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Ressources humaines : Ce qui ne change pas avec le digital

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Cet article est repris d’une contribution publiée sur le site The Conversation par deux enseignants – chercheurs à l’IAE de Paris – Sorbonne Business School : Clotilde Coron et Florent Noël

Concept-valise par excellence, le digital est le catalyseur d’un ensemble de tendances sociétales de long terme. La digitalisation constitue le point de rencontre entre un potentiel technologique et d’autres phénomènes : diffusion de l’information, globalisation et libéralisation des échanges, élévation du niveau général d’éducation, aspiration à la réalisation de soi dans un contexte d’affirmation de l’individualisme, éradication progressive de la pauvreté absolue, dénonciation des autoritarismes, etc.

Tout cela se retrouve dans les rapports sociaux, la façon d’organiser les marchés, de produire, de vendre, de penser les modes de coordination et d’imaginer un rapport au travail moins marqué par la pénibilité.

La fonction RH au cœur des bouleversements : Quatre préoccupations managériales majeures semblent émerger de ce faisceau de mutations imbriquées. À chaque fois, la fonction RH est concernée.

  • Il y a d’abord la question de la disruption. La concurrence accrue et les évolutions technologiques rapides déstabilisent les positions concurrentielles. Il faut apprendre à innover et à adapter les effectifs et les compétences en permanence pour rester dans une course qui s’accélère.
  • La marchandisation de la relation salariale est un autre phénomène : la transparence et la rapidité des appariements sur le marché du travail relativisent la préférence pour les relations d’emploi longues fondées sur le contrat à durée indéterminée. Il faut alors apprendre à gérer des populations aux statuts divers.
  • La collaboration est la troisième tendance : le digital remet en cause les chaînes de commandement structurées et les schémas d’organisation issus du taylorisme. Les organisations doivent imaginer de nouvelles formes de contrôle et de gestion de l’engagement pour viser l’agilité nécessaire à la survie, mais aussi pour répondre aux aspirations des talents dont elles ont besoin.
  • La robotisation, enfin, constitue un champ immense de préoccupations sur lequel se croisent les potentialités de l’« humanité augmentée » et les angoisses d’un asservissement de l’homme à la machine. Un modus vivendi entre les humains et les non-humains doit être trouvé, si possible au bénéfice des premiers.

Une image pas toujours positive : Face à ces enjeux, les Cassandres prédisent parfois le pire pour la fonction ressources humaines (RH). Les équipes RH sont en effet menacées à plus d’un titre. Un grand nombre d’activités RH consistent à collecter, organiser et synthétiser des informations en vue de prendre des décisions aussi équitables que possible. C’est la base de la gestion administrative des contrats de travail, mais aussi du recrutement, de la gestion des carrières ou encore de la rémunération.

Or, ces activités sont hautement soumises à l’automatisation. La gestion des ressources humaines (GRH) est en outre souvent pensée en référence à des schémas d’organisation stables et pérennes, à partir desquels on peut fonder des prévisions nécessaires à la planification de mouvements de main-d’œuvre et de développement de compétences et penser des organigrammes structurés autour de définitions de fonctions précises et reflétant des hiérarchies sociales importées dans l’entreprise. On peut ainsi reprocher à la GRH de proposer des carcans là où les équipes ont besoin de souplesse.

« Oui, on peut se passer des DRH ! » interview de Michel Mondet, président d’Akeance Consulting (Xerfi canal, 2016).

Enfin, en faisant du manager de proximité le « RH de premier niveau », la fonction RH s’est peut-être progressivement éloignée du terrain, ce qui nourrit des soupçons sur sa capacité à comprendre les enjeux du travail tel qu’il est et tel qu’il évolue.

La fonction RH ne bénéficie pas toujours d’une image positive, mais la transformation digitale est l’occasion pour elle de peser dans la stratégie des organisations. En effet, les quatre enjeux liés au digital remettent la question du travail, de l’emploi, de l’organisation et de l’éthique au cœur des problématiques contemporaines. Bien plus, les grilles d’analyse et les démarches de GRH sont certes mises à l’épreuve, mais ne sont pas obsolètes pour autant. Il semble ainsi que la transformation digitale ne doit pas conduire à mettre à l’écart la fonction RH, mais au contraire à la remettre au centre des stratégies. Nous en donnons ici 4 exemples.

Des emplois menacés : Le digital et les progrès réalisés dans le domaine de l’intelligence artificielle engendrent de fortes menaces d’automatisation et finalement de suppression de certains emplois ou certaines tâches : tâches liées au traitement de l’information notamment, et comportant peu de relationnel. Cela crée donc pour la fonction RH des enjeux importants de gestion responsable des suppressions d’emplois. Or, ces enjeux ne sont pas nouveaux. La substitution du capital au travail avait déjà été analysée par les économistes au XXe siècle. Finalement, le rôle de la fonction RH reste bien de développer l’employabilité des salariés de manière à favoriser leur intégration et leur éventuel reclassement.

Une marchandisation du travail : Les plates-formes de mise en relation d’une offre et d’une demande de travail (type Uber, Frizbiz, Amazon Mechanical Turk, etc.) connaissent une croissance très rapide. Ces plates-formes conduisent à une précarisation de certains travailleurs, qui ne disposent pas de contrats de travail à proprement parler par exemple, et qui enchaînent des microtâches faiblement rémunérées, avec un risque de polarisation du marché du travail, entre des salariés en CDI disposant d’un fort capital humain, et des travailleurs précaires cantonnés à des tâches faiblement qualifiées.

Mais à l’inverse, ces plates-formes permettent de réinsérer dans le marché du travail des exclus. Ce phénomène de plate-forme réduit l’intérêt de l’existence des formes standards d’organisation et de contrat souligné par exemple par les économistes Ronald Coase et Oliver Williamson, en diminuant les asymétries d’informations entre les personnes qui offrent leur force de travail et les personnes qui vont rémunérer cette force de travail (phénomène que George Akerlof a souligné pour d’autres types de marché).

Les dispositifs de notations par les clients, les données disponibles sur chaque personne offrant sa force de travail, constituent autant de facteurs réduisant cette asymétrie. L’enjeu pour la fonction RH consiste alors à jongler avec les différents statuts, mais aussi de réduire les risques de polarisation du marché du travail en assurant et maintenant l’employabilité et la cohésion des salariés.

L’entreprise libérée : La digitalisation conduit à repenser la coopération et le travail collectif. Elle valorise des modes de management plus horizontaux et coopératifs. Certaines entreprises vont jusqu’à adopter un mode appelé « entreprise libérée » : structure aplatie, responsabilisation et autonomisation des salariés, réduction de la technostructure. Ce basculement n’est pas nouveau. Depuis le XXe siècle, deux visions s’opposent sur la meilleure manière d’organiser le travail : une vision, dite mécaniste, issue des travaux de Frederick Taylor, visant à réduire autant que possible les marges de manœuvre des travailleurs. La deuxième vision, dite organique, issue de l’école des relations humaines, lancée dans les années 1930 et incarnée notamment par le psychologue et sociologue australien Elton Mayo, soulignant que l’autonomie des salariés est importante car ce sont eux qui maîtrisent le mieux les savoir-faire et compétences nécessaires au bon accomplissement du travail.

Des tâches prescrites par les machines : Enfin, le digital peut dans certains cas aller de pair avec une soumission de l’humain à la machine : formulaires informatiques, outils digitaux planifiant fortement le travail, management par les algorithmes comme chez Uber, Amazon Mechanical Turk ou Deliveroo… Or, la question de l’autonomie des êtres humains avait déjà été posée par l’école des relations humaines déjà mentionnée, et cette dualité de la technique qui aide mais peut aussi prescrire avait aussi été étudiée dès la fin du XXe siècle par la théoricienne de l’organisation Wanda Orlikowski.

Finalement, loin de nous l’idée de sous-estimer les changements induits par la digitalisation dans les organisations de travail, ni ses effets sur la fonction RH. En revanche, appeler à un renouvellement conceptuel nous semble inutile, sinon dangereux : de nombreuses théories et grilles d’analyse restent tout à fait pertinentes, ce qui indique que, contrairement à ce que d’aucuns voudraient faire croire, le digital ne bouleverse pas l’ensemble de nos repères, intellectuels notamment.

Source : The Conversation

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