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Quelle est la place de la vie professionnelle dans notre construction personnelle ?

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  1. Le travail, vecteur ou inhibiteur de nos besoins fondamentaux ?

Si les hommes naissent libres et égaux en droit, ils ne sont pas pour autant identiques. Nous sommes chacun, plus ou moins sensible à la reconnaissance que nous recevons de la société, des autres voire de nous-mêmes. C’est ce degré de sensibilité qui détermine la place que chacun accorde au travail dans la définition de son moi.

Pour les existentialistes, l’homme n’est pas déterminé à être ceci ou cela, il est libre, il est perfectible car il n’est, au départ, destiné à rien ; il devient ce qu’il est au fur et à mesure de son histoire, de ses choix et de ses expériences. La construction de l’idéal du moi se vit dans la relation aux autres, donc forcément dans l’entreprise.

Notre environnement professionnel est à la fois déterminant et déterminé pour la construction de soi. Le temps que nous y passons, en fait naturellement un milieu déterminant pour toute personne active. Il est aussi déterminé car il possède sa propre culture ; une culture d’entreprise qui privilégie certains codes de conduite et en sanctionne d’autres, qui érige des valeurs étendards et défend sa vision du monde.

Comment et à quel point cet environnement impacte notre construction personnelle, nos croyances, nos comportements et notre bien-être ?

L’entreprise repère nos besoins fondamentaux

Selon Maslow, l’homme doit apprendre à répondre à ses besoins fondamentaux, ceux-ci étant à la fois universels et spécifiques. Universels car identiques pour tous les êtres humains mais spécifiques pour chacun d’entre nous. Notamment dans leur hiérarchisation. Ces besoins orientent nos actions vers des buts précis. L’atteinte de ces buts permet la satisfaction des besoins et favorise le développement de l’individu en harmonie avec son environnement. La théorie de Maslow fait toujours référence, elle permet d’identifier et de classifier nos besoins fondamentaux : les besoins physiologiques, les besoins de sécurité, les besoins d’appartenance et d’amour, les besoins d’estime et le besoin d’accomplissement de soi.

Une fois identifiés et priorisés, nous pouvons alors imaginer et choisir les moyens les plus adéquats pour y répondre. Lorsque le besoin est satisfait, il engendre un sentiment de bien-être, de plaisir et de joie, accompagné d’un désir de faire durer cette satisfaction. A l’inverse, lorsque le besoin est frustré, nous ressentons une sensation d’inconfort, de privation, de mal-être.

Pour illustrer l’importance de nos besoins sur notre bien-être, je vais prendre deux exemples. Le premier concerne Amélie, chef de projet au sein d’une agence de communication de grande renommée. Quand je l’ai rencontrée, elle se sentait anxieuse, en perte d’énergie et de confiance en elle. Chaque jour, il lui fallait trouver de nouvelles idées, déconstruire pour réinventer, réorganiser son planning au gré des urgences et composer avec des comportements de diva lunatique. Amélie ne s’épanouissait pas, ses amis ne comprenaient pas ce manque d’enthousiasme dans un poste particulièrement prisé. Mais Amélie n’y était pas sensible, elle aimait la routine, la rigueur, les choses tangibles et rémanentes. Dans cet environnement, en perpétuel mouvement, elle se sentait en insécurité. Son besoin de sécurité était bien plus important que tous les autres besoins. Depuis, elle a changé d’univers professionnel, et tout va mieux. Elle a intégré un groupe où la communication est institutionnalisée et cadrée par des procédures structurantes.

Besoin de sécurité évitez les organisations mouvantes, besoin d’équilibre vie pro-vie perso ciblez davantage des entreprises où des accords ont été signés dans ce sens, besoin de reconnaissance cherchez les entreprises qui valorisent la performance individuelle. Toute entreprise peut être la meilleure comme la pire, en fonction de ce dont nous avons profondément besoin. Cela dépend de qui nous sommes, de nos motivations profondes et de nos aspirations.

Certaines personnes résistent mieux que d’autres à l’insécurité, à l’individualisme ou au manque de reconnaissance.

Autre exemple, celui de Paul qui, après avoir évolué quelques années dans un milieu de travail, ressent le besoin de relever de nouveaux défis. Plutôt que d’explorer les possibilités à développer dans son poste, les promotions dans son entreprise il se tourne vers l’extérieur. Ses recherches aboutissent rapidement. Son nouveau poste lui confère un meilleur statut et une rémunération enviable. Stimulé par ce succès, son ancien collègue de bureau, Jean-Philippe, se lance lui aussi dans la quête d’un nouvel emploi proposant les mêmes avantages. Même succès. Mais Jean-Philippe refuse successivement les postes qui lui sont proposés. Il a compris, à temps, que ses besoins à lui, étaient la sécurité et l’appartenance à une entreprise aux valeurs identiques aux siennes. Largement comblés dans son poste actuel, ces besoins auraient probablement été contrariés par son départ.

Attention, il ne faut pas confondre « J’ai envie de relever de nouveaux défis et changer d’entreprise » (besoin d’accomplissement) avec « J’ai envie de nouveautés, mais j’apprécie une certaine routine, un environnement stable où je suis (re)connu » (besoin de sécurité et d’appartenance).

Tout besoin doit être clairement reconnu pour distinguer l’expression affichée « J’ai envie de travailler dans une entreprise reconnue dans son secteur, une grande marque visible » de l’expression sous-jacente « J’ai besoin de reconnaissance pour le travail que j’accomplis ».

Continuons par la théorie de l’autodétermination. Celle-ci suggère que l’humain, d’une façon innée, tend à satisfaire trois besoins psychologiques fondamentaux, à savoir : le besoin d’autonomie, le besoin de compétence et le besoin de relation à autrui.

Le besoin d’autonomie au travail serait le besoin de l’individu d’avoir un environnement de travail qui lui permette d’exercer la latitude décisionnelle, émotionnelle et comportementale suffisante pour être bien avec lui-même. Le besoin de compétence se traduit par le besoin de se sentir efficace (White, 1959). Il s’exprime aussi par le besoin de rencontrer diverses occasions lui permettant d’utiliser ses habiletés et de développer de nouvelles compétences (White, 1959; Deci & Ryan, 2002; Deci, 1975). Ainsi, le besoin de compétence d’un individu est satisfait lorsqu’il se sent apte à exécuter une tâche à la hauteur de ses capacités et ce faisant, à atteindre les résultats escomptés (Deci & Ryan, 2000; 2002). Dans la théorie de l’autodétermination, la satisfaction du besoin de compétence fait toujours référence à la compétence perçue par l’individu et ne doit donc pas être confondue avec le niveau réel d’habiletés.

Les personnes qui se voient confier des défis à la hauteur de leurs habiletés et reçoivent un feedback constructif satisferaient leur besoin de compétence et, en retour augmenteraient leur motivation intrinsèque (Vallerand & Reid, 1984; Deci, Vallerand, Pelletier & Ryan, 1991; Boggiano & Ruble, 1979).

En résumé, le besoin de compétence au travail serait le besoin de l’individu de se sentir à la hauteur des défis qui se présentent à lui au travail.

Le besoin de créer des liens interpersonnels a également un rôle essentiel pour la motivation et un état d’esprit positif (Deci & Ryan, 2000).

Ainsi, nous avons besoin d’un environnement qui nous permettrait de nous sentir autonomes, compétents et socialement affiliés pour d’abord être en santé et ensuite, atteindre un fonctionnement plus efficace (Deci & Ryan, 2000).

La théorie des besoins ne suggère pas que les besoins de base soient valorisés de façon équivalente par tous, mais elle prédit plutôt que, s’ils sont négligés, il y aura, dans tous les contextes, un impact négatif sur la croissance, l’intégrité et le bien-être de la personne.

Dans tous les cas, l’environnement professionnel nous offre une multitude d’opportunités pour satisfaire nos besoins fondamentaux. Il nous incombe de les identifier et d’agir en conséquence.

Car, l’insatisfaction des besoins provoque des sentiments de peur, de tristesse ou de colère qui peuvent amener à la rupture d’harmonie. Intériorisée ou extériorisée.

Ce sont les besoins insatisfaits qui provoquent l’émergence de comportements agressifs ou dépressifs.

Savoir ce dont les personnes ont besoin et donc connaitre les leviers motivationnels à actionner peut s’avérer assez compliqué. C’est pourtant essentiel pour un manager, qui doit stimuler, enthousiasmer, réenchanter des collaborateurs parfois désabusés, démotivés, déstabilisés par les chausse-trappes de la vie en entreprise…

Les managers auraient intérêt à rechercher la satisfaction des besoins fondamentaux, en ce sens qu’elle contribue non seulement à un meilleur état psychologique, mais aussi à une plus grande efficacité. Ainsi, si on satisfait davantage les besoins d’autonomie, d’affiliation sociale et de compétences de l’individu, un résultat direct devrait pouvoir être démontré sur la santé psychologique (plus de bien-être, moins de détresse) ; et cet état psychologique devrait permettre aux collaborateurs de travailler plus efficacement.

Mais ne perdons pas de vue notre propre capacité à répondre à nos besoins, activons aussi notre propre pouvoir d’épanouissement et explorons toutes les marges de manœuvre que l’entreprise nous offre pour les atteindre.

  1. L’entreprise, construction d’une identité proposée ou imposée ?

La dynamique et les transactions identitaires

Tout d’abord, le concept d’identité se traduit par la définition de soi, c’est-à-dire par les caractéristiques qu’un individu identifie comme siennes et auxquelles il accorde une valeur pour s’affirmer et se reconnaître.

La notion de Soi est importante, car c’est elle qui détermine comment les expériences sont vécues et comment le monde est appréhendé. L’homme ne peut acquérir de conscience de Soi qu’au travers des interactions sociales et des expériences qu’il a eues.

L’identité ne peut se construire sans la conscience de soi acquise dans et par l’interaction avec les autres (Mead, 2006).

L’individu doit asseoir une position issue d’un compromis entre « ce qu’il est » (image de soi / identité d’appartenance), « ce qu’il souhaite devenir » (projet de soi) et « ce qu’on lui demande d’être » (identité assignée). Et, si l’individu estime que ce vers quoi il tend (identité de référence) en vaut la peine, il mettra en place des stratégies lui permettant d’agir et de cheminer vers cette nouvelle identité proposée. Certains, n’auront pas à faire face à toutes les contradictions induites par ces transactions identitaires. D’autres, vivront de réelles tensions internes.

Si la différence entre les identités n’est pas trop grande, c’est que la personne est parvenue à un bon ajustement et qu’elle se construit en harmonie dans ses interactions et avec son environnement.

L’individu s’efforce de maintenir la cohérence (c’est-à-dire l’absence de conflit) entre ses différentes identités et d’assurer la congruence entre les perceptions de soi et les expériences vécues.

Quand elles sont non congruentes, elles donnent naissance à des comportements défensifs (comme le déni qui sert à protéger la structure du moi) ou des distorsions de la réalité. Ainsi, les personnes moins affirmées et plus contradictoires, seront tiraillées par des conflits intérieurs. Il peut donc y avoir quelques aspérités entre l’identité personnelle et l’identité professionnelle.

La construction identitaire est un processus dynamique, marqué par des ruptures et des crises, toujours inachevé et perpétuellement actualisé.  Nous faisons sans cesse des ajustements, des adaptations pour maintenir ce que nous sommes et évoluer en même temps.

Nous sommes sans cesse dans un processus interactionnel plus ou moins facile.

Être confronté aux autres, nous amène à reconsidérer nos idées, nos croyances et nos comportements. Il nous faut donc considérer autrui comme condition à la conscience de Soi.

La collaboration avec autrui, essentielle en tout milieu professionnel, stimule et challenge en permanence notre construction identitaire.

Corrélée aux sentiments d’appartenance et de compétence, aux relations à autrui, aux expériences passées et présentes, aux représentations mentales, à l’image de Soi perçue et reçue, l’identité professionnelle est en perpétuel mouvement.

Elle nous structure et nous distingue. C’est à la fois un phénomène d’individuation et d’identification. Si bien que, nous nous reconnaissons au travers d’un métier nécessitant des connaissances, des pratiques, un langage et des tâches spécifiques. Nous nous reconnaissons également via le processus d’identification à un groupe, un service, un projet. Nous sommes aussi reconnus par la société, car le travail nous confère un statut, une utilité, une dignité sociale. Ensuite, nous sommes reconnus par les autres pour notre savoir, nos compétences, notre appartenance au même collectif. Enfin, c’est la reconnaissance de nos réalisations, de nos progrès, de nos actes, par et pour nous-mêmes, qui renforce notre identité.

La construction identitaire devient incontournable dans le domaine professionnel car de son équilibre dépend le sentiment d’efficacité, d’utilité et de bien-être.

  1. L’environnement professionnel, un accélérateur du développement personnel ?

L’entreprise est un cadre de socialisation qui stimule et développe nos aptitudes relationnelles. Elle favorise notre sociabilité par un processus d’apprentissage des attitudes, des normes, des codes et des valeurs qui la caractérisent. De cela dépend notre intégration sociale. En effet, toute organisation est un système où « Je dépends d’autrui comme il dépend de moi ». C’est dans l’interdépendance que nos compétences communicatives et comportementales se construisent. Une synchronisation interactionnelle qui permet l’échange, la compréhension et l’action des différents acteurs de l’entreprise. L’effort est plus ou moins important chez chacun de nous, mais il doit être fait par tous.

Au regard de l’approche humaniste, l’homme est autodéterminé, c’est-à-dire qu’il est capable d’atteindre une réalisation de soi, malgré les situations difficiles. Aussi, le processus d’apprentissage devrait être, en soi, une source de motivation. L’idée n’est pas de s’améliorer, tout le temps et de manière active, mais plutôt de rester ouvert et disponible à toutes les sources de perfectionnement de soi.

L’environnement professionnel nous offre des expériences d’apprentissage permanentes, qui peuvent renforcer notre sentiment d’efficacité personnelle. Nous avons la possibilité de rectifier nos comportements inefficaces par l’autorégulation, car nous sommes dotés de mémoire et de conscience. Einstein en était le premier convaincu : « La folie serait de se comporter de la même manière et de s’attendre à un résultat différent ». Une personne résiliente plie, mais ne rompt pas, lorsqu’elle est confrontée à l’adversité, ce qui lui permet de rebondir relativement vite. Chacun de nous est responsable des ajustements qu’il produit en soi et pour les autres.

Explorer ses ressources personnelles contribue à l’épanouissement et au bien-être. Le travail offre la possibilité d’exprimer ses talents, de relever des challenges stimulants, d’affirmer et de développer ses compétences et ses qualités. Pour y parvenir, il faut conserver une flexibilité mentale, un bon contrôle émotionnel et des relations positives avec les autres.

Cet Article est une contribution de Frédérique Gutlé, fondatrice et dirigeante du cabinet de conseil et de coaching Konfidentiel (www.konfidentiel.net)

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