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Le potentiel sous-exploité de la diaspora africaine

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En 2017, les Africains de la diaspora ont transféré plus de 65 milliards $ de fonds vers leurs pays d’origine, d’après des chiffres de l’African Institute for Remittances (AIR). Ce montant représente plus du double de l’aide publique au développement reçue par le continent au cours de la même année et qui se chiffrait à 29 milliards $. Pourtant peu de pays africains développent une vraie politique de mobilisation des moyens financiers de la diaspora. Tour d’horizon.

La plupart des analyses réalisées par la Banque mondiale et d’autres institutions indiquent que c’est l’Afrique subsaharienne qui enregistre le plus de transfert de fonds de la part de sa diaspora. D’après l’institution de Bretton Woods, la région a capté en 2017 plus de 42 milliards $ d’envois de fonds, soit près de 65% des transferts de fonds enregistrés par l’AIR pour le continent au cours de la même année. Ce montant a même augmenté pour atteindre 46 milliards $ l’année dernière. Avec près de 24,3 milliards $ reçus en 2018, c’est le Nigeria qui occupe la première place des pays africains captant le plus de financement de leurs diasporas. Il devance le Ghana (3,8 milliards $), le Kenya (2,7 milliards $), le Sénégal (2,2 milliards $) et le Zimbabwe qui complète ce top cinq avec 1,9 milliard $. Malgré les crises et tensions économiques mondiales, ces transferts de fonds se sont inscrits sur une courbe ascendante. D’après le Fonds international pour le développement agricole (FIDA), les fonds rapatriés par les travailleurs migrants vers les pays en développement ont crû de 51% entre 2007 et 2016. En Afrique subsaharienne, les analystes ont observé une hausse de 36% des envois de fonds sur la même période.                                                                                                                             D’après la Banque mondiale, la hausse constante des transferts de fonds captés par l’Afrique subsaharienne depuis 2016, « s’explique par la solidité des conditions économiques dans les pays à revenus élevés où travaillent de nombreux migrants issus de la région ». Ces transferts de fonds occupent d’ailleurs une part substantielle du produit intérieur brut (PIB) des pays africains. Aux Comores, par exemple, les envois de fonds de la diaspora, comptent pour 19,1% du PIB du pays. En Gambie, au Lesotho, au Cap-Vert et au Libéria, cette part se chiffre respectivement à 15,3%, 14,7%, 12,3% et 12%.

Un potentiel sous-évalué et sous-exploité : D’après l’AIR, l’estimation actuelle des envois de fonds de la diaspora africaine, est largement en dessous de la réalité des faits. « Les données sur les flux de transferts de fonds sont largement sous-estimées en raison, entre autres, de l’utilisation générale des canaux de transferts de fonds informels ou non réglementés et de la capacité de collecte de données relativement faible de nombreux pays d’Afrique » indique l’institution dans un rapport publié en 2018. Cette situation est principalement due aux commissions imposées sur les transferts de fonds à destination du continent. D’après les statistiques, les coûts de transfert de fonds à destination de l’Afrique sont les plus élevés au monde : à peu près 10% des montants transférés, contre une moyenne mondiale de 7,8%. Ces tarifs appliqués par les deux poids lourds du transfert d’argent en Afrique, à savoir les américains Western Union et Moneygram, sont à l’origine des importants transferts de fonds qui transitent par le circuit informel. D’après l’ONG Overseas Development Institute (ODI), ces taux de commission élevés font perdre chaque année au continent près de 1,6 milliard d’euros, soit de quoi financer l’éducation dans 14 millions d’écoles primaires. En 2010, la Banque mondiale estimait à plus 20 milliards $ le montant des envois de fonds à destination de l’Afrique, transitant par des canaux informels. Pour éviter de payer ces lourdes taxes, les membres de la diaspora africaine préfèrent s’appuyer sur des convoyeurs privés ou des proches voyageant au pays.

Une source de financement peu orientée vers l’investissement : Malgré l’énorme potentiel que représentent les envois de fonds de la diaspora, les pays africains peinent à en faire une véritable source de financement pour leurs projets de développement. Hormis le fait qu’une bonne partie de ces envois de fonds transite par le circuit informel, cette situation est due à la finalité des envois de fonds effectués par les migrants africains. En effet, de nombreuses études indiquent que les transferts d’argent réalisés par la diaspora africaine vers le continent, sont principalement orientés vers les dépenses de consommation. D’après la Banque mondiale, les deux tiers des fonds transférés servent à répondre aux besoins de la vie courante, à savoir acheter des biens de consommation et payer des frais de santé ou de scolarité. Ils ne viennent donc pas vraiment alimenter les circuits formels de production et de création de richesse, ni financer des projets d’investissement.

D’après un rapport de la CNUCED, d’ici 2030, les objectifs de développement durable nécessiteront des investissements à hauteur de 40,9 milliards $ par an. A titre comparatif, la Banque mondiale estime qu’en 2019, 48 milliards $ de transferts de fonds devraient être effectuées par la diaspora africaine, rien qu’à destination de l’Afrique subsaharienne. Un chiffre prévu pour monter à 51 milliards $ en 2020 mais qui reste largement sous-évalué en raison des flux financiers informels.

Profiter de la nouvelle manne financière : D’après Dilip Ratha, économiste à la Banque mondiale, « si l’on pouvait convaincre un membre de la diaspora sur dix d’investir 1000 dollars dans son pays d’origine, l’Afrique collecterait ainsi 3 milliards de dollars par an pour financer le développement ». Malheureusement, la plupart des pays africains ne parviennent pas encore à mettre en place une véritable stratégie pour associer leur diaspora au développement économique de leurs pays d’origine.  Les « politiques d’accueil » mises en place par les pays africains sont encore trop peu ambitieuses. D’après Kathleen Newland, spécialiste des migrations et du développement de la Migration Policy Insitute (MPI), « peu de pays ont su faire du marketing social et peu savent communiquer avec [leur] diaspora de manière adéquate et régulière », à l’image des modèles israéliens ou indiens qui s’appuient fortement sur leurs diasporas. Plus d’une trentaine de pays africains ont mis en place des services ou des ministères chargés de susciter l’intérêt de la diaspora, mais ceux-ci manquent souvent de moyens.

Cependant certains pays sortent du lot en adoptant de véritables politiques de mobilisation de financement ciblant leurs diasporas. Les « diasporas bonds », ces emprunts obligataires ciblant les membres de la diaspora, font lentement leur chemin comme méthode de financement de certains gouvernements africains. Depuis les années 2000, des pays comme l’Ethiopie, le Ghana, le Kenya, le Rwanda et le Nigeria font partie des pays ayant déjà réalisé une telle opération. En mai dernier, le Sénégal devenait le premier pays d’Afrique francophone à lancer ce type d’émission obligataire.

Le Nigeria est d’ailleurs l’un des exemples les plus frappants de la capacité des membres de la diaspora africaine à se mobiliser pour financer des projets de développement dans leurs pays. En 2017, le pays d’Afrique de l’ouest réussissait l’exploit de mobiliser en un seul jour, plus de 300 millions $, grâce à une émission de diaspora bonds, visant à réaliser des projets d’infrastructure.

En février, dernier, le gouvernement annonçait que la diaspora nigériane envisageait d’investir plus de 3 milliards $ dans l’économie nigériane pour financer des projets dans les secteurs de l’agriculture, de l’énergie, des mines et du transport. Malheureusement le pays le plus peuplé d’Afrique reste l’une des rares exceptions qu’enregistre le continent en la matière.

Développer de nouvelles politiques attractives : Au regard des possibilités nouvelles de financement qu’offre la diaspora africaine au continent, il devient de plus en plus important que les pays africains développent de nouvelles politiques attractives. Celles-ci doivent viser à augmenter les transferts de fonds de la diaspora afin de renforcer le « filet de sécurité » que représentent ces financements pour les familles africaines. Elles doivent également mieux orienter ces envois de fonds vers des investissements rentables et nécessaires pour accélérer le processus de développement de l’Afrique. Ceci passera, entre autres, par la baisse des coûts des transferts de fonds à 3% du montant, objectif fixé par l’Union africaine. Pour l’économiste Dilip Ratha, « renégocier des partenariats exclusifs, par exemple entre les services postaux et un prestataire de services de transfert, et laisser de nouveaux concurrents entrer en lice à travers les bureaux de poste, les banques et les compagnies de télécommunications va accroître la concurrence et diminuer le prix des transferts. ». Il s’agira également de renforcer la confiance des membres de la diaspora africaine dans les économies de leurs pays d’origine à travers la lutte contre la corruption, des mesures incitatives pour l’investissement et la création d’entreprise.

Ecofin

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