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Mustapha Mekideche : « Le nouveau paradigme économique nécessite la construction d’un consensus politique et social »

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Le chef de l’Etat a lancé plusieurs défis dans le prochain plan de relance économique, mais leur exécution nécessite le retour de la confiance et de la transparence dans les marchés estime l’économiste Mustapha Mekideche. Toutefois, le grand défi est de construire un consensus social et politique pour passer à un nouveau paradigme économique.

Algérie Eco : Le gouvernement vient de tracer un plan d’action économique pour faire face à une conjoncture particulièrement délicate. Que pensez-vous des conclusions dégagées par le gouvernement lors de sa rencontre avec les partenaires sociaux ?

Mustapha Mekideche : N’ayant pas participé aux travaux de cette Conférence, je n’ai pas une vue complète sur les échanges qui ont eu lieu, en dehors de ce qui a été rapporté par les médias. Mais j’ai la faiblesse de penser qui si vous me questionnez sur le sujet c’est que mon propos et un regard extérieur peuvent intéresser vos lecteurs. Il me semble d’abord que la tonalité générale et le contenu des conclusions renvoie pour l’essentiel  à deux  textes référents connus : le programme du candidat aux élections présidentielles et celui du Gouvernement. Les éléments nouveaux ont été introduits par des contraintes inédites de conjoncture, ce que les adeptes de la méthode probabiliste appellent le « cygne noir ». Il s’agit de la pandémie de la Covid-19 et de ses conséquences avec la chute brutale des recettes extérieures attendues ( 23 milliards de dollars contre 33 milliards pour 2020) et la récession estimée à moins 7%.

Il faut rappeler que la LFC 2020 avait intégré une partie des incidences budgétaires résultantes de cette pandémie ( réduction du programme d’équipement, réduction du déficit de la balance des services notamment). De plus il convient d’ajouter qu’un nouveau rebond de la pandémie n’est pas totalement exclu au plan international avec, le cas échéant, de nouvelles conséquences négatives à gérer. Dans ces conditions il apparaît nettement que la préservation des équilibres économiques(sauvegarde des entreprises), sociaux (préservation  de l’emploi) et même monétaires (effet de bank run sur les guichets postaux) de court terme est prioritaire pour le gouvernement. Cela durera jusqu’au premier semestre 2021 au moins. Pour être complet le plan de relance économique 2020-2024, dont les éléments d’architecture sont esquissés mais non quantifiés encore, sera probablement mis au point entre temps dans une vision prospective à 2035 qu’il va falloir préciser elle aussi.

Il y a encore un travail difficile à produire dans un environnement interne peu mesurable (outil statistique non exhaustif, faible digitalisation, ampleur de l’informel) et un environnement international complexe en cours de mutation. Mais il faudra bien trouver nos marques et afficher notre vision pour en baliser le chemin. En attendant, la gestion pragmatique du court terme, avec des ressources limitées est un exercice délicat et difficile. Il nécessite le consensus social le plus large pour rétablir la confiance. La plate-forme commune aux sept organisations patronales et professionnelles remises au pouvoirs publics est un pas dans cette direction. Il serait utile, pour l’inclusive de la représentation des salariés, que les syndicats  ( UGTA et syndicats autonomes) en fassent de même, surtout à la veille de la rentrée sociale.

Le chef de l’Etat a fixé plusieurs objectifs à long et à court terme. Pensez-vous qu’ils sont réalisables et dans quelles conditions ?  

Les objectifs à court et long terme dont a parlé le Chef de l’Etat, et que vous évoquez, portent sur les nouveaux moteurs de la croissance de nature à diversifier l’économie nationale et réduire progressivement notre vulnérabilité de pays mono exportateur d’hydrocarbures. Il s’agit d’un enjeu stratégique en termes d’investissements productifs à promouvoir. C’est pourquoi le Président de la République met sur la table une partie du financement : 10 milliards de dollars prélevés sur les 57 de réserves de changes et 1900 milliards DA en tant que disponibilités bancaires.

En y ajoutant les apports variables non estimés du secteur privé local et ceux des investisseurs étrangers bénéficiant d’arbitrages précis, assis sur des maturations de projets professionnels ces objectifs peuvent être réalisés plus efficacement que par le passé. Un dernier point sur les sources de financement, une partie des encaisses oisives du secteur informel devra également être mobilisée par des véhicules spécifiques, notamment ceux de la finance islamique.

Le deuxième point que je retiens du discours du Président de la République pour soutenir la faisabilité de ces objectifs de moyen et long terme est le soutien à l’émergence d’une classe d’entrepreneurs jeunes et moins jeunes porteurs de projets de start-up, de PMI/PME mais aussi de grands groupes. Ce soutien a été surtout acté par la dépénalisation des actes de gestion pour lesquels il n’y a pas d’enrichissement personnel. C’est une grande avancée pour la communauté des affaires en Algérie et celle des IDE. Cela améliorera le climat des affaires et libèrera les initiatives autant que la débureaucratisation et la digitalisation des activités économiques. Mais ces initiatives et ses projets devront se faire selon le principe de l’égalité dans l’accès aux facteurs de production et au marché par une concurrence saine pour éviter la capture des rentes et dans certains cas la capture de l’Etat telle que cela s’est passé sous le régime précédent.

Plusieurs tentatives de réformes ont été tentées dans le passé mais sans aboutir. Quelles sont selon vous les pratiques à éviter afin de ne pas refaire les erreurs précédentes ? 

Vous rebondissez sur ma conclusion, en réponse à votre deuxième question. Je vais donc tenter de préciser ma pensée et vous répondre en partant de la crise de 1986 qui nous a conduit au Programme d’Ajustement Structurel de 1994-1998, jusqu’à présent.

En fait, pour avoir écrit et publié au moins trois livres et une série d’articles sur la conduite des réformes pendant cette longue période, je suis arrivé à la conviction que ces réformes dont vous parlez ont été incomplètes et inopérantes parce qu’elles n’ont jamais fait la rupture avec le financement rentier de l’économie et quelque part celle de la reproduction sociale. Plus grave encore certaines d’entre elles ont été utilisées pour capturer des rentes et même capturer l’Etat,  comme je l’ai dit plus haut, au profit d’une caste d’oligarques et d’exportateurs du reste du monde.

En fait la séparation de l’argent de la politique est préjudicielle à toute volonté de réforme de notre système économique. Même dans les années d’excédents financiers les plus élevés notre économie était encastrée dans la nasse d’une croissance molle dont elle n’arrivait pas à sortir notamment pour cette raison (surfacturation, surcoûts, retards, etc). C’est d’ailleurs pour cela que j’avais sous-titré mon dernier ouvrage publié en 2016 : « une décennie de crises et de croissance molle ». Mais je  vais vous redire le fond de ma pensée , car je l’ai déjà dit : si ce n’était la puissance et la durée du Hirak qui faisait sortir des millions d’Algériens tous les vendredis et l’accompagnement de l’Institution militaire, je ne crois pas que cette rupture systémique aurait pu se faire.

Enfin je retiens un dernier élément plus factuel sur les enseignements du passé : la crise de 2014 avait été largement sous-estimé quant à sa durée et à ses effets et donc à sa gravité, comme je l’ai écrit en 2016. La dernière crise des prix pétroliers après la pandémie de la COVID-19, n’est que le pic de la crise à cycle long  de 2014. Pour faire court l’Algérie a épuisé le cycle historique de sa rente d’hydrocarbures sous le double effet de la baisse des prix et des quantités. D’où l’enjeu existentiel pour l’Algérie de la réussite de son nouveau paradigme économique. Cela nécessite non seulement la construction consensus social mais aussi la reconstruction d’un  consensus politique.

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