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Redouane Boudjema : « La presse en Algérie connait un retour vers l’avant 22 février 2019 »

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Le professeur en sciences de l’information et de la communication à l’université d’Alger, a considéré que la liberté de la presse en Algérie dépend essentiellement de la liberté de la société, tout en regrettant la situation actuelle caractérisée par l’emprisonnement  des journalistes et le blocage de plusieurs sites.

Algérie-Eco : On célèbre aujourd’hui la journée internationale de la liberté de la presse. Quel constat pouvez-vous faire de  la situation en Algérie, notamment durant le premier temps du nouveau quinquennat présidentiel ?

Redouane Boudjema :  Il serait important d’abord de souligner le fait que cette journée est transformée ces dernières années en véritable rituel folklorique, une mise en scène ou les journalistes avaient même accepté de jouer le rôle de figurants et de supports de communication au service de bureaucrates de la communication institutionnelle. A tous les niveaux, les appareils exécutifs et sécuritaires et oligarques chefs d’entreprises organisent des réceptions, distribuent des cadeaux à des journalistes, tout ce petit monde s’adonnant à la joie des selfies ! Une manifestation vidée de son sens qui résume bien le statut d’agent de communication du journaliste qui fait tout sauf son métier.

S’agissant de ce que vous appelez nouveau quinquennat présidentiel, je pense qu’il est encore trop tôt pour se prononcer valablement. Il faut souligner cependant que cette phase a commencé avec l’emprisonnement de trois journalistes et le blocage de plusieurs journaux en ligne. Dans le même temps, l’on observe un unanimisme renouvelé : les médias publics et privés reproduisent le même discours et font tous l’éloge de l’exécutif… Pour résumer sur le plan médiatique c’est un retour vers l’avant 22 février 2019 et même pire en référence de l’emprisonnement des journalistes.

Beaucoup d’encre a coulé et des promesses ont été émises pour réformer le secteur des médias et de la presse, mais jusqu’à présent rien n’a été fait, est ce que cela démontre un manque de volonté politique ?

Le discours du ministre et du directeur de l’Anep parle plutôt d’assainissement du secteur médiatique et une rupture avec les forces extra professionnelles. Évoquer l’assainissement et l’existence de forces extra professionnelles constitue une reconnaissance officielle :  le champ médiatique fonctionne en dehors des lois et il est l’objet de graves accusations de corruption et toutes malversations.

Je pense que le système médiatique a besoin d’une rupture urgente avec ce système construit sur la propagande et la rente. Un système où les patrons de presse s’enrichissent sans cesse et dans lequel les journalistes s’appauvrissent, un système ou le journaliste assume divers rôles sauf celui de journaliste. On a vu ainsi des journalistes jouer au procureur, à l’avocat, au policier à l’Imam, à l’agent publicitaire, à l’agent de communication, à l’attaché de presse…etc. Nous subissons un journalisme déprofessionnalisé qui confond information et commentaire, information et publicité, information et communication. Le chemin est certes long, mais ce qui est sûr est qu’on ne peut faire évoluer le système médiatique sans mutation du système politique. Tous doivent l’admettre : la liberté de la presse est indissociable des autres libertés, la liberté du journaliste est inséparable de celle de la société.

Qu’elles sont selon vous, les réformes à introduire afin de permettre d’éviter la grande anarchie que subit actuellement le secteur en Algérie ?

Je pense que le métier de journaliste est en crise et que cette crise, loin d’être sectorielle, et systémique. Les journalistes doivent comprendre que leurs libertés sont liées à la liberté de la société. Pour exercer leur métier il est nécessaire que ce système construit sur la rente et la propagande doit évoluer, pour que cette transformation soit possible le système politique doit changer.

Le système médiatique reflète la nature du système politique. Le système médiatique Algérien a été construit depuis 1962 sur la propagande. L’ouverture médiatique de 1990 permise par l’ouverture politique de 1989 n’a été en fait qu’une parenthèse vite refermée par les décideurs qui après le coup d’Etat de janvier 1992, ont organisé, dans un contexte d’hyper-violence, le transfert du monopole économique du public vers le privé. Pour empêcher les réformes économiques et la transition économique, le système politique avait interdit à la nation Algérienne son droit à une transition politique réfléchie et en douceur. Le système médiatique après ce coup de force a été instrumentalisé comme vecteur de haine, de propagande et de désinformation dans la gestion d’une guerre contre les civils des années 1990; une guerre éminemment traumatique qui a provoqué l’éradication de la politique.

Le système médiatique sous Bouteflika a été noyé sous une profusion de titres de presse qui n’étaient même pas lu par leurs propres rédacteurs en chefs. Il ne s’agissait que de canaux de captation et de détournement de milliards de dinars de la publicité étatique. Les chaines de télévision offshores ont été utilisées comme supports de propagande qui versent jusqu’à aujourd’hui dans la diversion, la haine, les discriminations et l’abrutissement des masses. Ces médias apparaissent comme un véritable danger pour la cohésion nationale, menaçant le tissu social.

La question centrale c’est que les oligarques des années Bouteflika et ceux des années 1990 possèdent l’essentiel des médias. Une bonne partie de ces oligarques est en prison mais aucune enquête sérieuse ne semble en cours pour résoudre le problème de l’argent sale dans le secteur de l’information. Chaque chaîne de télévision privée par exemple paye au moins 35 mille dollars en droit de diffusion, comment font ces chaines pour leurs transferts vu qu’elles n’ont aucune existence juridique ? Ne sont-elles pas en infraction au moins vis à vis de la réglementation des changes ? Ces chaines seraient elles au-dessus de la loi ? Par qui sont-elles protégées ? Dans quel but et pour quelles missions ?

Êtes-vous inquiet pour l’avenir de la liberté de la presse en Algérie ?

On ne peut en aucun cas parler de l’avenir de la liberté de la presse en ignorant ce système médiatique imposé par un régime politique construit sur l’exclusion, la répression et la corruption.  C’est la raison pour laquelle je suis plutôt inquiet pour l’avenir de l’Algérie ; nous sommes en face d’une situation très grave, l’impasse politique et socio-économique est plus que préoccupante. Il s’agit d’un échec monumental aux implications massives que doit assumer le régime dans toutes ses expressions.

Nous nous trouvons face à une grave crise générale et irrémédiable d’un système en fin de vie. Mais le pessimisme ne doit pas obscurcir la raison car les perspectives ne sont pas fermées. La violence systémique en tant que mode de gouvernement a échoué, le régime a épuisé tous ses leurres et fausses pistes. La société est prête pour un compromis historique, mais elle refusera toute compromission sur la question du droit et des libertés. Les journalistes doivent comprendre que sans changement de système médiatique et sans respect des libertés fondamentales il ne peut exister de journalisme ni de dignité professionnelle ni de liberté de la presse.

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