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Rwanda : la « success-story » africaine à plusieurs facettes

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Adulé par les uns, décrié par les autres, l’incroyable essor du Rwanda tel que nous le connaissons aujourd’hui est au centre de plusieurs théories, parfois parmi les plus controversées. Et il y a de quoi, tellement l’histoire de ce pays déchiré hier par des violences, érigé aujourd’hui en modèle de développement, semble tout droit sortie d’un roman de fantasy à l’américaine. Ainsi, pendant que la majorité des sympathisants du président Paul Kagame refusent de remettre en cause le statut de « leader charismatique » d’un dirigeant qui a su reconstruire un pays en lambeaux, du côté de ses détracteurs, on essaye de démystifier l’histoire de celui que ses opposants considèrent comme l’un des derniers dictateurs d’Afrique.

La question des droits de l’homme au cœur de la controverse : « Quand on demande aux gens, ils disent qu’ils préfèrent ne pas parler. Ils disent : ‘’si tu veux survivre, mieux vaut se taire parce que quand tu parles, tu   peux aller en prison, disparaître ou mourir’’. Ce n’est pas parce que les gens n’ont rien à dire qu’ils se taisent, c’est parce qu’ils cherchent à éviter des problèmes ». Ces mots de l’activiste rwandais, William John Ntwali, illustrent assez bien l’image du Rwanda en matière de promotion des droits de l’homme sur la scène internationale.

Pourtant, celui qui dirige le pays depuis 2000 a longtemps été un des « enfants chéris » du monde occidental. Ses exploits concernant le redressement économique et social du pays faisaient d’ailleurs de lui une figure politique plus proche d’un futur « prix Nobel » que d’un dictateur liberticide. Ainsi a-t-il été qualifié de « leader visionnaire » par l’ancien Premier ministre britannique, Tony Blair, et d’«un des plus grands leaders de notre temps » par l’ancien président américain, Bill Clinton.

Cependant, depuis quelques années, le régime de Paul Kagame semble être descendu progressivement du piédestal sur lequel les pays occidentaux l’avaient monté. Désormais, le pouvoir rwandais est considéré comme étant un véritable bourreau des droits de l’homme, surtout de ceux des individus qui ne partagent pas les mêmes idées que lui.

Déjà, les classements mondiaux du pays en matière de droits de l’homme sont peu flatteurs. D’après Reporters sans frontières (RSF), la liberté de la presse au Rwanda est limitée, car les organes de presse sont pour la plupart contrôlés par l’Etat. Selon le rapport sur la liberté de la presse dans le monde en 2020, le pays occupe la 155e place mondiale et la 45e place africaine. En dehors de cela, de nombreux rapports ont dénoncé les dérives du gouvernement rwandais concernant notamment les critiques du pouvoir. Dans une étude publiée en février 2021, l’ONG Freedom House (financée par le gouvernement américain) a révélé comment le pouvoir rwandais est devenu l’un des principaux acteurs de la répression des opposants à l’étranger. L’institution affirme : « la répression transnationale rwandaise est exceptionnellement large en termes de tactiques, de cibles et de portée géographique. Les Rwandais à l’étranger font l’objet de menaces numériques, d’attaques par des logiciels espions, d’intimidation et de harcèlement familial, de contrôles de mobilité, d’intimidation physique, d’agressions, de détention, de restitution et d’assassinat. » Il va plus loin en ajoutant : « le gouvernement a pris physiquement pour cible des Rwandais dans au moins sept pays depuis 2014, dont la République démocratique du Congo (RDC) et le Kenya, ainsi que dans des pays plus lointains comme l’Afrique du Sud, les Emirats arabes unis et l’Allemagne. Des Rwandais vivant aux Etats-Unis, au Canada et en Australie font état de craintes intenses, de surveillance et de représailles ».

Pour qui a suivi l’affaire de l’arrestation de l’ancien héros du génocide rwandais, Paul Rusesabagina (qui a mystérieusement disparu alors qu’il se trouvait à Dubaï avant de réapparaître quelques jours plus tard entre les mains de la police rwandaise), ou encore celle des opposants Patrick Karegeya (assassiné dans un hôtel de Johannesburg le 1er janvier 2014), et de Kayumba Nyamwasa (blessé par balle en 2010 après s’être échappé en Afrique du Sud), ces révélations peuvent être troublantes ; d’autant plus que le gouvernement a souvent tenu des propos controversés. Commentant le meurtre de Patrick Karegeya, le ministre de la Défense déclarait ainsi que « lorsque vous choisissez d’être un chien, vous mourez comme un chien ».

Ces accusations s’ajoutent aux soupçons selon lesquels Kigali alimenterait les conflits qui déstabilisent la RDC depuis des décennies afin de mieux contrôler une partie de ses larges ressources minières. Si les autorités ont toujours démenti ces allégations, elles ont poussé les pays occidentaux tels que les Pays-Bas, les USA, l’Allemagne, la Grande-Bretagne, la Belgique, et même l’Union européenne, à suspendre au début des années 2010, leurs coopérations militaires et financières avec Kigali.

Un « faux héros » pour les opposants : Etant les principales cibles de la répression menée par le pouvoir, les opposants rwandais ont une perception du régime de Kigali assez proche de celle des organisations de défense de droits de l’homme. Pour les critiques du gouvernement de Paul Kagame, celui-ci reste l’un des pires tortionnaires des droits fondamentaux de la personne.  « En fait, le gouvernement rwandais n’est pas encore prêt à accepter l’ouverture de l’espace politique », affirme l’opposante Victoire Ingabire Umuhoza, emprisonnée pendant huit ans après avoir annoncé qu’elle voulait se présenter à la présidentielle contre Paul Kagame en 2010.

Cependant au Rwanda, les contestations des opposants dépassent souvent le simple cadre du combat pour plus de démocratie, comme on peut le voir en Russie ou en Chine. Elles sont en effet pour beaucoup, liées à l’histoire complexe du génocide rwandais, que plusieurs activistes accusent le régime de Paul Kagame d’avoir instrumentalisé.

Si aucune organisation internationale ou aucun pays étranger ne remet en cause l’atrocité qu’a été le massacre d’environ 800 000 Tutsis en 1994, certains opposants estiment que la réconciliation nationale, pour laquelle le régime en place a été tant plébiscité, n’est que de façade. En réalité, la paix et la stabilité qui font aujourd’hui la fierté du pays est-africain ne seraient que le résultat d’une véritable politique de terreur menée par le régime pour imposer « sa vision de l’histoire » au peuple. Toute idéologie dissidente est systématiquement étouffée, dénoncent plusieurs activistes. Au final, pour les opposants rwandais, Paul Kagame n’est qu’un « loup déguisé en agneau », un mythe qu’il faut déconstruire pour laisser émerger la vérité.  « Kagame et son Front patriotique rwandais (FPR) sont arrivés au pouvoir après le génocide des Tutsis et la guerre civile de 1994 qui s’est terminée par la victoire du FPR, majoritairement tutsi, contre le précédent régime dominé par les Hutus. La version des événements du FPR, dans laquelle il a mis fin au génocide et sauvé le pays est devenue l’histoire officielle, et les descriptions différentes sont criminalisées comme « idéologie du génocide » et « divisionnisme » », indique l’ONG Freedom House.

Ainsi, il est assez courant que les opposants rwandais et leurs partis politiques soient qualifiés de terroristes, une catégorisation qui légitime presque la « traque » dont ils font l’objet. En 2010, Victoire Ingabire Umuhoza avait ainsi été condamnée à 15 ans de prison pour « conspiration contre les autorités par le terrorisme et la guerre » et « minimisation du génocide de 1994 ». La justice l’avait accusée d’avoir nié la réalité du génocide après qu’elle a demandé que les auteurs de crimes contre les Hutus soient eux aussi jugés. Une histoire qui semble se rapprocher de celle de Paul Rusesabagina, accusé lui aussi de terrorisme comme de nombreux autres opposants.

Le pouvoir rwandais reste ferme et déterminé à lutter contre tout ce qui pourrait à nouveau remuer des tensions dans le pays et le déstabiliser. Paul Kagame affirmait lui-même en 2014 que « toute personne toujours en vie qui pourrait conspirer contre le Rwanda, qui qu’il ou elle soit, en paierait le prix… Qui qu’il ou elle soit, c’est une question de temps ».

Un incroyable miracle africain : Malgré cela, la perception du pays des Mille collines par une large partie de la population africaine est radicalement à l’opposé de l’image négative dressée par les organisations de défense des droits de l’homme et les opposants rwandais.

En 21 ans, l’image du « miracle » rwandais n’a jamais disparu des esprits africains. Au contraire, elle s’est renforcée, surtout au sein d’une jeunesse qui cherche de plus en plus à s’inspirer des modèles de succès « made in Africa ».

Le moins qu’on puisse dire, c’est que les performances incroyables du Rwanda collent parfaitement à cette image. Alors qu’il est quasiment dépourvu de ressources naturelles pouvant lui garantir des revenus importants, le Rwanda fait partie des champions africains de la croissance économique depuis plusieurs années. Celle-ci a augmenté en moyenne de 15% entre 2000 et 2019, selon les chiffres du Fonds monétaire international (FMI). Cette croissance économique s’est accompagnée d’une amélioration des conditions de vie de la population.

Selon la Banque mondiale, le taux de mortalité infantile a baissé de deux tiers et le pays a presque atteint l’objectif d’éducation primaire universelle. Selon les statistiques nationales, le taux de pauvreté a baissé de 77 % en 2001 à 55 % en 2017, tandis que l’espérance de vie à la naissance est passée de 49 à 69 ans entre 2000 et 2019. Sur la même période, le taux de mortalité maternelle a chuté passant de 1270 à 290 décès pour 100 000 naissances vivantes. Le coefficient de Gini, qui mesure le niveau des inégalités, a lui aussi baissé de 0,52 à 0,43 entre 2006 et 2017. Grâce à des investissements intensifs dans le secteur de la technologie, le pays est aujourd’hui l’une des références continentales en matière d’accès à Internet et d’innovation. De plus, le Rwanda est l’un des champions mondiaux en matière de promotion du genre féminin dans les instances de prise de décision. 64% des sièges au Parlement du pays sont occupés par des femmes. En 2018, un gouvernement composé de 50% de femmes a été installé.

Mais au-delà de ces chiffres, ce qui frappe de nombreux Africains qui visitent le pays, c’est l’incroyable discipline qui semble y régner. Il n’est pas rare d’entendre de nombreux touristes vanter le respect qu’ont les Rwandais pour la chose publique, contrastant avec la réputation de nombreux autres pays du continent, ainsi que le sérieux et la rigueur avec lesquels les autorités font leur travail. D’ailleurs, Kigali la capitale du Rwanda est considérée comme la « ville la plus propre d’Afrique ».

Pour de nombreux Africains, cette success-story reste indissociable du personnage de Paul Kagame considéré comme le principal artisan de la réussite du « Singapour africain ». De plus, le discours résolument panafricain du dirigeant a trouvé un écho auprès d’une large partie de la jeunesse africaine friande de modèles africains à suivre.

Avec plus de 2,2 millions de followers sur twitter, le dirigeant est l’un des chefs d’Etat les plus populaires sur les réseaux sociaux. D’ailleurs, il n’hésite pas à utiliser ces canaux prisés par la jeunesse du continent pour améliorer sa visibilité.

Un système de gouvernance clair-obscur : Aujourd’hui, bien malin qui pourra dire avec certitude si le Rwanda est sous le coup d’un pouvoir de la terreur, ou au contraire s’il s’agit d’un véritable havre de paix, bâti sur un sentiment commun d’appartenance à une seule nation. Chaque vision semble avoir sa part dans toute la vérité et on peut sans nul doute affirmer que la stabilité et l’essor socio-économique du Rwanda sont une lumière qui a certainement sa part d’ombre.

Pour de nombreux observateurs, l’effet pervers du miracle rwandais dû à un seul homme réside dans la crainte que toute la structure du Rwanda d’aujourd’hui s’effondre une fois que celui-ci ne gouvernera plus. A la fin de l’ère Kagame, les vieilles rivalités pourraient resurgir de plus belle.

Quoi qu’il en soit, l’idée selon laquelle il ne peut y avoir d’institutions fortes, de pays forts, sans des hommes forts, semble partagée par une grande partie de la population africaine. Et à l’aube d’une révolution économique, politique et sociale africaine qui doit être portée par ses jeunes, les leçons tirées du cas rwandais pourraient inspirer toute une génération de dirigeants sur le continent noir.

Ecofin

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