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Mourad El Besseghi, expert financier : « La fouille doit continuer pour faire la chasse aux surcouts »

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Dans cet entretien, l’expert financier, M El Besseghi réagit aux dernières informations concernant la baisse inquiétante des réserves de change. Selon lui, la raison principale de cette baisse des réserves de change est certainement le résultat du décalage entre les recettes en devises qui enregistrent une baisse tendancielle et le niveau de dépenses incompressibles. Comme solution il propose la rationalisation des dépenses alimentaires et autres, ainsi que celles relatives à l’acquisition d’équipements agricoles et industriels est une exigence.

 Algérie-Eco : Les réserves de changes enregistrent une nouvelle baisse en quatre mois et se situent à 72,6 milliards de dollars fin avril 2019. Quel commentaire faites-vous dans ce sens ?

M.El Besseghi : Après avoir culminées, à 194 milliards de dollars en 2013, les réserves de change de l’Algérie n’ont cessé de reculer sous le double effet : Primo le recul des exportations des hydrocarbures en quantité et en prix, secundo l’incapacité à diversifier l’économie et à générer des ressources nouvelles capables de palier à cette dérive et à amortir cette baisse tendancielle, des dépenses qui augmentent en dépit de toutes les mesurettes inefficaces prises.

En une année, soit de mars 2018 à fin avril 2019, ces réserves se sont contractées de22milliards de dollars à ce rythme, et dans l’hypothèse ou il n’y a pas de remontée spectaculaire des cours du brut, ce qui est très peu probable selon les informations disponibles sur le marché du brut, ces réserves seraient totalement épuisées d’ici la fin 2022. Ceci est évidemment une échéance très courte pour envisager un quelconque redéploiement.

Quelles sont les raisons de cette baisse à votre avis ?

Selon la loi de finances 2019, il est prévu un niveau des réserves de change de 62 milliards de dollars à la clôture 2019, 48 milliards de dollars au terme de 2020 et enfin 39 milliards de dollars à fin 2021.

La raison principale de cette fonte comme neige au soleil, des réserves de change est certainement le résultat du décalage entre les recettes en devises qui enregistrent une baisse tendancielle et le niveau de dépenses incompressibles malgré les quelques demi-mesures engagées jusque-là, pour juguler ce phénomène.

Au niveau des recettes, les irrésistibles déterminants du marché du brut sont subis par le pays, plombant les prix, le tout baignant dans une conjoncture peu favorable à leur remontée. Les exportations hors hydrocarbures qui, bon an mal an, avoisinent les 2% sont très loin de compenser l’écart. Malgré les efforts déployés et les investissements consenties pour booster ce créneau, les résultats sont loin des attendus et de toutes les façons, ils ne seront perceptibles à l’œil nu que dans une perspective plus longue.

Par contre, les dépenses se sont accrues par des raisons diverses.

Il y a tout d’abord, l’accroissement de la population qui annuellement augmente environ de un million de personnes, ce qui est considérable, au regard des moyens et des ressources limitées dont dispose le pays. Les besoins induits en soins, alimentation, etc…souvent indirectement importés et entrant dans un processus, ont quasiment réduit toute manœuvre allant dans le sens de la rationalisation des dépenses.

L’important programme sectoriel de logements et d’infrastructures publiques grâce à l’embellie financière qu’a connu par notre pays pendant une dizaine d’année, a excité les prédateurs. Une bonne partie de ces programmes est réalisée avec des entreprises étrangères ce qui a conduit littéralement à une explosion de la balance des services, comprenant notamment les transferts pour le paiement des dividendes et les services réalisés par les entreprises étrangères en Algérie.

Enfin, il y a l’ampleur des détournements, des surfacturations de tous types d’importation, des transferts illicites, etc…, que l’on découvre au grand jour actuellement qui sont très loin que ce que l’on pouvait imaginer, même pour les plus avertis.

Le gouvernement s’est récemment engagé dans une démarche basée sur la rationalisation des importations des biens, à travers leur limitation aux besoins réels du marché national, en attendant la généralisation de cette approche aux services. Est-ce une bonne solution ?

Je pense qu’elle est incontournable.

Si pour les recettes, il est difficile d‘agir, compte tenu des données exogènes qui pèsent et qui influent, par contre, certaines rubriques de dépenses de la balance commerciale peuvent être ciblées et constituées une source d’économie significative.

Mais avant cela, il y a lieu tout d’abord de rétablir impérativement la confiance perdue entre gouvernés-gouvernants. L’actualité brulante que vivent les Algériens sur les détournements, les transferts illicites, les pratiques mafieuses dans l’économie et la finance, la corruption, le pillage organisé… etc….est d’une telle ampleur qu’il faut du temps pour guérir le mal qui a rongé le pays. La thérapeutique de choc à administrer ne devra pas seulement être réduite à une élection présidentielle propre et crédible, qui, au demeurant, est un passage obligé, mais à un long processus de rétablissement durable de la confiance perdue, afin de faire adhérer la population, même quand il s’agira de prendre ultérieurement des mesures qui socialement sont insupportables.

Il faut aller puiser également les ressources de la relance économique dans les subventions accordées et les gros produits de consommation importés à l’exemple des céréales, du lait, des médicaments qui sont particulièrement budgétivores et généreusement soutenus par le trésor public.

Le blé tendre, le lait et les médicaments connaissent sur le marché international une tendance haussière et l’écart qui se creuse davantage, au fur et à mesure de cette hausse des prix, aggrave le déficit de la balance commerciale.

La fermeture de 45 minoteries décidée récemment et la suspension de l’octroi de nouvelles licences ou d’autorisation d’extension de celles existantes, entrent dans ce cadre.

La réduction de la facture annuelle d’importation des kits CKD/SKD destinés au montage des voitures touristiques et des kits destinés à la fabrication des produits électroménagers, électroniques et téléphones mobiles est venue à point nommé pour endiguer la saignée à blanc que subissent les réserves de change. Sous couvert de la diversification de l’économie et de l’industrie des « monteurs de voiture » ont été souvent à l’origine de pratiques peu orthodoxes dans les importations de ces kits, sous couvert de la diversification de la production nationale.

Le travail de recherche doit continuer, car il est presque certain que ce phénomène touche tous les secteurs et toutes les branches. La rationalisation des dépenses alimentaires (8,57 milliards de dollars en 2018) et autres, ainsi que celles relatives à l’acquisition d’équipements agricoles et industriels est une exigence.

C’est dans ce sens que la fouille doit continuer pour faire la chasse aux surcouts, rechercher les pistes et identifier les moyens qui pourraient conduire à une réduction des dépenses en devises. Il est quasi certain que les autres rubriques des biens de consommation non alimentaires, les produits bruts (bois, minerais de fer, huile de soja et ses fractions, ….) sont également concernées et des économies substantielle peuvent être réalisées.

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