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Anne Lauvergeon : « Innover, c’est croire en l’avenir »

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Entretien réalisé par

Nordine Grim

Interrogée en marge de la journée de l’entreprise algérienne organisée le 17 novembre dernier à Alger par le Forum des Chefs d’Entreprises (FCE) madame  Anne Lauvergeon qui avait présidé durant une quinzaine d’années aux destinés des grands groupes industriels français ECOMA et AREVA, avant de présider la commission innovation 2030 placée sous l’égide directe du président de la République Française, a bien voulu répondre aux nombreuses questions relatives à l’innovation et à la diversification de l’économie que nous lui avions posées.

Ne disposant pas de brevets d’invention, nos entreprises ne seraient elles pas tentées d’innover en important des équipements modernes qui coûtent chers et dont elles ne maîtrisent souvent pas la technologie ?

 Mais pas du tout! On n’est pas obligé d’importer de la technologie pour innover. L’innovation est un processus mondial qui a commencé de façon moderne aux États-Unis mais qu’on voit fleurir un peu partout à travers le monde. C’est la capacité qu’on les gens de tous les âges jeunes et les moins jeunes qui ont effectivement l’envie d’entreprendre de manière innovante en utilisant des technologies disponibles pour tout le monde. Je suis en train de parler à travers un Smartphone et avec ce genre d’appareil on peut aujourd’hui faire beaucoup de choses. Bien sûr, pour qu’il y ait innovation, il faut qu’il y est également autour un écosystème favorable qui puisse non seulement la stimuler,  mais aussi  l’encourager et lui permettre de se développer et de fleurir. Pour ce faire, il faudrait créer des fonds d’amorçage, aider les jeunes qui veulent démarrer, les installer dans des incubateurs, leur donner un toit et, quelque part, le faire savoir en rendant publiques leur existence et leur réussite. Et là, vous les médias,  avez un grand rôle à jouer. Partie de la Silicone Vallée aux États -Unis ce type d’innovation est en train de se mondialiser. On le voit un peu partout dans le monde et, notamment, en Europe. En France, en Italie, en Suède, en Allemagne comme en Finlande, pour ne citer que ces pays, il y a énormément d’entreprises innovantes qui se développent et dont certaines commencent à avoir des tailles significatives.

En d’autres termes l’innovation ça s’achète ! Il ne s’agit pas de réinventer la poudre, il faut seulement savoir ce qu’on veut…

 Oui, il faut, d’abord et avant tout, savoir ce qu’on veut. Il faut penser à partir ce qui existe, ce qui est dans le domaine public et aller vers d’autres idées, d’autres applications. L’innovation elle est dans tous les secteurs. Je cite le cas du « big data » car c’est ce qui demande le moins de moyens, mais l’innovation est aussi dans l’énergie, l’agriculture, l’agro-industrie, les produits manufacturés et autres.

Quel rôle devrait jouer l’État en matière d’innovation ? Certains considèrent qu’il devrait au minimum mettre la main à la poche pour aider les innovateurs, d’autres préfèrent par contre qu’il se tienne à l’écart, considérant que l’administration publique ne peut produire que de la bureaucratie.  Quel est votre avis sur la question ?

 L’État devrait avoir pour rôle de créer un écosystème favorable à l’innovation. Qu’est ce qu’un écosystème ? si je prend une analogie, cela veut dire que l’aquarium dans lequel les poissons doivent évoluer, grossir, soient plus nombreux, être de bonne qualité, l’Etat doit être en charge de créer les conditions pour que les poissons aient un bon PH, un bon éclairage, une bonne salinité et des conditions de nourriture correctes, tout en laissant les poissons se débrouiller.

Pour ce faire il  faudrait, vous en convenez, un minimum de culture en matière de management et recherche-développement, que n’ont pas encore les administrations chargées de créer ou d’améliorer cet écosystème, ni même, l’écrasante majorité des entreprises qui, pour une raison ou autre, éprouveraient le besoin d’innover ?

L’innovation peut effectivement provenir de la recherche-développement mais pas seulement. L’innovation « enfant de bohème » existe. Il y a effectivement des gens qui ne disposent d’aucun moyen mais qui innove et je peux vous citer au moins un exemple qui vient de l’Inde. Dans ce pays où il fait chaud, où les gens n’ont pas suffisamment d’argent pour acheter un réfrigérateur et où l’électricité n’est pas toujours disponible, un potier indien qui n’a pas de connaissances particulière en physique a inventé à base de poterie, un système et pas cher (moins de 50 dollars) permettant de conserver durant au minimum cinq jours des denrées périssables sans utiliser de la glace ou du sel. C’est ce qu’on appelle de l’innovation « frugale », essentiellement faite pour améliorer le quotidien des gens.

On a l’habitude de lier l’innovation à l’élite technologique (ingénieurs, chercheurs, etc.) seule capable d’en produire. Ce n’est, à l’évidence, pas tout à fait votre point de vue ?

Il y a, a travers le monde, des jeunes étudiants ou nouvellement diplômés qui se posent la question de savoir s’ils doivent se chercher un emploi dans une entreprise, une institution publique et l’État en général, ou créer eux même leur entreprise et, je vous assure que ces jeunes ont bien souvent des idées étonnantes. Ils travaillent entre eux et on se rend compte que les idées les plus brillantes proviennent de ces jeunes venus de divers horizons (commerce, ingénieurs, artistes, gens du design, etc.) qui mettent à contribution leur génie pour faire parfois des choses extraordinaires.

Peut-il, selon vous, y avoir de l’innovation dans un pays comme le notre où il n’y a pas de concurrence effective dans le secteur privé et d’obligation de résultats dans le secteur public?

La concurrence est importante mais je pense que le moteur de l’innovation en Algérie ce sont tous ces jeunes qui ne trouvent pas d’emplois. Créer son propre emploi, ne pas attendre une solution en provenance de la collectivité qui, bien souvent, ne vient pas, être l’acteur de son propre changement est une attitude que prennent de plus en plus de jeunes sans emplois. La tâche n’est à l’évidence pas facile, mais beaucoup parviennent à monter des expériences innovantes qui leur offre un emploi et permet même d’en créer d’autres. Il y a beaucoup d’exemples de ce genre en France où ce moteur est important en dépit des nombreux cas échecs, car la tache n’est souvent pas facile. Innover c’est assurément croire en l’avenir et ceux qui s’accrochent réussissent. Je peux vous citer l’exemple de la société que je préside qui n’existait pas il y a cinq ans et qui va bientôt atteindre le milliard de dollars de capitalisation. C’est un technologue qui a rencontré un peu grâce à moi un modeste entrepreneur pour créer un opérateur « low cost » de tous les objets connectés qui se trouvent autour de nous. La réussite est généralement conditionnée par le fait de  savoir ce qu’on veut, trouver les personnes qu’il faut pour travailler ensemble et, bien entendu, être en mesure de créer des marchés.

N.G.

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