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Le futur gouvernement doit se mettre immédiatement à l’œuvre (expert)

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Dans cet entretien, l’expert financier Mourad El Besseghi donne son avis sur ce qui attend le nouveau gouvernement comme défi à relever pour redresser l’économie nationale. Selon lui toute amorce d’une sérieuse relance économique passe par la mise en place de canaux de communication avec toutes les parties et le rétablissement de la confiance largement altérée par un système mafieux.

Algérie-Eco : Le nouveau gouvernement sera installé prochainement, quelles sont les questions économiques et financières prioritaires à votre avis ?

El Besseghi : La prestation de serment terminée, l’Algérie a un président de la république en la personne d’Abdelmadjid Tebboune, qui entre de plain-pied dans un programme déjà annoncé dans le cadre de sa campagne électorale. Il s’agit d’introduire des réformes appropriées à l’économie, en administrant une thérapeutique à hauteur du mal qui ronge le pays.

Le préalable de toute amorce d’une sérieuse relance économique passe par la mise en place de canaux de communication avec toutes les parties et le rétablissement de la confiance largement altérée par un système mafieux.

Si l’intention d’un véritable dialogue, serein et sincère, pour aboutir à un résultat concret et agir pour le mieux, est instaurée, il y a toutes les chances de faire adhérer le peuple pour l’essor économique du pays.

Plusieurs sujets d’ordre politique déjà classés comme prioritaires par le président de la République, nécessiteront des délais incompressibles pour leur traitement, mais il peut déjà y avoir des signaux forts à émettre pour donner de la crédibilité à la démarche et entraîner l’ensemble des acteurs dans la conduite du changement et des réformes nécessaires au décollage de l’économie avec toutes les retombées positives que cela peut avoir sur la société dans son ensemble.

Le « hirak » (ou les « hiraks » selon l’angle de vue), véritable contre-pouvoir composite, s’est longuement exprimé, sur divers points de façon précise : l’indépendance de la justice, l’alternance du pouvoir, la liberté de la presse, etc. Il doit trouver des réponses concrètes qui ne sont pas exclusivement d’ordre socio-économique, mais plutôt multidimensionnelles. Le fait d’être écouté, le ressenti que l’on éprouve lorsqu’on est sincèrement convaincu de l’attention portée aux difficultés de l’autre, la bonne intention partagée, visant la recherche effrénée de solutions aux problèmes posés, sont en à eux seuls une excellente amorce.

Ceci étant dit, le premier gouvernement de cette seconde république doit se mettre immédiatement à l’œuvre, dégripper la machine économique et la relancer sur de bonnes bases. Au passage, il faut dire nécessairement que la mission du gouvernement doit être consolidé afin de gommer l’attitude d’un exécutif réduit à constater, rendre compte et répercuter des ordres. La dimension émancipatrice de l’action gouvernementale doit se mesurer à la valeur ajoutée qu’il peut apporter.

Plus d’onze mois de ralenti ou plutôt de léthargie ont certainement coûté une fortune au trésor public. La croissance économique est en berne, plusieurs dossiers sont en attente faute de décision et de stabilité qui ne pouvaient se concevoir que dans une légitimité institutionnelle. On ne peut s’accommoder d’une autre phase d’attente, le futur exécutif doit s’investir totalement, prendre résolument les dossiers brûlants à bras-le-corps en les traitants au fil de l’eau. Il doit gérer le présent tout en envisageant l’avenir pour la concrétisation des 54 engagements du président de la République fraîchement installé.

Tout d’abord, il y a une évaluation précise à établir dans tous les secteurs économiques, un audit d’ensemble pour dresser un diagnostic rigoureux, branche par branche, secteur par secteur, tout en situant les dégâts causés et les points sombres en vue de les traiter mais aussi en identifiant les points positifs pour les conforter. En effet, il serait subjectif de rejeter d’un revers de main, dans une évaluation désintéressée, certaines avancées même si elles ne sont pas légion.

Par exemple, dans le secteur de l’industrie, la fameuse diversification tant attendue, fixée comme objectif stratégique, a souvent ouvert la voie royale à des managers toxiques et prédateurs, au lieu de véritables capitaines d’industries. La problématique du CKD/SKD qui ne concerne pas uniquement le secteur de l’automobile, mais aussi les produits « blancs », les produits électroniques et toutes les activités de production à partir des collections destinées aux industries de montage, qui sont à revoir en profondeur. Outre la révision totale des cahiers des charges, qui ont été conçus dans la combine et orientés au profit de rapaces, un suivi technique est à mettre en place pour écarter définitivement les dérives connues jusque-là et en particulier la surfacturation dans les importations qui a été érigée en sport national, une pratique « normale ».

Dans la filière agro-alimentaire, malgré quelques bons résultats enregistrés au cours des dernières années, le retour sur investissement reste très faible. Les filières de transformation des céréales sur la base des importations des blés réalisés par l’OAIC, ont mis à nu de graves dérives sur les quotas alloués aux minotiers. Un assainissement de la filière est incontournable, d’autant que l’Algérie dispose de capacités de trituration excédentaires. Toute la filière agro-alimentaire est à reconsidérer y compris la conservation de fruits et légumes, la production des jus et boissons gazeuses, l’abattage et découpage industriel de viandes, huileries et raffinage d’huile d’origine végétale, etc. Celle de la production du lait, qui connait une relative croissance ces dernières années, est à consolider.

La production des industries manufacturières n’a pas enregistré de progression notable durant plusieurs années, malgré les sommes faramineuses qui y ont été injectées. Si le secteur privé arrive plus ou moins à se frayer un petit chemin dans une croissance timide, le secteur public est toujours plombé par des pesanteurs qui empêchent tout décollage. Malgré les mesures d’assainissement qui ont été accordées à ces entreprises sur le plan financier, les déficits accumulés ont reproduit la même situation. Les mêmes causes engendrant les mêmes effets, on se retrouve à nouveau dans une situation précaire.

Compte tenu de leur importance stratégique, les secteurs de l’énergie et des hydrocarbures sont tout aussi à revoir en commençant par le dossier relatif à l’exercice du droit de préemption sur les intérêts détenus par Anadarko dans le contrat d’association sur le périmètre de Berkine, mais aussi à faire une relecture technique de la Loi sur les hydrocarbures adoptée récemment, en particulier dans son volet fiscal. La production des énergies renouvelables, et notamment dans le solaire, doit être une priorité en encourageant des accords avec des partenaires locaux et étrangers.

Dans le domaine des mines, la priorité devra être donnée aux extractions des matières minérales qui battent de l’aile, contrairement à l’extraction du minerai de fer.

Les résultats enregistrés dans le secteur de l’agriculture sont encourageants et nécessitent une consolidation pour accroître la production en vue de dégager des excédents exportables et en parallèle réduire les importations des intrants tels que les semences. La mise en valeur des terres est à encourager pour accroître les surfaces agricoles utiles avec l’introduction de nouvelles techniques d’irrigation.

Le bâtiment, les travaux publics et l’hydraulique sont un secteur bien connu du président de la République. Il y a beaucoup de désordre, en particulier dans les entreprises économiques et les groupes qui relèvent de ce secteur. Une moralisation des pratiques est incontournable, notamment dans l’octroi des marchés publics. Le code des marchés est aisément contourné pour orienter la commande publique en faveur de relations intéressées. La moralisation du management du secteur public est tout aussi prioritaire si on veut réellement disposer d’un outil de réalisation fiable et performant.

Ceci n’étant que quelques chantiers à ouvrir dans le domaine économique, avec également les secteurs du tourisme et des transports, mais aussi d’autres aspects qui gravitent autour et en particulier la révision et la simplification de la législation fiscale.

AE : Faut-il à votre avis continuer la réforme financière ?

El Besseghi : Le développement et la modernisation du secteur bancaire algérien passent par la redéfinition préalable du rôle de la Banque d’Algérie. Ce bastion destiné à protéger le système financier en Algérie a encore une fois montré ses limites. Plusieurs affaires en commençant par l’affaire « Khalifa Bank » jusqu’à la planche à billet et le financement non -conventionnel, ont mis en relief de graves failles ayant engendré de dramatiques préjudices à l’économie. Sa mise sous tutelle du gouvernement a vidé de sa substance son pouvoir et toutes les prérogatives définies dans la loi sur la monnaie et le crédit. Aucune réforme sérieuse ne peut se concrétiser dans le secteur sans une remise en cause profonde de cette institution. Son autonomie, son mode d’organisation, et son pouvoir sur le secteur financier sont à revoir de fond en comble.

La chute des prix du brut à partir de 2014 a asséché le matelas financier confortable et l’excédent de liquidité dont disposait le secteur bancaire. Les opulentes recettes pétrolières avaient caché les difformités et les tares du fonctionnement des banques. Avec le tarissement de la manne pétrolière et la mise à nu des faiblesses, le rôle et la fonction des banques ont été complètement dégradés. Pour se maintenir, les managers se sont rendus totalement disponibles aux personnes qui se sont emparées du pouvoir économique et aux oligarques véreux. Les banques se sont enlisées dans une gestion occulte et dans une incapacité à fonctionner selon les normes généralement admises.

Pour le secteur public qui est hégémonique dans le secteur financier, une réhabilitation est nécessaire. Elle est une priorité absolue, la Banque d’Algérie doit être autonome et les banques publiques doivent jouer leur rôle, à l’abri des injonctions externes.

AE : Le dinar est en baisse constante par rapport aux autres monnaies. Pourquoi ?

El Besseghi : Il y a des raisons qui sont liées à l’actualité immédiates, les signaux qui nous viennent du véritable marché de la devise, qui est celui du marché noir, indique une nouvelle baisse du dinar face à l’euro, en raison de la conjoncture politique et économique actuelle et les fêtes de fin d’année.

Pour certains, au-delà des spéculations, la coexistence d’un marché noir et d’un marché officiel est à l’origine de cette baisse structurelle du dinar par rapport aux autres monnaies étrangères. Selon eux, l’alignement de l’un sur l’autre participera à une plus grande stabilisation de la monnaie nationale. Or cette dualité est une conséquence de l’état de l’économie et la stabilité de la monnaie locale ne peut se concevoir sans le développement d’un soubassement productif.

Par ailleurs, un dinar surévalué ne pourra contenir les importations dans des limites raisonnables, mais lui faire subir une baisse par rapport aux autres monnaies supposerait une dégradation du pouvoir d’achat, ce qui est sur le plan social insupportable.

AE : Les choses restent encore floues pour ce qui est de la planche à billet. Quel commentaire faites-vous à ce sujet ?

El Besseghi : Dans une de ses notes, la Banque d’Algérie avait elle- même qualifié le recours au financement non conventionnel comme une dérive financière puisque les instruments de financement conventionnels tels que le financement alternatif (réescompte et les opérations d’« open-market ») n’avaient pas atteint les seuils critiques. Rappelons qu’en vertu de l’article 45 bis de l’ordonnance modifiée et complétée relative à la monnaie et au crédit, qu’un suivi devait être opéré régulièrement pour mesurer l’impact de ce financement par rapport aux réformes structurelles économiques, financières et budgétaires, pour rétablir, au plus tard, dans un délai de cinq (5) ans, à compter du 1er janvier 2018, les équilibres de la trésorerie de l’État et de la balance des paiements.

En termes de chiffres, il y a eu globalement 6.556,2 milliards de dinars mobilisés par le Trésor auprès de la Banque d’Algérie, dont plus de la moitié a été injectée dans l’économie. Lorsqu’on examine de près les utilisations qui en ont été faites, on s’aperçoit, que les fonds injectés ne pouvaient conduire aux équilibres budgétaires (Retraites, FNI, remboursement de l’emprunt pour la croissance, etc.)

Il convient de signaler que le précédent gouvernement de transition avait déjà annoncé l’abandon du financement non conventionnel à compter de 2020, alors que les textes en vigueur prévoient cette autorisation pendant cinq ans.

Tant que l’on n’a pas réglé le problème des moyens de l’équilibre budgétaire, que la fiscalité ne recouvre pas suffisamment de ressources, que les aides et subventions sociales ne sont pas réformées, que l’économie ne génèrent pas suffisamment de valeur ajoutée, que les exportations hors hydrocarbures sont faibles, le risque de revenir à ce financement n’est pas à écarter. À moins d’avoir recours de manière sélective au financement externe comme le prévoit la loi de finances pour 2020.

Entretien réalisé par Imène A.

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