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Dr. Lachemi Siagh : «L’Algérie sera forcée tôt ou tard de recourir aux emprunts extérieurs»

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Dans cet entretien le professeur en stratégie et spécialiste en financements internationaux, M. Siagh donne son avis sur différentes questions d’actualité financière. La planche à billets, l’endettement extérieur, l’argent de l’informel mais aussi la situation des banques, sont autant de sujets développés par le professeur.

Algérie-Eco : La liquidité bancaire est passée à moins de 1.000 mds de dinars à fin mai 2020. Quel commentaire faites-vous à ce sujet?

M. Siagh : C’est un problème qui était prévisible depuis longtemps. Quand je dirigeais la « Revue Stratégica Business & Finance » j’avais tiré la sonnette d’alarme déjà en 2009 quandtaux risques de liquidité et de taux qu’encourait le système bancaire parce que les banques publiques qui ne disposaient pas de fonds prêtables longs, finançaient en dinars à très long terme jusqu’à quinze ou dix sept ans et à des taux d’intérêt bonifiés de gros projets mixtes pétrochimiques, de centrales électriques et de dessalement d’eau ou touristiques. Il faut ajouter à cela les prêts astronomiques accordés aux oligarques à l’image des 211 000 mille milliards de centimes accordés à Ali Haddad et qui n’ont pas été remboursés. Aujourd’hui avec la baisse drastique des prix du pétrole et la baisse constante de nos exportations en hydrocarbures les problèmes de liquidité se sont aggravés. Il faut savoir que quand la Sonatrach vend son pétrole et gaz elle dépose les dollars reçus à la banque centrale. Suite à quoi la banque centrale crée des liquidités en dinars pour la contre valeur des dollars de la Sonatrach. La Sonatrach dépose alors les dinars reçus dans son compte à la BEA. Avec la crise pétrolière et les quantités vendues par la Sonatrach qui sont en nette diminution (pétrole et gaz) il y a moins de liquidités que la banque centrale injecte dans l’économie. De plus quand la banque centrale paie les importations en devises, elle détruit l’équivalent en dinars de ces devises, d’où la crise de liquidités.

Certains experts estiment que le recours à la planche à billets s’imposera très rapidement. Qu’en pensez-vous?

L’Algérie avait déjà en 2017, utilisé la planche à billets en émettant 5192 milliards de dinars pour financer directement le Trésor. Au vu de l’affectation de ces montants, (déficit du Trésor, les subventions de l’énergie par Sonatrach et Sonelgaz, la dotation du FNI, la Caisse nationale des retraites, CNR, la première tranche de l’emprunt national de 2016), le financement monétaire entre 2018 et 2019 n’est pas venu pour soutenir la croissance économique et les projets productifs, justificatif avancé pour autoriser le recours à la planche à billets. Il est venu seulement en réponse à la dégradation des comptes publics. Ceci renseigne sur l’ampleur des dépenses non budgétisées et que le Trésor ne peut pas honorer. Vu l’ampleur des crises économique, pétrolière et sanitaire en Algérie en 2020 et aux besoins récurrents non budgétisés au cours des prochaines années, il n’y a pas d’autres solutions, que le recours, qu’on le veuille ou non, à la planche à billets. D’ailleurs le Trésor et la Banque d’Algérie envisagent une coopération en vue d’un rachat des dettes publiques. Il s’agit en fait d’une méthode indirecte de financement monétaire.

Il ne faut pas se leurrer, la planche à billets crée des dinars seulement pour les besoins internes, car avec les dinars de la planche on ne peut pas acquérir les biens et services de l’étranger payables en devises fortes en l’absence de réserves de changes suffisantes.

D’autres proposent de récupérer l’argent du marché noir pour éviter la crise financière. Êtes-vous de cet avis?

Il faut d’abord pouvoir récupérer cet argent. Ce n’est pas de l’argent qui dort. L’argent qui circule en dehors du circuit bancaire est le fait de trois facteurs. D’abord le rendement de l’argent. La rémunération des dépôts de la CNEP par exemple n’a pas bougé depuis de longues années. Aujourd’hui la rémunération des dépôts ne dépasse pas les 2,5% au moment où le taux d’inflation officiel est d’environ le double. Donc celui qui dépose de l’argent dans les banques verra son capital diminuer de valeur. De même cet argent qui est dans l’informel est mobilisé dans des opérations commerciales qui rapportent au bas mot 20% par an. Le deuxième facteur est que cet argent de l’informel n’est pas grevé d’impôt sur les bénéfices, de TVA, de TAP, de contributions patronales, etc, ce qui ne l’encourage pas a rejoindre le circuit formel. Enfin, certains épargnants maintiennent leur argent en dehors des circuits bancaires pour des raisons religieuses, à savoir l’intérêt, assimilé à l’usure. Le problème de cette clientèle pourra trouver sa solution dans la structuration de produits conformes à la Chari’a et très rémunérateurs comme les sukuk et non dans les dépôts à taux zéro qu’offrent les banques aujourd’hui. Beaucoup de cet argent s’est investi dans l’immobilier qui constitue des actifs oisifs en général. Au demeurant, tant qu’un marché financier, offrant plusieurs alternatives rémunératrices, n’a pas été mis en place, une bonne partie de cet argent ne pourra pas être mobilisée. Il faut bien comprendre que quand bien même on puisse mobiliser cet argent, avec la fonte des réserves de change, ces dinars de l’informel ne pourront être utilisés que pour financer des opérations locales. Ils ne pourront pas être convertis en devises dont a grandement besoin l’Algérie pour financer ses besoins vitaux venant de l’étranger.

Que pensez-vous aussi de la décision des pouvoirs publics de ne pas recourir à l’endettement extérieur?

Comme les réserves de change ont fondu comme neige au soleil et que les revenus pétroliers se sont effondrés, l’Algérie, malgré les dogmes qu’elle s’est imposés, sera forcée tôt ou tard de recourir aux emprunts extérieurs. L’Algérie craint que sa souveraineté soit affectée en recourant aux financements extérieurs. Toutes les nations ont recours à la dette et aux financements extérieurs. Le levier est un outil puissant pour financer le développement lorsqu’on l’utilise à bon escient. Il faut craindre pour sa souveraineté lorsqu’on applique une gestion opaque, une utilisation de l’argent des autres sans contrôles stricts et une affectation des emprunts pour financer l’épicerie. Cependant, lorsque les règles de bonne gouvernance sont mises en place, dont notamment, la transparence, la reddition de comptes et les règles de contre pouvoir, il n’y a rien à craindre.

Pour financer les déficits il y a seulement les financements extérieurs non liés à travers l’émission d’obligations souveraines (dollar bonds, euro bonds ou Samouraï bonds par exemple). Pour cela un rating ou notation du pays sera nécessaire. Il faut obtenir une note “investment grade”, minimum BBB, pour pouvoir emprunter sans garantie et sur simple signature des sommes conséquentes. L’Algérie a été absente depuis plus de 15 ans des marchés internationaux de la dette d’une part et le fait que les capacités de prêter des banques étrangères aient été sérieusement restreintes, Bâle 3 oblige, cela constitue un handicap. Le fait que l’Algérie n’ait pas de dettes externes est certes un avantage mais la détérioration de nos indicateurs macroéconomiques et la détérioration de nos capacités de remboursement tributaires des prix du baril et surtout des réformes économiques profondes rendues nécessaires pèseront lourdement. L’Algérie pourra malgré tout lancer un euro bond par exemple de quelques milliards d’euros, mais elle en paiera le prix.

La finance islamique dans sa composante sukuk peut permettre à l’Etat et ses entités d’émettre des titres libellés en devises. Ces financements doivent être adossés à des actifs appartenant à l’Etat : aéroports, ports, autoroutes, etc. Ces financements pourront aussi servir à financer les déficits sans exigence de garantie souveraine en dehors des actifs sous jacents. En dehors des mécanismes de financement du budget l’Etat peut financer ses projets vitaux en ayant recours à des financements ne nécessitant pas de garanties souveraines comme les financements structurés, tels les BOT, BOOT et Concessions, qui sont utilisés pour financer des projets bancables qui génèrent des devises pour rembourser le financement. Ces financements dits à recours limité font que ce n’est pas l’Etat qui supporte le risque du projet mais les bailleurs de fonds étrangers et les off takers.

Plusieurs experts plaident en ce moment pour le paiement électronique. Pensez-vous que l’Algérie a les moyens de passer à ce mode de paiement?

Il faut le vouloir pour le faire. Il n’y a pas de raison de ne pas pouvoir le faire lorsque l’on sait que plusieurs pays africains comme le Kenya, le Rwanda, le Ghana ou le Botswana l’ont fait. Ces pays sont déjà rentrés dans la 4ème révolution qui est la révolution digitale et du numérique alors que nous, nous sommes encore entrain de nous bagarrer avec la 2ème révolution industrielle. Il y’ a eu des progrès cependant. La compensation des chèques se fait maintenant en quelques jours au lieu d’un mois auparavant. Les virements de plus d’un million de dinars se font électroniquement depuis quelques années. Des pays africains ont fait l’impasse sur le chèque pour aller directement à la digitalisation érigée en stratégie de développement national. En Algérie pour aller à la digitalisation, à la signature électronique, au paiement par téléphone, etc, il faut créer l’environnement et l’infrastructure nécessaire à savoir, un très haut débit internet et surtout fiable. Nous sommes malheureusement classés dernier en la matière. Il faut une collaboration entre les sociétés de téléphonie mobile et les banques. Les commerces, restaurants et les administrations doivent s’équiper pour cela. Des gestionnaires de plateformes de paiement et une concurrence entre les sociétés de services de cartes de paiement pour diminuer les coûts doivent voir le jour. Il y a quelques jours la Société d’automatisation des transactions interbancaires et monétique (SATIM) a lancé un appel d’offres pour l’acquisition d’une solution de paiement mobile et ça c’est de bons augures.

Entretien réalisé par Imène A.

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