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Il y a deux ans, Bouteflika contraint de démissionner

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Désespérément accroché au pouvoir, le président Abdelaziz Bouteflika se préparait à briguer un cinquième mandat avec la certitude de l’obtenir en dépit de son très lourd handicap physique, quand il fut subitement contraint par des milliers manifestants très remontés contre lui, de retirer sa candidature du scrutin présidentiel qui devait avoir lieu le 18 avril 2019.

Pour éviter que ce scrutin ne débouche sur l’élection d’un des candidats en course, il prit le soin de l’annuler. Il avait bien tenté, en toute illégalité, de prolonger son mandat présidentiel d’une année, mais le chef de l’état major de l’armée, qui l’avait soutenu jusque là l’obligea, pour les raisons que nous évoquerons plus bas, à remettre sa démission au Président du Conseil Constitutionnel qui n’avait d’autres choix que de l’accepter.

En Algérie, on ne refuse rien aux hauts gradés de l’armée qui détiennent depuis la naissance de la république algérienne la réalité du pouvoir avec, de surcroît, la réputation bien établie de faire et défaire à leurs convenances, les chefs d’Etat. Sa démission avait été précédée, faut-il le rappeler, par un ultimatum de l’armée. Dans un communiqué au ton martial, le chef d’état major de l’armée avait en effet réclamé quelques heures auparavant, la mise en œuvre immédiate des dispositions de l’article 102 de la Constitution.

Vêtu d’une gandoura de couleur beige, assis sur un luxueux fauteuil roulant, le président Bouteflika avait un visage inexpressif et l’œil hagard. Il remit sa lettre de démission au Président du Conseil constitutionnel, Tayeb Belaïz, qui se lève pour la prendre, sans toutefois prendre la peine de la lire, comme s’il craignait de rendre public son contenu.

Cette séquence diffusée par la chaîne de télévision publique le mardi 2 avril au soir, incarne la fin pitoyable, voire même tragique du long règne de celui que les algériens avaient fini par assimiler à un monarque.

Affaibli par un cancer de l’estomac, suivi quelque temps plus tard par accident vasculaire cérébral, il passait son temps entre les hôpitaux français et suisse et sa résidence hyper médicalisée de Zéralda. Il ne s’adressait plus à la population que par des lettres lues par ses collaborateurs, on ne le voyait qu’à de très rares occasions sur un fauteuil, mais il n’était pas question pour lui de décrocher de son poste en dépit des appels de certains partis d’opposition et personnalités politiques, à constater l’état d’empêchement du président et faire valoir en conséquence l’article 102 de la constitution**.

L’état major militaire n’ayant jamais pu régler le problème de la succession, l’application de cet article qui tombait pourtant sous le bon sens dés l’année 2013, fut constamment rejetée, sans doute par ceux que sa seule présence physique rassurait.

Cette disposition constitutionnelle ne sera activé que le 2 avril 2019, lorsque qu’Ahmed Gaid Salah eut vent d’un complot que Said Bouteflika, frère cadet du président et quelques uns de ses complices, tramaient contre lui afin de le limoger et, disait-on même, de l’incarcérer.

La démission forcée d’Abdelaziz Bouteflika avait été, on s’en souvient, précédée par un ultimatum de l’Armée Nationale Populaire, lu sur un ton martial par son chef d’état major, Ahmed Gaid Salah, à l’issue d’une réunion à la quelle avaient pris part les plus hauts gradés de l’armée. Dénonçant « l’entêtement et la sournoiserie de certains individus qui veulent compliquer la crise », Ahmed Gaid Salah, exigeait le départ immédiat du président démissionnaire et l’application de l’article 102 de la Constitution qui permet de l’évincer sur le champ de la scène politique en le remplaçant aussi tôt par un Chef de l’Etat par intérim chargé d’organiser 90 jours après son installation, une nouvelle élection présidentielle dont la date fut rapidement fixée au 4 juillet 2019.

Ainsi, l’homme qui avait projeté de mourir sur son fauteuil de chef d’Etat et dont on évoquait déjà les funérailles grandioses lorsqu’il aura disparu, sera à son grand dam, contraint de, non seulement, renoncer le 11 mars 2019 à un cinquième quinquennat, mais pire encore, à remettre sa démission 26 jours avant l’expiration officielle de son mandat. Il ne fera cependant l’objet d’aucune poursuite judiciaire et, à l’heure où nous écrivions ce texte, soit environ 11 mois après sa démission, une information digne de foi nous apprenait sa présence et celle de quelques uns de ses proches parents, dans la résidence médicalisée de Zeralda où il continue, à vivre et se soigner aux frais des contribuables.

Le départ de ce potentat qui avait pris en otage, vingt années durant le pays, sera vécu par l’écrasante majorité des algériens comme une délivrance. Une ambiance de fête gagna d’ailleurs aussitôt que la nouvelle s’était répandue, la Grande Poste d’Alger où de nombreux jeunes entonnent des chants de supporters d’équipes de football, parmi lesquels « La casa del Mouradia » rebaptisé « Liberté » du jeune chanteur Soolking devenus les hymnes de la contestaElles étaient déjà célèbres dans les stades mais on les entendra dans les avenues centrales de la capitale qu’à partir du 22 février 2019, date de la première marche pacifique contre le régime, à l’occasion de laquelle, des milliers de supporters  de l’Union Sportive de la Médina d’Alger (USMA), les avaient chanté avec un brio tel, qu’ils suscitèrent une grande émotion, notamment chez les jeunes, qui se sont appropriés les paroles de ces chant qui évoquent parfaitement leur détresse.

Inspiré de la série télévisée espagnole à succès  « la casa de papel » qui met en scène une bande de malfaiteurs, le titre « La casa del Mouradia » évoque le palais présidentiel d’El-Mouradia situé dans le quartier du même nom, qui symbolise la toute puissance du régime politique algérien. Chanté en duo avec Ouled El Bahdja la chanson « Liberté » qui dépeint de manière poignante la désespérance de la jeunesse algérienne, propulsera Soolking au rang de méga star du hirak.

 Si l’état major de l’armée était effectivement résolu par mesure de survie, à se débarrasser de ce vieux président grabataire massivement rejeté par le peuple, il n’a, par contre, jamais été question pour lui de céder au peuple algérien ne serait-ce qu’une parcelle du pouvoir qu’il détient d’autorité depuis l’indépendance du pays. Il faut dire que les manifestants ont dès les premiers mois du hirak mis la barre très haute, en réclamant notamment, l’application des articles 7 et 8 de la constitution qui accordent la souveraineté nationale et le pouvoir constituant exclusivement au peuple.

Pour noyer cette exigence populaire, le haut commandement militaire fera œuvre de diversion en imposant d’autorité l’article 102 de la constitution qui lui octroi le pouvoir d’utiliser les institutions et les hommes de son choix, pour façonner à sa guise cet avenir politique sensé être tracé par le peuple.

Lorsqu’il est appliqué isolement des articles 7 et 8, l’article 102 donne en effet au haut commandement militaire la possibilité de coopter, comme il en avait l’habitude, les hauts responsables du pays, à commencer par le président de la république, derrière lesquels il s’abrite pour exercer, sans jamais devoir rendre compte de ses erreurs, le pouvoir réel. Les hauts gradés de l’armée pourront ainsi continuer à tirer de gros avantages matériels et imposer des décisions dont ils ne seront jamais comptables.

Abdelaziz Bouteflika quittera définitivement son poste le 2 avril 2019 en laissant malheureusement un cadeau empoisonné consistant, comme nous l’évoquions plus haut, en une proposition de feuille de route qui continue aujourd’hui encore à conforter l’état major de l’armée dans son obsession de refuser au hirak la possibilité d’organiser lui-même la transition.

C’est l’état major militaire qui s’entête aujourd’hui encore à concevoir et gérer à sa guise cette transition qui s’est déjà traduite par la très contestée élection du 12 décembre 2019 et toutes les lois qui ont été promulguées dans le sillage de ce controversé rendez électoral. Ce n’est pas pour autant que le hirak s’est arrêté de réclamer cette transition que le peuple tient à organiser.

Deux mois après ce scrutin d’où avait émergé le président Abdelmadjid Tebboune, cette réclamation figure toujours parmi les slogans phares du hirak. Le chef d’état major militaire prendra à son compte cette idée de prolongation de mandat envisagée par Abdelaziz Bouteflika, pour accaparer « manu militari » toutes les prérogatives régaliennes de l’ex président de la république. Il ouvrit ainsi la porte à de graves dérapages.

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