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Akli Moussouni : « Si notre agriculture génère 25 milliards dollars, elle serait plus performante que celle des 2/3 des pays de l’UE »

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Dans cet entretien, M. Akli Moussouni, Expert Senior/ Directeur des programmes au Cabinet de recherche et développement SIMDE COMPAGNY, revient sur les récentes actualités du secteur de l’Agriculture, notamment les chiffres annoncés récemment par le président de la République qui a indiqué que « c’est la première fois depuis l’indépendance que les revenus du secteur dépassent ceux des hydrocarbures, s’élevant à plus de 25 milliards de dollars, ce qui a permis de ne pas importer de légumes et de fruits. »

Algérie-Eco : Lors de sa dernière rencontre avec les médias nationaux, le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, s’est exprimé sur le secteur de l’Agriculture en Algérie. Il a souligné que « c’est la première fois depuis l’indépendance que les revenus du secteur dépassent ceux des hydrocarbures, s’élevant à plus de 25 milliards de dollars, ce qui a permis de ne pas importer de légumes et de fruits. » Que pensez de ces chiffres annoncés par le président Tebboune ?

Akli Moussouni : En tant qu’expert d’un cabinet de recherche et développement citoyen, nous sommes scandalisés à l’idée qu’un ministère de l’agriculture qui ne dispose d’aucune information viable, compte tenu du caractère informel de son secteur, pour lequel il n’a produit aucune politique de développement et de normalisation, déclare contre toute logique et bon sens, à travers son directeur des statistiques, que l’agriculture algérienne a engrangé en 2019 « une production de 29,1 milliards de dollars en progression par rapport à 2018 qui avait enregistré 28 milliards dollars« . Auparavant on avait déclaré pouvoir réduire l’importation de la poudre de lait de 50%  et de la totalité du blé dur avant la fin 2019. Plus que ça, on allait même relever « le défi de l’autosuffisance alimentaire et de l’exportation de la tomate, de la pomme de terre et même des céréales » !

Revenons au chiffres énoncés par le Président de la république, si notre agriculture génère 25 milliards dollars avec ses 8 millions d’hectares (3125 USD /Ha), elle serait beaucoup plus performante que celle des 2/3 des pays membres l’union européenne (2662 USD/Ha) et 5 fois plus performante que celle du Brésil qui peine à dépasser 64 milliards de dollars avec ses 80 millions d’Hectares (797 Dollars/Ha), pourtant travaillés avec des techniques des plus modernes. Il faut retenir que l’extrapolation de toutes ces données à travers une approche rationnelle donne une estimation d’environ 5 milliard dollars l’équivalent en DA de la valeur de la production agricole algérienne. Aussi, l’arrêt des importations de légumes et fruits frais à l’exception des bananes ne peut expliquer ce montant des 25 milliards dollars de recettes, sachant qu’en 2019, on a importé pour pas moins de 310 millions de dollars dont 55% en légumes précuits et 45 % en fruit transformés. Nous ne disposons pas des données de l’année 2020 pour étayer notre analyse.

Le ministre de l’Agriculture et du développement rural a annoncé récemment la signature de contrats de performances entre les représentants de l’administration centrales et les responsables des services agricoles des 48 wilayas. Selon lui, le but de ces contrats de performance « c’est de définir le rôle des responsables et leur engagement dans la réalisation des objectifs tracés dans la feuille de route 2020-2024 ainsi que leur disponibilité de servir les intérêts des agriculteurs, les éleveurs et de l’économie nationale ». Quel est votre avis là-dessus?

Rappelez-vous que ce ministère avait procédé en 2009 à une série de signatures des « Contrats de performance » avec les walis, pour « la fixation des objectifs pour le développement agricole et rural pour chaque wilaya à l’horizon 2014 ». En parallèle il y eu aussi signature du même « contrat de performance » avec l’Office algérien interprofessionnel des Céréales (OAIC) et l’Office national interprofessionnel du Lait (ONIL). Les dit contrats, n’ayant rien produits ils ont été relégués aux oubliettes.

Tout récemment, le 10 octobre 2020, le Ministère de l’Agriculture, à défaut d’une vision qui puisse faire évoluer la situation, a annoncé la reprise de ces contrats de performance, comme « moyen d’évaluation du secteur de l’agriculture » qu’il a entériné en date du 27 février 2021 avec ses propres représentants au niveau des wilayas, comme si auparavant ces derniers n’étaient pas sous son autorité. Cette fois on a « changé » l’interlocuteur mais aussi l’objectif assigné à cette action, à savoir : « définir le rôle des responsables et leur engagement dans la réalisation des objectifs de la feuille de route 2020-2024 » selon les propos du ministre de l’Agriculture.

Il y a lieu de retenir que l’analyse de cette « feuille de route 2020-2024 » n’est autre qu’un listing d’objectifs à atteindre, sans un mot sur le comment y parvenir. C’est à nos yeux un autre leurre qui va encore faire perdre au pays du temps et des deniers publics, des lors qu’on continu d’user des reflex et des dispositifs qui ont largement montré leurs limites.

Un récent classement mondial portant sur la sécurité alimentaire des pays a classé l’Algérie à la 58ème place en la matière. Qu’en pensez-vous de ce classement et du rang occupé par notre pays?

C’est une appréciation non appropriée car les indices de classements exploités tels que l’accès à la nourriture et de sa disponibilité ne sont pas traités par rapport à l’origine du produit, qu’il soit importé ou pas. Alors que pour notre pays, c’est cette situation qui pose un double problème du fait que la quasi-totalité de notre alimentation et importée en produit frais ou en intrants et que sa consommation est conditionnée par le subventionnement d’environ 500 Da pour chaque dollars importé. A titre d’exemple l’Etat importe annuellement 1,4 milliard dollars de poudre de lait mais en temps la subvention du consommateur du produit laitier revient à 42 milliards DA au trésor public.

Aussi, par rapport à l’indice de qualité, ce classement ignore totalement la nature du marché. En Algérie il n’est pas normalisé, mais les conséquences sur la sante publique n’ont jamais été évaluées, car supportées en partie par la gratuité des soins ou par l’assurance largement déficitaire. Ce qui fait que cette position à la 58ème place est superficielle car elle n’exprime aucune appréciation sur la sécurité alimentaire dont les pays de mono- économie comme l’Algérie, le Venezuela la Libye, le Nigeria, etc, où elle est loin d’être garantie à leurs citoyens. La rupture de stock de semoule qui avait eu l’année dernière a failli poser problème, combien même les boulangeries n’arrivaient pas écouler leur pain. La sécurité alimentaire obéit à 3 principes : disponibilité de l’alimentation pour couvrir les besoins du corps humain, l’alimentation doit être saine, donc non contraignantes, tandis que le consommateur doit avoir accès dignement, c’est-à-dire sans le soutien de l’Etat. Ce qui n’est pas le cas chez nous pour la majorité de la population.

 

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