreux postes de «cols blancs» vont aussi disparaître, notamment dans le secteur de la santé. D’autant plus que le supercalculateur Watson d’IBM établit depuis 2016 des diagnostics plus fiables que ceux d’un médecin !

L’adoption de la robotisation, de l’impression 3D et de l’Internet des objets à l’échelle mondiale risque d’autre part de causer une «désindustrialisation prématurée» de l’Afrique selon les termes du think tank américain National Bureau of Economic Research (NBER). Et pour cause : la quatrième révolution industrielle réduira considérablement à court et à moyen terme l’importance de l’avantage comparatif de la faiblesse des salaires, et par conséquent la délocalisation des activités à forte intensité de main-d’œuvre en direction des eldorados salariaux. «La Chine deviendra dès cette année plus grand utilisateur de robots industriels. Cela risque d’entraver les efforts d’industrialisation de plusieurs pays moins développés, et la migration en masse prévue des activités à forte intensité de main-d’œuvre en direction des économies dont les coûts de production sont plus faibles, comme celles d’Afrique, pourrait ne pas avoir lieu», avertit le centre de recherche américain Brookings Institution dans l’édition 2018 de son rapport «Foresight Africa».

Autre dommage collatéral de la transition vers l’industrie 4.0 : le retour vers les pays développés ou émergents des activités industrielles délocalisées au cours des dernières décennies vers le pays à bas coût, un phénomène connu sous l’appellation de la relocalisation (reshoring) et qui bat déjà son plein aux Etats-Unis. Beaucoup d’avantages comparatifs qui existaient initialement en termes de coûts dans les destinations les plus attractives dans le domaine de l’offshoring vont en effet s’éroder progressivement sous l’effet de la baisse des coûts de l’exploitation des robots et autres technologies propres à la quatrième révolution industrielle. Selon les calculs d’Overseas Development Institute, les Etats-Unis ont relocalisé déjà sept sites industriels, qui étaient implantés dans des pays africains, entre 2010 et 2016, ce qui a entraîné de la perte de 885 emplois.

Tout n’est pas noir pour autant. Les experts rappellent, dans ce cadre, que les précédentes révolutions industrielles ont fini par créer plus d’emplois qu’elles n’en ont supprimés. A titre d’exemple, les ordinateurs ont tué le métier de dactylographe, mais ils ont créé une multitude de nouveaux emplois liés au développement, à l’exploitation et à la programmation. Pour atténuer l’impact du tsunami qui déferlera sur son industrie naissante, l’Afrique devrait par ailleurs trouver des niches peu concernées par la robotisation telles que la fabrication des chaussures ou encore la transformation des métaux de base, des produits minéraux non métallurgiques et des produits en bois.

 Malgré l’hécatombe prévue en termes d’emplois, le continent gagnerait à ne pas rater le train de la quatrième révolution industrielle. D’après certains experts, l’Afrique devrait se «convertir» le plus rapidement possible à l’industrie 4.0 pour griller des étapes en matière d’industrialisation, comme elle l’a fait dans le domaine des télécommunications en sautant la case téléphone filaire pour aller directement vers la téléphonie mobile. Cette conversion est d’autant plus facile que la plupart des pays du continent n’ont pas à démanteler des systèmes industriels traditionnels déjà en place. «Aux yeux de certains analystes, l’idée selon laquelle les technologies exponentielles comme l’intelligence artificielle, la robotique, l’internet des objets et les nanotechnologies pourraient permettre à l’Afrique d’être à la pointe de la quatrième révolution industrielle semble tirée par les cheveux, étant donné que deux Africains sur trois n’ont pas accès à l’électricité. Mais ce sont précisément ces types de déficiences qui pourraient inciter l’Afrique à utiliser les technologies les plus avancées pour devenir la prochaine grande success-story mondiale», suggère Gary Coleman, directeur général en charge de l’industrie au sein du cabinet de conseil Deloitte, rappelant que des chirurgiens sud-africains ont reconstruit entièrement la mâchoire d’un homme atteint de cancer à l’aide de l’impression 3D, en alternative aux options conventionnelles extrêmement exorbitantes. «En allant directement vers ces technologies, l’Afrique peut zapper la phase industrielle nécessitant des infrastructures lourdes et éviter le coût de la réorganisation», a-t-il ajouté.

Selon le dirigeant du cabinet Deloitte, les clés de ce tournant se trouvent dans l’élargissement de l’accès à l’internet à large bande et le développement les compétences techniques des citoyens par le biais de la formation professionnelle dans les centres technologiques et d’une plus grande focalisation sur les matières STIM (acronyme de science, technologie, ingénierie et mathématiques) dans les programmes éducatifs.

Ecofin

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