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Quand les énergies renouvelables rebattent les cartes de la géopolitique mondiale

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L’accélération du développement des énergies renouvelables entraîne une transformation du secteur énergétique mondial qui aura de profondes conséquences géopolitiques. C’est ce que démontre le rapport « A New World The Geopolitics of the Energy Transformation» publié par l’Agence international de l’énergie renouvelable (IRENA). Tout comme les énergies fossiles ont façonné la carte géopolitique au cours des deux derniers siècles, la transformation énergétique actuellement en cours altérera la distribution des cartes du pouvoir, des relations entre les Etats, des risques de conflits ainsi que les éléments sociaux économiques et environnement concourant à l’instabilité géopolitique.

Une croissance exponentielle et continue : Les sources d’énergie renouvelable, particulièrement l’éolien et le solaire, ont crû d’une manière sans précédent, dépassant même les prévisions les plus optimistes. La croissance de leur déploiement culmine des niveaux jamais atteints par aucune source d’énergie sur une même période de temps. Elle est la preuve que nous vivons dans un âge de changement et de changement de paradigme exponentiels.  L’impact extraordinaire de cette croissance a surtout été senti dans le secteur électrique. Depuis 2012, le renouvelable a ajouté plus de nouvelles centrales que toutes les autres sources conventionnelles d’énergie. Plus de nouvelles centrales ont été construites dans le solaire que dans le charbon, le gaz et le nucléaire combinés.

Le renouvelable fournit désormais, le tiers de l’électricité consommée dans le monde selon le rapport Renewable Capacity Statistics 2019 de l’IRENA, avec 2351 GW de capacité mondiale installée en 2018. Un pays comme le Danemark génère plus de la moitié de son électricité grâce au solaire. En 2017, le Costa Rica a tiré la totalité de son électricité du renouvelable pendant 300 jours. Fournir 100% de son électricité grâce au renouvelable est techniquement possible si l’on met en place une politique de diversification des sources. Certains pays comme l’Ethiopie, le Lesotho, le Kenya, le Paraguay, le Tajikistan ou l’Albanie y sont déjà parvenus.

Les facteurs et les dynamiques de la croissance des énergies vertes : La chute du coût des technologies est l’un des principaux facteurs ayant accéléré le développement des énergies renouvelables. Autrefois critiqué pour être trop cher et ne pouvoir se développer que sur des marchés de niche, ce type d’énergie est désormais plus compétitif que les sources conventionnelles. Depuis 2010, le cout du photovoltaïque a diminué de 73%, celui de l’éolien de 22%. Une tendance à la baisse qui se poursuivra selon les experts.

En outre, ce nouveau type d’énergie est l’un des meilleurs moyens de lutte contre le réchauffement climatique. Selon les analyses de l’IRENA, le déploiement des énergies renouvelables, combiné à l’amélioration de l’efficacité énergétique permettra d’atteindre 90% des objectifs mondiaux en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Une option à prendre très au sérieux d’autant plus que les efforts actuels conduisent plutôt à une limitation à 3°C du réchauffement par rapport à l’ère pré-industrielle, alors que les objectifs climatiques mondiaux exigent moins de 2°C. Un degré de plus qui pourrait avoir des répercussions catastrophiques sur notre mode de vie actuel.

Les choix politiques participent également à la croissance des énergies renouvelables. 57 pays ont déjà élaboré des plans de décarbonisation complète de leurs secteurs électriques et 179 pays se sont fixé des objectifs nationaux d’intégration des énergies renouvelables dans leurs mix nationaux. 

Plusieurs Etats effectuent également cette migration vers les énergies renouvelables à cause de l’épuisement de leurs réserves en hydrocarbures ou en gaz, ou de leur désir de réduire leur dépendance aux importations d’énergie. Même certains producteurs de pétrole ont défini des objectifs d’augmentation de la part du renouvelable dans leur mix énergétique. Les Emirats Arabes Unis ambitionnent par exemple de produire 44% de leur énergies grâce au renouvelable et de réduire leurs émissions de 70% d’ici à 2050. La Russie a, quant à elle, engagé la mise en place de 2 GW d’énergies renouvelables en 2017 et 1 GW en 2018.

Les institutions de financement militent également en faveur de ce changement. Des groupes d’investisseurs mettent en outre la pression sur les entreprises afin qu’elles allègent leurs empreintes carbone. Le fonds souverain norvégien, le plus important du monde, sort progressivement des investissements dans le charbon à l’image de plusieurs banques commerciales. La finance climatique se développe de plus en plus, portée par des instruments tels que les greens bonds.  Plusieurs des plus grandes entreprises au monde s’alimentent grâce au renouvelable et de plus en plus de compagnies intègrent le risque carbone dans leurs opérations.

Un changement certain des paradigmes de la géopolitique : La nouvelle réalité géopolitique actuellement en formation sera fondamentalement différente de la carte conventionnelle qui a prédominé au cours des dernières décennies. Avoir le contrôle et l’accès à une source ou à un marché énergétique important est un atout significatif pour les Etats qui peuvent s’en servir pour protéger leurs intérêts internes et avoir une influence économique et politique plus étendue. En terme stratégie, les importateurs d’hydrocarbures sont vulnérables aux risques d’interruption de la fourniture et à la volatilité des prix qui peuvent être provoqués par l’instabilité politique, les attaques terroristes ou les conflits armés dans les pays exportateurs.

80% de la population mondiale vit dans un pays qui importe ses hydrocarbures. Les inquiétudes relatives à la sécurité énergétique ont sous-tendu les relations internationales, dictant la formation des alliances, la protection des intérêts nationaux et les planifications des défenses.

La croissance rapide des énergies renouvelables modifiera cet état de choses. La majorité des pays peuvent espérer accroître significativement leur indépendance énergétique grâce à leurs sources renouvelables d’énergie. Elles sont, en effet, présentes sous une forme ou une autre dans la majorité des pays, réduisant ainsi l’importance des points stratégiques de réserves d’hydrocarbures. En outre, elles sont disponibles sous forme de flux et non de stock, ce qui élimine leur risque d’épuisement. S’ils saisissent l’opportunité d’indépendance et de sécurité énergétique qu’offre le renouvelable, la plupart des pays auront une plus grande liberté de décision dans le domaine énergétique, mais plus largement économique et politique. Les alliances nouées sur la base de la dépendance énergétique pourront être maintenues, mais pour d’autres raisons. Les énergies renouvelables sont également un puissant véhicule de démocratisation parce qu’elles permettent la décentralisation de la fourniture énergétique au niveau des communautés locales et des villes et même des individus. Elles permettent l’entrée dans le secteur énergétique et électrique plus particulièrement de nouveaux acteurs tels que les entreprises ou encore les ménages.

 Des répercussions profondes sur les économies nationales : Les effets du développement des énergies renouvelables dans les pays varieront d’un Etat à un autre. Les pays qui seront en mesure de les développer massivement verront leur influence globale s’accroître. En accélérant le développement des énergies renouvelables, la Chine a renforcé sa situation géostratégique à plusieurs égards. Elle a réduit sa dépendance à l’importation des hydrocarbures et aux risques qui y sont liés. En prenant de l’avance, elle s’est instituée en exportateur de technologies d’énergies renouvelables créant ainsi un avantage pour sa balance commerciale. L’expansion des énergies renouvelables et des technologies y relatives accroîtra la demande d’une certaine catégorie de minerais et métaux, nécessaires pour leur fabrication. Les régions qui possèdent des réserves de ces intrants pourraient tirer bénéfice de la transformation énergétique.

Beaucoup d’économies en voie de développement auront également la possibilité de développer plus rapidement leurs secteurs électriques en faisant un bond technologique qui leur évitera les contraintes liées aux combustibles fossiles et aux réseaux centralisés. Les énergies renouvelables peuvent être déployées à n’importe quelle échelle ce qui permet de décentraliser leur production et leur consommation et de mieux les contrôler. En outre, leur coût marginal est presque nul. Et pour certaines technologies telles que le solaire et l’éolien, ce coût est réduit d’environ 20% pour chaque doublement de la capacité. La réduction des importations d’hydrocarbures et de combustibles fossiles qui résultera du développement des énergies renouvelables permettra une amélioration significative des balances financières des pays. Le nombre d’Etats vulnérables aux chaines de distribution énergétique et à la volatilité des prix de l’énergie sera également réduit. Pour la majorité des pays de l’Afrique subsaharienne, il sera bénéfique de réduire des importations d’hydrocarbures et de produire localement des énergies renouvelables. Cela boostera la création d’emplois et la croissance économique.

Le Nigeria et l’Angola qui sont les principaux producteurs de pétrole de la région feront cependant exception, à moins qu’ils ne diversifient très rapidement leurs économies. Les pays grandement dépendants de leurs exportations de pétrole, de gaz ou de charbon devront, en effet, s’adapter afin d’éviter des conséquences économiques sérieuses. Les régions du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord, avec la Russie et certains pays du Commonwealth sont les plus exposés à la réduction des revenus provenant des combustibles fossiles. La moyenne d’entre eux tire plus du quart de leurs PIB de ces énergies. Le déclin des revenus du pétrole déstabilisera les pays producteurs qui ne se seront pas préparés. Cette vulnérabilité sera plus grande dans les pays où la dépendance aux revenus du pétrole est combine à grand niveau de chômage tels que le Nigeria.

Un défi sécuritaire à relever : Plusieurs obstacles devront cependant être franchis dans le processus de décarbonisation du secteur énergétique qui s’est enclenché. La transition énergétique induit une autre tendance révolutionnaire qui est la digitalisation. Les nouvelles technologies digitales transforment le secteur électrique en le rendant plus connecté, intelligent, efficient, durable mais aussi vulnérable. Certains groupes terroristes ou criminels pourraient hacker ces systèmes digitaux et prendre le contrôle de réseaux électriques à des fins criminels ou alors s’y infiltrer pour de l’espionnage industriel ou militaire. Mais même si la menace d’une attaque criminelle est réelle, elle devrait être mise en perspective. La cybercriminalité est un risque auquel est exposé l’ensemble du système électrique, y compris les réseaux traditionnels.

De lourdes adaptations socio-économiques : Même si la transition énergétique a le potentiel pour créer 11 millions d’emplois additionnels dans le secteur énergétique d’ici à 2050, elle pourrait en réduire dans certains secteurs spécifiques tels que l’industrie du charbon. La mise en place de politiques facilitant une juste transition pourraient aider à régler les difficultés socio-économiques rencontrées par les travailleurs de ces industries minières et accélérer ainsi l’intégration du renouvelable dans les mix énergétiques. Certains pays tels que l’Espagne mettent déjà des mesures en place afin de faciliter la transition pour ces catégories de personnes.

L’accélération du changement climatique exacerbera la compétition géopolitique pour l’accès à l’eau et aux aliments. La croissance démographique en cours a déjà augmenté la demande pour ces ressources, une demande devrait croître de plus de 50% d’ici à 2050 selon les estimations.

L’hydroélectricité qui est la forme d’énergie renouvelable la plus répandue au monde obéit à ses propres dynamiques géopolitiques surtout lorsqu’il s’agit de sources d’eau transfrontalières ou que des ressources hydriques sont en jeu. Des difficultés qui seront aggravées par le changement climatique.  Ainsi, alors que la construction de barrages sur les cours d’eau majeurs augmentera la sécurité énergétique des pays situés en amont des cours d’eau, elle pourrait nuire à la productivité agricole et aux réserves de poissons des pays en aval qui pourraient également expérimenter des stress hydriques. Autant de paramètres qui devront être pris en compte par les Etats afin d’exploiter le plein potentiel offert par les énergies renouvelables et bénéficier de la redistribution des cartes géopolitiques effectuée par cette transition énergétique inexorable.

Ecofin

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