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Le fossé se creuse dangereusement, entre revenus salariaux et pouvoir d’achat

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Les salaires de la Fonction publique, qui emploie environ 3 millions d’agents et de ceux, non moins important du secteur économique, n’ont pas enregistré de changement depuis 2012, date à laquelle le gouvernement avait décidé d’octroyer des augmentations à pratiquement tous les travailleurs algériens dans le but de faire barrage au «Printemps arabe».

Durant cet intermède d’environ une dizaine d’années, les prix à la consommation n’ont par contre, pas cessé de progresser sous l’effet d’une inflation quasi permanente couplée à une dérive continue du dinar. Le différentiel entre les salaires et les prix est aujourd’hui si grand qu’il a totalement laminé le pouvoir d’achat des algériens, classes moyennes y compris. Alors qu’en 2010, une famille de cinq personnes parvenait à vivre avec un salaire moyen de 36 700 DA, en janvier 2018 il en fallait 45 000, selon les estimations conjointes de l’UGTA, du CNES et du SNAPAP, que l’on peut consulter dans les archives de la presse écrite. Les pouvoirs publics qui avaient pour habitude de réduire l’acuité du problème par des augmentations de salaires accordées à certaines corporations à l’approche d’une échéance électorale importante, ne pourront sans doute pas recourir à ce geste populiste, eu égard au déficit abyssal qu’enregistre le budget de l’Etat.

Contenue à des proportions gérables durant toute la période de flambée des cours du pétrole (2004-2015), le budget de l’Etat et l’inflation ont, en effet, commencé à déraper dès août 2016, date à laquelle les prix du pétrole et du gaz avaient commencé à décliner de manière aussi forte que subite. Les recettes d’hydrocarbures avaient été pratiquement réduites de moitié tandis que l’inflation avait fait un premier bon à 5,8%, puis un second à 7%, à la fin de l’année 2017. En 2019 et 2020 la situation ne s’est guère arrangée sur ces deux fronts (recettes d’hydrocarbures et inflation), auxquels sont venus s’ajouter les deux facteurs aggravants que constituent aujourd’hui encore la pandémie de coronavirus et la crise politique.    

Les estimations prospectives tablent sur un taux d’inflation de 9 à 11% d’ici la fin de l’année en cours, car tout un ensemble de facteurs tend à y concourir. De nombreux déterminants militent en effet pour ce pronostic, à commencer par, la dévaluation massive du dinar par rapport aux devises fortes, la chute de la production industrielle, le surcroîts de taxes appliquées à plus d’un millier et les pénuries volontairement provoquées dans un contexte politique troubles.

Cet ensemble de facteurs tire quasi mécaniquement les prix vers le haut et comme il n’existe aucun mécanisme d’ajustement des salaires par rapport aux prix, le fossé entre revenus salariaux et coût de la vie, a tendance à se creuser pour constituer un véritable gouffre aujourd’hui. Sans doute par manque d’argent, le gouvernement ne peut même plus prendre la décision d’augmenter la valeur du SMIG (figé à 20.000 DA depuis 2010), ni celle de convoquer la « Tripartite », pour décider d’une hausse des salaires dans le secteur des entreprises.

De ce fait, le pouvoir d’achat des Algériens en sera affecté de manière grave et durable, dans un contexte de crises multidimensionnelles qui font craindre le pire.  Le soutien apporté par l’Etat aux prix de certains produits de premières nécessité (pain, lait, sucre, eau, carburants, électricité, gaz, transport public, etc.) ne suffira pas à contenir l’inflation dans une proportion acceptable, tant l’envolée des prix affectera tout le panier de produits auxquels se réfèrent l’Office national des statistiques (ONS) pour calculer les taux d’inflation.

La situation est d’autant plus grave que l’Etat ne verse plus depuis quelques mois ces subventions aux opérateurs qui assurent la production, l’importation, la fourniture et le transport de ces produits stratégiques. C’est toute la politique de subvention qui risque d’être ébranlée à une période où la population fortement appauvrie en a fortement besoin.

Il faut en effet savoir que les taux d’inflation «officiels» calculés par l’ONS sont des chiffres volontairement comprimés du fait qu’ils ne prennent en considération qu’une centaine de produits et services, dont au minimum une trentaine, bénéficie d’un soutien direct ou indirect des prix (pain, lait, carburants, électricité, gaz et eau, etc.) ou de prix administrés (céréales, transport de voyageurs, loyers publics, etc.). Si l’ONS venait à écarter de son panier de calcul, les produits soutenus par l’Etat, ses calculs seraient évidemment totalement chamboulés. On se retrouverait alors avec des taux d’inflation à deux chiffres pouvant avoisiner dans certains les 20%.

Ce regain subit d’inflation était en réalité prévisible. Un pays qui a construit pratiquement toute son économie sur la rente pétrolière ne peut en effet échapper aux conséquences d’un aussi substantiel déclin des recettes d’hydrocarbures qui a déstructuré le budget de l’Etat, au point d’avoir contraint la Banque d’Algérie à dévaluer le dinar d’environ 25% par rapport au dollar en moins d’une année. 

Pour un pays qui importe l’essentiel de ses produits de subsistance et dont le fonctionnement de l’économie dépend d’inputs et matières premières importés, la dévaluation du dinar a, à l’évidence, porté un coup dur aux indices de prix qui ont connu une subite envolée. On estime que les prix des produits importés ont renchéri d’au moins 20% en moyenne, uniquement du fait de cette dégradation rampante du taux de change du dinar, notamment par rapport au dollar et à l’euro qui constituent les monnaies de compte de l’écrasante majorité des marchandises et services importés.

A cette dérive du dinar qui avait déjà fortement ébranlé les prix à la consommation en 2016 (le cas des véhicules a été le plus spectaculaire), est venue s’ajouter toute une batterie de taxes instaurées par les lois de finances annuelles et complémentaires de ces 3 dernières années (généralisation de la TVA, valeurs administrées pour les fruits importés, taxes supplémentaires pour les carburants, les cigarettes, les alcools et autres) qui ont fait bondir les prix à la consommation à des niveaux que les salaires, qui n’ont pas évolués depuis 2012, ne peuvent évidemment pas faire face.   

Toutes ces mesures à l’origine du regain d’inflation ayant été prises dans le but de juguler le déficit budgétaire, en jouant notamment sur la parité du dinar par rapport au dollar, ne sauraient être abrogées du jour au lendemain du seul fait de pressions politiques ou sociales, à fortiori dans ce contexte de forte volatilité des prix du pétrole et de déclin des recettes fiscales, en raison d’une économie gravement fragilisée par la crise sanitaire.

Pour éviter un choc social, il reste le recours risqué à la planche à billets. On saura dans les tout prochains jours si le gouvernement, contraint à des choix cornéliens, usera de cette seule et unique carte, dont il dispose à l’instant présent. L’élection du 12 juin, l’instabilité du front social et la montée en cadence du hirak, vont très certainement peser dans son choix !

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