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Dans l’ouest birman, des musulmans Kaman laissés à l’abandon

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Menacés par des hordes venues piller leurs maisons, des musulmans de Kyaukphyu, dans l’ouest de la Birmanie, ont été regroupés par la police et transférés dans un camp « pour leur propre sécurité ». On leur a dit que ce serait juste pour quelques jours.

Sept ans après, plus d’un millier de ces musulmans appartenant à l’ethnie Kaman survivent encore dans ce camp boueux à l’orée de leur ville, sans perspective d’avenir, et sous très bonne garde policière. « C’est vraiment comme une prison », soupire l’un d’eux, Phyu Chay, évoquant les conditions de vie déplorables dans ce camp situé dans le centre de l’Etat Rakhine, dans l’ouest de la Birmanie.

Le quotidien de ces musulmans Kaman : des cabanes en tôle ondulée pour toute demeure, une surveillance policière permanente, des sorties autorisées pour deux heures uniquement sous le contrôle étroit de policiers armés.

Phyu Chay regrette aussi l’absence de toute perspective pour trouver « un travail » et les grandes difficultés pour se procurer des médicaments.

La communauté des musulmans Kaman n’a pas toujours vécue dans ces conditions difficiles. Contrairement aux musulmans Rohingya, les Kamans sont une minorité officiellement reconnue en Birmanie, majoritairement bouddiste. Ils ont longtemps coexisté en paix à Kyaukphyu avec les autres groupes ethniques. Mais en 2012 des violences inter-communautaires ont éclaté à Kyaukphyu et dans le reste de la Birmanie à la suite de rumeurs faisant état du viol d’une moniale bouddhiste par des musulmans.

Plus de deux cents personnes avaient été tuées et des dizaines de milliers déplacées lors de ces violences qui allaient préfigurer l’épuration à venir des musulmans Rohingyas dans l’Etat de Rakhine cinq ans après. Et en quelques jours, la vie des musulmans de Kyaukphyu a basculé.

Avant les attaques, beaucoup de Kamans étaient enseignants, avocats et juges. Tous les emplois sont désormais exclusivement réservés aux bouddistes de l’Etat de Rakhine qui se sont également emparés des maisons vides.

Htoo Maung, un musulman Kaman dont le nom a été modifié pour des raisons de sécurité, a expliqué que beaucoup de nouvelles personnes « venues d’ailleurs » étaient arrivées à Kyaukphyu. « Les habitants de la ville, dit-il, ne nous ont pas attaqués ».

Malgré les divisions religieuses et une certaine méfiance, Htoo Maung et d’autres comme lui ont maintenu des contacts avec d’anciens amis bouddistes. Il leur rend parfois visite pour un bol de soupe de riz traditionnel avant de retourner au camp.  Mais il n’oublie pas que ses mouvements sont surveillés. Comme les autres habitants du camp, Htoo Maung n’a ni l’argent ni les contacts pour quitter l’endroit, et même s’il pouvait partir, sa maison est à moitié détruite et envahie par des herbes folles. « Je me sens si triste. Je n’aurais jamais imaginé que cela puisse arriver », dit-il à l’AFP dans la rue où il habitait avant, au cours d’une de ses rares excursions en ville. « Nous ne sommes pas des hors-la-loi ».

Environ 130.000 musulmans, dont une grande majorité des Rohingyas, vivent dans des camps du centre de l’Etat de Rakhine. Des centaines de milliers d’autres sont coincés dans des villages sans véritable liberté de mouvement.

Amnesty International a dénoncé ce système de « ségrégation et de discrimination », le qualifiant d' »apartheid ». Même la centaine de musulmans Kaman qui peuvent se targuer d’avoir la citoyenneté birmane ne peuvent travailler, ne survivant que grâce à l’argent envoyé par des proches qui ont réussi à s’échapper.

De nombreux autres Kamans ont été contraints d’accepter une carte d’identité controversée, dite de vérification, qui leur octroie un statut aux contours flous avec quelques droits jusqu’à ce qu’ils puissent « prouver » leur pleine citoyenneté birmane.

Pour des groupes de défense des droits de l’Homme, cette carte n’est rien d’autre qu’un document discriminatoire à l’encontre des musulmans, et particulièrement des Rohingyas.

Sous la pression internationale, les autorités birmanes ont affirmé qu’elles allaient fermer tous les camps dans le pays.  Mais les Nations unies, les ONG et les associations redoutent que le projet gouvernemental ne contribue qu’à approfondir la ségrégation et les discriminations.       Les personnes qui seraient libérées des camps ne seront pas autorisées à regagner leurs anciennes demeures mais simplement de nouveaux logements près des camps.

Les autorités ont indiqué que toute tentative de réintégration de ces communautés pourrait provoquer de nouveaux troubles.

Pour le député de Kyaukphyu, originaire de l’Etat Rakhine, Kyaw Than, la ville est disposée à accueillir les musulmans mais elle ne pourra le faire qu’avec le feu vert du gouvernement birman. « Tout le monde dans le camp est un citoyen », dit-il, déplorant le « manque d’humanité » envers la communauté musulmane.

Afp

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