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El Besseghi (expert financier) : «L’investisseur étranger n’est pas intéressé à venir dans cette phase d’instabilité»

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Dans cet entretien, l’expert financier, Mourad El Besseghi réagit sur différents sujets d’actualité qui marquent le secteur financier ces derniers jours, à commencer par la chute des prix du pétrole et ses conséquences sur les finances du pays. Il donne également son avis sur l’idée de la création d’une banque de l’habitat et du fonds des start-up, et enfin sur le rôle du commissariat aux comptes.

Algérie-Eco : La chute des prix du pétrole suscite des inquiétudes pour les finances du pays. Qu’en pensez-vous ?

El Besseghi : La baisse drastique des prix du pétrole d’un tiers de sa valeur depuis le début de l’année, dévissant à 35 dollars le baril, son plus bas niveau depuis trois ans, met l’Algérie dans une position particulièrement inconfortable. L’épidémie du «Coronavirus» et son impact sur le ralentissement des déplacements et des échanges, augure une récession en 2020 de l’économie mondiale et en particulier celle de la Chine. Selon l’OCDE et les deux institutions de Brettonwoods, les perspectives 2020 sont moroses et chacune d’elles revoit à la baisse les prévisions de la croissance mondiale. Ceci étant basé sur un scénario ou la pandémie serait circonscrite, mais dans l’hypothèse où elle devenait plus sérieuse, la récession serait encore plus forte.

Cette morosité est aggravée par l’absence d’accord entre la Russie et les membres de l’OPEP pour réduire les quotas de production du pétrole. Selon les analystes il n’y aura pas d’accord de sitôt et ceci va certainement concourir à tirer les prix vers le bas.

Des signes avant-coureurs prévoient que le prix de 60 dollars qui a servi à caler le budget 2020 retenu dans la loi de finances, sera loin d’être atteint. D’autant que les analystes les plus optimistes ne se hasardent pas mais insistent plutôt sur la forte volatilité des prix de l’or noir pour l’année prochaine.

Or, la problématique majeure évoquée lors de l’adoption du programme du gouvernement par les représentants des deux chambres est celle relative au financement de ce programme. Autrement dit, comment se procurer les moyens de sa politique et quelles ressources mobiliser pour réaliser le programme ambitieux de l‘actuel exécutif qui découle des engagements pris par le président de la république, annoncés lors de sa campagne électorale et réaffirmés dans son discours d’investiture.

Le FRR est quasiment épuisé, le financement non conventionnel définitivement abandonné, l’endettement externe est autorisé mais demeure limité en raison des risques de dérapages et de dépendance qu’il engendre, les recettes issues de la fiscalité pétrolières ne sont plus une ressource stable, la fiscalité ordinaire est encore loin de palier à cet écart, l’épargne à collecter sur le marché obligataire par le biais des «soukouks» obligations islamiques comme cela a été préconisé pour favoriser l’inclusion financière et assécher l’argent circulant sur le marché informel ne donnerait pas de résultat comme ce fut le cas des précédentes opérations du genre, l’investissement étranger n’est pas intéressé à venir dans cette phase d’instabilité, y compris dans le domaine des hydrocarbures malgré les récentes ouvertures, etc…

Dans ces conditions comment peut-on parier sur une croissance et une mise en mouvement de la machine économique ? Équation difficile à résoudre.

Le premier ministre propose une loi de finances complémentaire. Selon-vous est-ce une bonne décision ?

La loi de finances 2020 a été élaborée, débattue et adoptée dans un contexte particulier tant sur le plan économique que sur le plan politique. Force est de reconnaître qu’elle manque de profondeur et surtout de visibilité. Fortement controversée, compte tenu de l’instabilité qui a prévalue au cours de sa maturation, son contenu répondait plutôt à un souci d’apaisement du climat social qu’à la mise en place d’un véritable programme devant s’inscrire nécessairement dans la durée.

Après les élections présidentielles, l’installation d’un gouvernement, l’élaboration d’un programme d’action et son adoption par les deux chambres, il était quasi-inéluctable qu’on s’achemine vers une loi de finances complémentaire afin d’ajuster le budget prévisionnel de l’Etat et prendre en charge les nouveaux engagements économiques et sociaux.

Beaucoup de points ont été déjà annoncés, donnant les contours de cette LFC 2020. Mais en premier lieu, l’augmentation du pouvoir d’achat des citoyens est vivement attendue, en particulier par la classe moyenne et vulnérable, suite aux glissades qu’a connues le cours de change du dinar par rapport aux principales devises et son impact sur les produits finis importés ainsi que les matières.

Le chef de l’État sera, surtout, attendu sur sa promesse d’exonérer de l’Impôt sur le revenu global (IRG), les salaires inférieurs ou égaux à 30 000 DA.  Autrement dit, l’absence de retenue de l’impôt sur les salaires de cette frange d’employés et pensionnaires, qui se traduira par un versement en net aux bénéficiaires d’un montant plus élevé équivalent à l’impôt qui aurait dû être versé à l’administration fiscale. En quelque sorte une augmentation accordée sur les fonds du trésor public sans aucun impact sur les charges de l’employeur.

Il convient de rappeler que le SNMG n’a pas été revue depuis une dizaine d’année alors que le dinar a connu des dévaluations successives par glissade progressive. Le FMI n’a pas cessé de préconiser une dévaluation conséquente pour aligner le change officiel à celui du marché noir en supprimant de facto le change parallèle et toutes les pratiques mafieuses qui découlent de cette ambivalence dans la gestion financière du pays. Il est évident que la mise en œuvre de telles mesures aura à court terme un coût social exorbitant et insoutenable avec un impact négatif certain et direct sur le pouvoir d’achat du citoyen.

On notera encore, à travers le programme et les différentes déclarations, une exonération de l’impôt au profit des femmes au foyer contribuant à l’économie, à la valorisation de la bourse octroyée aux étudiants notamment pour ceux des filières des sciences exactes. Il a été annoncé également la promotion de la profession d’enseignant et de chercheur sur les plans matériel et social et l’octroi d’avantages importants aux médecins et aux paramédicaux dans les régions des Hauts-Plateaux et du Sud. Toutes ces mesures ont un coût que la loi de finances 2020 n’a pas prévu.

En dehors de cela, il a été affirmé que des adaptations sont à faire au niveau du budget en vue de la révision de certains chapitres du budget d’équipement qui est le moteur de la croissance. Ayant connu une contraction significative de 20% par rapport à celui de 2019, le budget d’équipement 2020 s’est traduit par le gel de certains investissements alors que c’est généralement le budget d’équipement qui tire le taux de croissance du PIB vers le haut. Ce taux de croissance qui a été de 2,3% en 2019 devrait dévisser à 1,9% en 2020 si des ajustements ne sont pas introduits dans la LFC 2020. La marge de manœuvre du gouvernement est faible, d’autant que les coupes budgétaires dans le fonctionnement ne sont pas aisées à arbitrer et peuvent entraîner un embrasement du front social.

Les entreprises publiques dont le volume d’activités dépend en grande partie des commandes publiques ont des plans de charge assez chétifs pour l’année en cours. Les entreprises privées ont déjà passé une très mauvaise année 2019 et les perspectives 2020 sont moroses, selon les annonces faites par les représentants des corporations patronales du secteur privé.

Au niveau des dispositions fiscales, la révision des impositions retenues pour les professions libérales considérées comme excessives, est en somme une réparation d’une injustice fiscale qui bat le principe de l’équité et remet en cause le fondement de «tous égaux devant l’impôt.»

En effet, les professions libérales (Avocats, médecins, comptables, notaires etc…) ont été très lourdement fiscalisés, et arbitrairement imposés dans le cadre de la loi de finances 2020. Ceci a fait réagir tous les professionnels qui exercent les métiers du savoir pour demander leur réintroduction dans le régime du forfait qui convient mieux à la nature de leur activité qui est à prépondérance intellectuelle.

D’autres mesures sont également annoncées, telles que la mise en place d’avantages fiscaux en direction des start-up et des entreprises créatrices d’emploi, de même que le rétablissement de l’abattement de 50% au titre de l’IRG ou de l’IBS accordé aux entreprises physiques et morales exerçant dans les régions sud du pays qui existait jusqu’à fin 2019 et dont le renouvellement a été omis dans la LF 2020.

Que pensez-vous aussi de l’idée de la création d’une banque de l’habitat et du fonds des start-up ?

En effet, le plan d’action du gouvernement prévoit la création durant l’année en cours d’une banque spécialisée dédiée au financement de l’Habitat et d’un fonds d’investissement des PME et des startups.

Le financement de l’habitat était principalement assuré par deux banques publiques. Des problèmes de gouvernance de ces banques, n’ont pas permis de suivre la cadence de construction des logements, ce qui à engendré des retards avec les conséquences sur les coûts de revient. La création d’une autre banque à priori publique ne semble pas opportun, ni apte à résoudre les problèmes.

Les différentes actions menées jusque-là en direction des jeunes investisseurs n’ont pas donné les résultats escomptés. Des moyens financiers colossaux ont été injectés pour favoriser la création de jeunes entreprises, sans pour autant créer les conditions d’un climat des affaires encourageant et approprié. Très souvent des jeunes détenteurs de décisions ANSEJ butaient sur l’obtention des crédits bancaires et abandonner en cours de route leurs projets. Il était temps de créer une banque transparente dédié pour prendre en charge spécifiquement les problèmes particuliers des jeunes promoteurs.

Le Commissariat aux comptes est un instrument essentiel pour la sauvegarde de l’intérêt général, ne faudrait-il pas élargir les prérogatives du commissaire aux comptes ? 

Absolument. Le commissariat aux comptes est un instrument de contrôle privilégié des entreprises publiques et privés, des associations, des banques, assurances etc… et d’une façon générale de toutes les entités économiques en assurant un contrôle particulier sur les comptes financiers qui sont publiés. En veillant à la sincérité des états financiers et à la qualité de l’information financière, il assure une mission de sauvegarde de l’intérêt général. Il sauvegarde ainsi les intérêts des parties prenantes, autrement dit les détenteurs des capitaux, les bailleurs de fonds, le trésor public, les salariés mais également les clients, les fournisseurs, etc… Il est le garant de l’application de la réglementation.

Son contrôle ne se superpose pas aux autres contrôles institutionnels existant (cour des comptes, Inspection Générale des Finances…) et ne fait nullement double emploi, mais se distingue par son indépendance et son détachement de toute influence qui biaiserait l’information ou qui en altérerait la qualité.

Il peut jouer un rôle essentiel dans la moralisation des comptes et la rationalisation des dépenses.

A l’instar de nombreux pays, le commissariat aux comptes peut être étendu à d’autres institutions publiques tels que les collectivités locales, les universités, les hôpitaux, etc….Il apportera certainement une valeur ajoutée dans la gouvernance des entités concernées, et contribuera indéniablement à la transparence des comptes financiers de l’Etat.

Entretien réalisé par Imène A.

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