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Boualem Aliouat : « La ZLECA aura des effets bénéfiques sur l’intégration intracontinentale des marchés africains »

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Dans cet entretien, le professeur des universités, Université Côte d’Azur, Boualem Aliouat, nous révèle dans cet entretien, les coulisses de la cérémonie protocolaire du réseau des universités des sciences et technologies d’Afrique, dont il est membre du conseil d’administration, comme il donne son avis sur d’autres questions économiques liées à l’Afrique à l’exemple de la zone de libre-échange Africaine.

Algérie-Eco : Le Réseau des Universités des Sciences et Technologies d’Afrique (RUSTA) vient d’honorer, Didier Drogba, au cours d’une émouvante cérémonie protocolaire que vous avez présidée. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette cérémonie ?

MAliouat : Ce jour a été un grand moment pour nous tous. Et j’avoue avoir été ravi de présider ces 10èmes Assises scientifiques du RUSTA qui se sont clôturées par l’intronisation de la légende Didier Drogba, l’enfant prodige de Youpougon, au grade docteur honoris causa. 

Le DOCTORAT HONORIS CAUSA honore des personnalités au parcours exceptionnel selon des critères précis. Didier Drogba, pour ainsi dire, coche toutes les cases. Il constitue l’un des modèles les plus emblématiques pour les jeunes générations, les futures forces vives du continent africain. Didier DROGBA, faut-il le rappeler, avec plus d’une trentaine de distinctions individuelles, dont celle du meilleur joueur de l’histoire de Chelsea en 2015, est l’une des plus grandes légendes mondiales du football. Il est certainement, avec Pelé, Maradona et Zidane, l’une des grandes légendes de cœur dans l’esprit de tous, et bien au-delà de la sphère footballistique. Ce que Didier Drogba a accompli à force de travail et de persévérance pour atteindre ses objectifs et réaliser ses rêves pour le bien de sa communauté doit servir d’exemple et même de modèle à la jeunesse africaine. Nous ne l’avons cependant pas honoré parce qu’il a marqué des buts, mais surtout parce qu’il a atteint un but.

Un proverbe dit : « Si tu n’as pas le courage de rêver, tu n’auras pas la force d’agir ». Ce proverbe s’applique parfaitement à Didier Drogba qui a toujours été dans le « faire », sans se contenter de demeurer dans le « dire ». Tout le monde sait que la fondation de Didier Drogba est fortement impliquée dans l‘éducation. Elle aide à promouvoir l‘éducation partout en Côte d’Ivoire et en Afrique. Parce que sans l’éducation point de stabilité, point de prospérité, mais aussi point de paix. Tout au long des 10èmes Assises scientifiques du RUSTA et du Comrefas, nous n’avons cessé de mettre en exergue à quel point la résilience individuelle, indispensable à la réussite de chacun, nécessitait un environnement propice qui accompagne les jeunes dans leur trajectoire. Des récits de vie douloureux nous ont été exposés par d’éminents professeurs et professionnels qui ont su surmonter les obstacles pour en faire une force. Didier Drogba lui-même a connu les sentiers douloureux qui ont fait de lui l’homme qu’il est aujourd’hui. 

Et bien la fondation de Didier Drogba est aujourd’hui une réponse forte et pertinente pour aider à lever ces obstacles. Elle aide par exemple à promouvoir l’éducation dans des zones où les enfants sont parfois davantage impliqués dans des communautés productrices de cacao que dans leur propre éducation et formation. 

Cependant, Didier Drogba porte dans ce projet une vision, un projet de société qui dépasse la seule réussite individuelle. L’intelligence collective, la réussite et la croissance en partage sont des objectifs qu’il poursuit avec force et détermination. Il a conscience que derrière la réussite de chaque individu, il y a celle de toute une famille, de tout un village, de tout un pays, et sans doute de tout un continent. On comprend que Didier Drogba ait toujours eu à cœur de lutter contre les tensions socio-ethniques principalement par l’exemple, son propre exemple et par l’éducation, car le vivre ensemble est une clef du développement économique et social. 

Didier Drogba est un pragmatique. Aucun problème ne peut demeurer sans solution. Il ne disserte pas sur l’éducation, il agit. Il ne donne pas de leçons, il les applique. Il ne demande rien, il donne. Didier Drogba a reversé à sa fondation, faut-il le rappeler, tous ses revenus commerciaux et publicitaires tels que ceux de Nike, Samsung et Pepsi. Il s’est efforcé de lutter activement et surtout concrètement contre la pénurie d‘équipements éducatifs dans les zones rurales où les enfants doivent parcourir à pied plusieurs kilomètres pour se rendre à l‘école la plus proche. Parce que, comme il ne cesse de le répéter, joignant le geste à la parole, l’éducation c’est le préalable indispensable à la réussite individuelle et collective. Elle ne coûte rien en comparaison à ce qu’elle rapporte à la nation. La fondation Drogba créée en 2007 a pour but « d’apporter un soutien aux populations ivoiriennes et africaines les plus vulnérables dans le domaine de la santé et de l’éducation. »

Souvenez-vous quand en 2009, lors d’un match de qualification pour la Coupe du monde, un mur s’est effondré dans le stade Félix-Houphouët-Boigny, faisant 19 morts et 133 blessés. Didier Drogba avait alors visité les blessés à l’hôpital. C’est à ce moment-là que la santé, l’autre pilier du développement lui est apparu comme une des grandes priorités nationales. Sa fondation a alors organisé plusieurs galas entre 2009 et 2015 afin de récolter des fonds, pour construire finalement non pas un, mais plusieurs hôpitaux dans l’ensemble du pays. 

Son pragmatisme, celui qu’il a développé dans sa brillante carrière de footballeur, sa notoriété, l’affection que le monde lui porte, sa vision, son énergie, son charisme, son réseau, il les met aujourd’hui au service de son pays, de la jeunesse, et de toute l’Afrique. C’est sa façon à lui de dire merci. Il a fait sien ce proverbe nord ivoirien (Senoufo) qui dit : Quand tu auras perdu ton chemin, monte sur la termitière, au sommet de la termitière tu retrouveras ta route. Et quand tu redescendras de la termitière, n’oublies pas de remercier la termitière. Puis, quand tu auras remercié la termitière, n’oublies pas de remercier la terre qui a porté la termitière.

Souvenez-vous aussi quand en 2005, alors que l’équipe nationale obtient pour la première fois sa qualification pour la Coupe du monde, Didier Drogba et son équipe lancent un appel à déposer les armes, en pleine crise politique. C’est à genoux devant les caméras qu’il déclare : « Ivoiriennes, Ivoiriens, on vous a prouvé aujourd’hui que toute la population de la Côte d’Ivoire peut cohabiter, peut jouer ensemble pour un même objectif. Aujourd’hui, on vous le demande à genoux : un pays qui a toutes ces richesses ne peut pas sombrer dans la guerre comme cela. S’il vous plaît, déposez tous les armes. Organisez des élections, et tout ira mieux ». Cette parole de paix, ce geste magnifique, sont entrés dans l’histoire. Didier Drogba avait d’ailleurs toute sa place dans la commission de réconciliation nationale. C’est aussi cette page d’histoire que nous commémorons aujourd’hui en lui remettant ce doctorat honoris Causa. 

Didier Drogba, les jeunes doivent s’en souvenir, est de ceux qui pensent que chaque problème, chaque dysfonctionnement, est un moment d’apprentissage. Il est convaincu que les difficultés sont des opportunités pour évoluer, pour progresser, pour avancer collectivement. 

Finalement, il ne cesse de se mettre à genoux devant nous pour nous convaincre que la paix, que l’éducation, que l’effort, que la persévérance, sont nos meilleurs alliés pour un développement vertueux, pour l’avenir individuel de chacun sans jamais laisser qui que ce soit sur le bord de la route. Partout où il est passé, il a laissé une empreinte positive, une image enthousiasmante, une énergie stimulante qui laisse à penser que rien n’est impossible, surtout lorsque l’intelligence de chacun forme une intelligence collective. Il l’a démontré à la tête des Eléphants ou de son équipe emblématique Chelsea qui l’a nommé meilleur joueur de son histoire en 2015. Il a su défricher avec intelligence et persévérance les chemins ardus de la compétition internationale, un parcours du combattant qu’il a dépassé avec un engagement sans faille. S’il n’y avait qu’un mot à retenir lorsque l’on pense à Didier Drogba, c’est bien celui de l’engagement (« Comitment », le titre d’un de ses ouvrages, deuxième partie de ses mémoires, des confessions qu’il faut absolument lire pour comprendre la nature de cet engagement). 

Didier Drogba est reconnu pour ses qualités de meneur ; c’est comme attaquant de Chelsea qu’il s’est fait le redoutable nom qui trotte dans toutes les têtes, y compris dans celles qui ne sont pas acquises au football. Mais en marge du foot, c’est à un autre engagement de Didier Drogba qu’il faut rendre hommage, celui en faveur de la paix, de l’éducation, ou contre le paludisme et bien d’autres épidémies en Afrique. Il a d’ailleurs été nommé, en 2007, ambassadeur de bonne volonté du programme des Nations-Unies pour le développement. En 2010, le magazine Time l’a cité parmi les 100 personnalités les plus influentes du moment. Il l’est resté.

Mais le Ballon d’or africain que nous avons honoré a aussi été nommé vice-président de Peace and Sport, fonction que Didier Drogba prend comme une opportunité de « Give Back » au sport et à l’Afrique. Parce que Didier Drogba est habité depuis toujours par cette envie de rendre au sport, à sa communauté, à son continent, ce qu’il a reçu dans la vie. Mettre au service de nobles causes sa notoriété, son réseau, son pragmatisme, son expérience et son énergie, c’est ce qui motive plus que jamais notre lauréat au Doctorat Honoris Causa. 

Un modèle d’altruisme, un modèle pour les jeunes, invités à s’engager dans leur vie et pour le bien commun. C’est aussi un modèle de persévérance pour ne jamais oublier comme disait Nietzsche, que l’homme n’est pas animé par un instinct de conservation, mais davantage par un instinct de dépassement. C’est comme ça que vient le développement, le progrès, la croissance et le bien-être de tous. 

Quand Didier Drogba a contribué à la réconciliation nationale de son pays, la Côte d’Ivoire, il ne l’a pas fait en lien à un camp politique, il l’a fait en lien avec son peuple tout entier, sans aucune exception. C’est un exemple pour nous tous. Ses appels à la paix et son engagement social et sociétal ont contribué tout à la fois à sa légende et au rayonnement de la Côte d’Ivoire puis de l’Afrique à l’international. C’est une fierté pour tous les africains. Drogba c’est l’Afrique et l’Afrique c’est Drogba. Ces deux identités sont devenues indissociables dans l’esprit des jeunes et des moins jeunes de la planète entière. Ce fut pour nous un très grand plaisir de l’honorer. J’espère que bien d’autres africains auront les mêmes honneurs que lui dans un avenir proche. Il y en a tant qui donnent et redonnent à leur continent. 

Vous êtes membre du conseil d’administration du RUSTA. Pouvez-vous nous parler du rôle de ce réseau dans le développement économique de l’Afrique ?

Le Réseau des Universités des Sciences et Technologies d’Afrique (RUSTA) comprend plusieurs universités, écoles d’ingénieurs et business schools dans la sous-région de la CEDEAO en Afrique de l’Ouest. Ce réseau est notamment fortement présent en Côte d’Ivoire, au Bénin et au Togo, sans compter ses ramifications nombreuses en Afrique subsaharienne (Mali, Burkina Faso, Ghana, Gabon, Tchad, Niger, Cameroun, Sénégal…) et en Afrique du nord. Il est aussi en partenariat solide avec des réseaux comme le Conseil africain de l’entrepreneuriat et de l’innovation, le consortium intercontinental de la recherche et de l’innovation ou la conférence intercontinentale des universités et grandes écoles. LE RUSTA c’est donc un réseau d’Universités présent dans 17 pays en Afrique, mais également en France, avec un corps Professoral européen, canadien et africain, reconnu et Habilité par les instances académiques internationales. L’application systématique du LMD est dans tous les programmes d’enseignement et le laboratoire de recherche du réseau Le COMREFAS) dispose de sa propre revue scientifique indexée, la Revue Internationale des Sciences de l’organisation.

Le RUSTA est engagé dans la formation universitaire, la recherche, l’innovation et l’entrepreneuriat pour une jeunesse africaine qui constitue les futures forces vives africaines. Il est en effet important que cette jeunesse s’engage dans des projets de carrières et d’entrepreneuriat dans la sphère intracontinentale. 

Le RUSTA, avec 308 Diplômes du Réseau reconnus par les Etats et le CAMES et 7 Diplômes de l’Etat Français délocalisés à Abidjan, forme pour que l’Afrique puisse disposer de ses propres ressources humaines, ses propres forces de rebond. Le continent exporte hélas trop de ses compétences, trop de ses jeunes, trop de ses espoirs. Pour ce faire, le RUSTA tente de mettre en correspondance les attentes des entreprises et des institutions avec les programmes de formation et de recherche. Mais aussi, les perspectives de financement et de soutien à l’entrepreneuriat ou le micro entrepreneuriat, car, en Afrique, l’employabilité des jeunes passe souvent par des logiques d’auto création d’emploi via l’entrepreneuriat de subsistance ou l’entrepreneuriat qui répond à des besoins nationaux ou écosystémiques, c’est-à-dire à des milieux d’affaires ou des chaines de valeur orientés vers de grands objectifs de dynamique territoriale. Aucune grande entreprise ne peut en effet prospérer sans substrat économique ou chaine de valeur efficace. Le RUSTA a par exemple mis sur pied des programmes accompagnant la construction de clusters dans le domaine de la valorisation des minerais, l’exploitation d’agropoles, le développement d’activités phytosanitaires, les huiles essentielles et l’anacarde, des usines écoles dans le domaine des machines-outils ou le développement des réseaux d’innovation dans le domaine du digital et du numérique. 

La zone de libre-échange Africaine, la ZLECA, est devenue une réalité le 1er janvier 2021, est-ce une bonne initiative à votre avis pour l’économie africaine ?

La zone de libre-échange continentale africaine a mis un peu de temps à aboutir, et ce n’est que fin 2020 qu’elle a enfin obtenu le fameux tour de table des nations africaines, même si sur les 54 pays signataires, 18 n’ont toujours pas ratifié cet accord. Ce n’est pas que certains pays africains étaient réticents. Je dirai plutôt que les derniers pays qui y ont adhéré demeuraient dans le questionnement à propos de son efficacité sur 5 ou 10 ans selon le niveau de développement des pays adhérents. 

A mon sens, cet accord de libre-échange aura des effets bénéfiques sur l’intégration intracontinentale des marchés africains et réduira les coûts de transaction et logistique au sein de l’Afrique, mais il aura aussi deux effets pervers qui risquent de remettre en cause cet accord à moyen ou long terme.

Les effets bénéfiques sont attendus sur les coûts logistiques et déjà de grands projets routiers et portuaires sont à l’œuvre, notamment entre le nord et l’Afrique de l’Ouest. Le rapprochement des pays se fait sentir déjà mais des tensions persistent en raison des systèmes juridiques et fiscaux différenciés depuis quelques années. Les régimes fiscaux transfrontaliers sont très différents entre le Bénin et la Côte d’Ivoire, en la défaveur des citoyens ivoiriens. Il faudra donc davantage d’harmonisation juridique au sein de la CEDEAO, de l’Union africaine, de la zone tripartite de libre-échange avec le Marché commun de l’Afrique orientale et australe (COMESA), de la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE) et la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC), de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC), de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), de l’Union du Maghreb arabe et de la Communauté des États sahélo-sahariens. 

Les effets pervers que j’évoquais concerne deux points à ne pas négliger : (1) cet accord risque d’engendrer des phénomènes de mimétismes amenant, c’est déjà le cas, les pays à produire des biens identiques, s’auto-concurrençant négativement sur des opportunités de marché. Ces synergies négatives annulent les avantages que ces pays pourraient retirer du libre-échange par les pertes de compétitivité liées à l’anéantissement de leur spécificité ou leur singularité. Il est donc indispensable que les Etats africains concernés par ce libre-échange instaurent des politiques communes de diversification de leurs économies, se lancent dans des politiques actives d’installation d’infrastructures logistiques communes et de structures de transformation complémentaires de biens, tout en faisant jouer des synergies positives entre leurs économies. Sans ces efforts en matières de chaînes de valeurs et de facilités essentielles, y compris en matière bancaires et financières, le libre-échange deviendra source d’effritement et de fragilisation des économies locales ou sous régionales. (2) l’autre effet pervers est, par conséquent, que cette ouverture des marchés ne profite finalement et surtout qu’aux multinationales étrangères déjà bien implantées dans ces pays. L’accord de libre-échange salué par les européens ou les autres continents ne seraient alors qu’un instrument de facilitation de leurs stratégies de globalisation au sein du continent africain.

Vous avez réalisé plusieurs publications quelle est la dernière et un résumé si c’est possible ?

Je ne peux éviter de parler, non pas d’une, mais plutôt de mes deux dernières publications tant elles sont différentes mais complémentaires et très certainement utiles tant à la gouvernance suprême d’un Etat qu’au pilotage des entreprises ou des organisations qu’elles soient publiques ou privées.

La première contribution est un ouvrage qui porte sur la performance et la maîtrise des risques. Cet ouvrage s’inscrit dans une conception de la performance confrontée à la prise de risques dont l’une ne peut s’étendre sans la maîtrise de l’autre. La notion de performance est au cœur de toute décision managériale, financière, économique, politique et sociale, mais la pondération du risque qui y est associée rend toujours la tâche des décisions tout à la fois plus délicate et complexe à mener sans prise en compte d’un grand nombre de variables difficiles à manipuler de concert. Les managers et entrepreneurs sont en effet constamment tiraillés entre deux pensées oscillant tour à tour entre audace et prudence : « Qui veut gagner doit tout risquer » mais « Qui grimpe bien haut court le risque de tomber bien bas » (Proverbes danois, 1757). C’est la loi du genre, le dur métier de manager, le défi de tout spéculateur, l’ingénu du stratège et la fatalité des gestionnaires.  Cependant, la performance des entreprises a trop longtemps été associée aux seuls chiffres d’affaires, emplois créés, productivité, profits, investissements…, sans tenir suffisamment compte d’autres facteurs plus complexes ou systémiques où la lecture du risque est relativement absente. Ce sont souvent des évaluations ex post qui mesurent des effets quantifiables sans tenir compte du global et des effets organiques complexes sur l’ensemble de l’entreprise et de ses parties prenantes. C’est toute la question de l’alignement stratégique du risque et de la performance qui est posée. A travers certains outils de contrôle prospectif, les dimensions de la performance résument bien tous ces enjeux en termes de rentabilité confrontée aux risques. Si la performance économique mesurable par des instruments comptables (les soldes intermédiaires de gestion) est une dimension importante de l’appréciation de la situation d’une entreprise, la performance sociale n’en est pas moins importante pour mesurer le rapport entre l’effort social et les retombées en termes d’attitude des salariés, y compris dans l’anticipation de signes avant-coureurs de risques psychosociaux. A cela s’ajoute la performance managériale qui correspond notamment à l’ampleur de la réalisation des objectifs fixés ; la performance de la structure organisationnelle qui permet de plus en plus de mesurer le degré d’alignement stratégique des organisations ; la performance technologique qui mesure l’utilisation efficace des ressources de l’entreprise en termes d’innovation ou de production ; la performance commerciale qui se mesure à l’aune de la satisfaction-client ; la performance sociétale qui remet au cœur des sciences sociales l’intérêt de l’entreprise citoyenne ; et enfin la performance stratégique qui donne la mesure de l’avantage compétitif d’une organisation. Performance et qualité sont alors étroitement liées car la performance exige le respect d’outils d’optimisation de l’efficience, au-delà des objectifs assignés en termes d’efficacité. L’ouvrage se décompose en trois parties : (1) « une approche financière et comptable de la performance et du risque » qui présente des travaux sur les déterminants de la performance et du risque d’un point de vue industriel, commercial ou financier avec des terrains d’une grande diversité internationale pour bien montrer le caractère universel ou situé des théories ajustées en matière de management et d’anticipation du risque et de la création de valeur. Puis, (2) « une approche juridique et sociale de la performance et du risque qui donne toute la mesure des variantes du risque dans le cheminement complexe de l’optimisation de la performance d’entreprise confrontée à des environnements, des parties prenantes et des comportements où l’opportunisme côtoie les conventions de bon augure et la nécessaire responsabilité sociale et sociétale (juridique, éthique, morale, sécuritaire…). Et enfin, (3) « la performance et l’appréciation du risque pour les réseaux d’entreprises » qui permet de changer de niveau d’analyse et d’apporter une approche renouvelée de la performance et de la maîtrise des risques. Cet ouvrage se veut être une synthèse des approches de la performance des organisations dans une perspective tout à la fois prospective et systémique. Non seulement elle est mise en perspective avec l’étendue de la prise de risques que suppose une recherche accélérée de performance ou de gains dans un cadre d’optimalité, mais elle nous donne aussi à entrevoir toute la mesure de la complexité des décisions des managers, des dirigeants et des entrepreneurs confrontés à des environnements internes ou externes qui les mettent en tension par la dimension éminemment paradoxale du rapport entre la création de valeur nécessaire au développement des entreprises et la maîtrise des risques nécessaire à la survie de ces mêmes entreprises.

La deuxième contribution est issue d’un ouvrage sur le management public que je cosigne avec le professeur Bachir Mazouz sur la dualité de ce type de management au point de rencontre du secteur privé et du secteur public. Dans cet ouvrage, deux types de managers se côtoient : des technocrates qui sont motivés par la performance, l’efficacité et l’efficience productive d’une part, et des managers politiques orientés par des visions stratégiques de prise en compte de parties prenantes plus larges d’autre part. Notre contribution permet de mieux comprendre les différences qui opposent les hommes politiques des managers d’entreprises, ces deux catégories ne se comprenant que très peu, les uns pensant que les politiques ignorent tout des réalités de la performance, tandis que les politiques ont tendance à penser que les managers sont déconnectés des enjeux territoriaux, géopolitiques ou sociaux. Ces hommes politiques sont en principe davantage contraints par des principes de redevabilité et de responsabilité globale, leur action devant faire sens commun, tandis que les managers recherchent des performances localisées et bien souvent qui leur sont propres, en termes de fonction d’utilité. Dans la pratique, ces deux types d’acteurs se coordonnent à travers des processus permanents de négociation ou des compromis sur des temps longs, sans que pour autant les uns et les autres ne soient contraints de devoir maîtriser les compétences adverses. La confusion des deux rôles peut créer des tensions et des pertes de sens soit dans les axes politiques d’une nation ou d’une institution, soit dans l’approche technocratique de la performance des entreprises. Le management est irréductible à toute mutilation des réalités complexes vécues par les entreprises privées et par les instances de gouvernance publique ou système politique. Les acteurs publics et privés sont reliés par des intérêts, des objectifs, mais aussi par des pratiques communes. Lorsqu’ils se complètent et s’intègrent dans des stratégies communes, la performance est davantage marquée que lorsqu’ils s’affrontent par des visions divergentes et des confusions sur leurs missions et leurs pratiques respectives. Il est des cas en revanche où précisément l’acteur public joue un rôle majeur dans le succès stratégique de secteurs d’activités industriels. On peut citer par exemple les actions de lobbying dans la construction des sphères juridiques et économiques ou encore les partenariats public-privé. Bien évidement cela vaut pour les pays industrialisés et structurés, dont les principes de démocratie et de bonne gouvernance sont clairement établis de longue date. Il faut juste retenir que le système de management du leader politique a d’autres vertus que celle de l’efficacité ou de l’efficience. L’homo politicus n’est pas efficace ou efficient au sens économique du terme, mais il est sensé intégrer dans ses processus les voix des différentes parties prenantes de son territoire. D’ailleurs, les environnements changeants ou les situations critiques réclament davantage des modèles politiques de management qui dépassent les frontières internes de l’organisation et nécessitent le soutien d’un grand nombre d’acteurs externes. En période de crise par exemple, ce sont les solutions politiques qui sont privilégiées, alors que l’on pense généralement que seule la performance doit être managée de manière technocratique. En termes de valeurs, d’objectifs et d’expériences, les deux types d’acteurs sont très différents : les managers politiques n’ont aucune aptitude au management technocratique et les opérationnels du management technocratique ont tendance à regarder ces derniers comme des incompétents, car ils ignorent à peu près tout de la façon dont fonctionne une organisation politique. En ce sens, il est quasi impossible d’établir des routines de fonctionnement entre ces deux types d’acteurs. Si les technocrates ont une idée des objectifs à atteindre en termes de performance, seuls les managers politiques sont capables de mettre en perspective ces objectifs dans un contexte complexe où les parties prenantes ne partagent pas toujours les mêmes visions. Cela démontre ainsi que le développement et la croissance des entreprises privées se construisent avec le soutien infrastructurel et financier des autorités gouvernementales. Sans cet accompagnement politique, les entreprises sont vouées à l’échec ou à des coûts prohibitifs qui réduisent considérablement leur compétitivité. Les politiques à l’inverse ne se soucient guère des performances des entreprises privées et de leur stabilité, sauf à ce que les intérêts des électeurs soient concernés. Cependant, les liens entre public et privé concernent aussi les marchés et les biens consommés (redistribution des richesses et transferts sociaux, impact sur l’environnement, impact de l’international sur le marché local et ses conséquences sur la balance commerciale, etc.). Par conséquent, management politique et management technocratique sont étroitement liés. Si étroitement, que les associer complètement est tout autant une erreur que de les dissocier irréversiblement. 

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