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Mourad El Besseghi, expert financier : « Si le changement de politique est au centre des préoccupations de la population, la refondation économique est consubstantielle »

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Dans cet entretien, l’expert financier MEl Besseghi ne reste pas indifférent face au mouvement populaire et donne son avis sur les changements qui pourraient en découler, pas du côté politique mais du côté économique. Selon lui, nous sommes au début d’un nouveau cycle économique.

 

Algérie-Eco : Avec le mouvement populaire, l’Algérie s’oriente vers une nouvelle destination voulue par le peuple. Côté économique, que faut-il changer à votre avis ?

M.El Besseghi : Nous sommes sans contexte à l’orée d’une seconde république, quel que soit le chemin emprunté ou le plan de travail adopté pour y arriver. C’est une nouvelle page à écrire dans le cadre d’une évolution naturelle d’un peuple, qui a atteint un indéniable niveau de maturité rejetant en bloc les anciens paradigmes, et qui aspire au changement et au développement et à une plus grande justice sociale.

Une seconde république devra aboutir obligatoirement à l’adoption consensuelle d’une politique fondée sur des constantes, à la définition d’une constitution, à une configuration institutionnelle réformée pour prendre en charge les espoirs des larges franges de la population composées principalement par la jeunesse en leur permettant de se tourner résolument vers l’avenir.

Si le changement de politique est au centre des préoccupations légitimes de la population, la refondation économique est consubstantielle. Rien ne peut réussir sans que l’économique ne suive. Comme il ne peut y avoir de réussite dans ce que l’on peut entreprendre si l’adhésion de la population est absente et la confiance envers le pouvoir est inexistante.

Nous sommes au début d’un nouveau cycle économique, il serait prétentieux de vouloir lister toutes les mesures à retenir, mais il est possible de citer des exemples ou quelques pistes à explorer.

Avec l’embellie financière connue ces dix dernières années grâce à la rente pétrolière, l’économie du pays a été dopée avec les recettes de la fiscalité pétrolière, se permettant même de dégager un surplus qui a été logé dans le Fonds de Régulation des Recettes (FRR)pour faire face aux besoins futurs qui pourraient surgir dans les années de « vaches maigres ».

Pour contenir la contestation, notamment celle en rapport avec le « printemps arabe », la paix sociale a été achetée (augmentation de salaires, subventions, etc….). Ceci a duré après la chute drastique des prix du brut à compter de 2014, en siphonnant dans les fonds engrangés dans le FRR, qui s’est progressivement tari, puis en satisfaisant les revendications par les déficits budgétaires lesquels ont atteint annuellement 15% du PIB.

Or ces subventions n’ont servi qu’à dépenser sans pour autant atteindre leur finalité sociale. Toutes les réflexions menées sur la politique des subventions ont prouvé leur inefficacité et mis en avant leur détournement de leur vocation essentielle. Dans le cadre de la refondation économique en question, il s’agirait d’aller vers la suppression de façon progressive ces subventions en ciblant les populations fragilisées pour les accompagner et les aider à supporter la transition. Ceci toucherait également les subventions indirectes telles que les soutiens aux prix du carburant et de l’énergie qui sont souvent non budgétisés mais très lourds pour les comptes publics.

Les propositions retenues par le gouvernement en 2016 dans le nouveau modèle de croissance horizon 2030, tout au moins, sur la trajectoire 2016-2019 dite de décollage, n’ont pas été concrétisées.

Ce programme contenait aussi la mise en œuvre de mécanismes et la définition des voies et moyens pour promouvoir l’économie informelle et l’amener à rejoindre la sphère réelle. L’introduction de facilitations administratives, fiscales financières plus importantes devait encourager cette mutation graduelle.

Les banques devaient devenir un outil incontournable de ce développement, avec à leur tète une banque centrale qui est le noyau dur de tout le système financier algérien.Dans les faits, la Banque d’Algérie a été le nœud gordien de tout développement économique, car en l’absence d’une plus grande flexibilité des capitaux et une authentique libéralisation du marché des changes, rien ne pourra se faire. La crainte d’une saignée à blanc des devises est un prétexte qui a toujours servi d’argument fallacieux pour continuer à gérer de façon administrative le taux de change qui favorise l’existence d’un marché parallèle très important. La gestion administrative des banques publiques n’est pas le fruit d’un manque d’initiative mais d’incompétence avérée au niveau de la Banque d’Algérie qui impose des règles anesthésiant toutes les énergies se trouvant dans les banques.

L’essentiel des dépôts en banque transite par les banques publiques et l’écrasante majorité des crédits d’investissements est assurée par elles.

La question des privatisations du secteur bancaire public devrait être prise en charge avec beaucoup de courage et de volonté pour élever le taux de bancarisation de l’économie.

La privatisation du secteur public marchand devrait être également considérée comme prioritaire, en tenant compte des écueils et des échecs du passé. Dans le même ordre d’idée, la règle des 49 / 51 dans l’investissement industriel est à revoir, tout comme les prérogatives du Fonds National des Investissements, dont la mission est dévoyée (financement des retraites par exemple) et constitue plutôt une entrave qu’un moyen de promotion de l’investissement.

La croissance économique a été ainsi tirée vers le haut, quasi-exclusivement par la dépense publique.

Le financement non conventionnel et l’actionnement de la planche à billet à compter d’aout 2017, a réduit à néant toutes les perspectives définies dans le plan de développement économique suscité. Il a atteint à fin janvier 2019, 6556 milliards de dinars, soit un endettement du trésor public sur la Banque d’Algérie de 55 milliards de dollars. Cette masse d’argent, destinée à financer des projets structurants et productifs aurait plutôt servi dans des dépenses de fonctionnement. La mise en place d’un comité de suivi qui avait été promis lors de son démarrage n’a pas été enclenchée. La reprise en main est impérative et dans les meilleurs délais. Pourtant des voix se sont élevées à l’époque pour souligner le danger d’une dérive aux conséquences incalculables pour l’avenir du pays en versant allégrement dans la facilité à actionner la planche à billet sans contrepartie productive.Il s’agit de dire qu’il s’agit de la plus grande dérive dont on gérera les conséquences pendant très longtemps, d’où l’urgence d’une énergique intervention.

L’abandon de la formule « Partenariat Public-Privé » dite des 3 P, en raison de considérations sociales et répondant plus à une conjoncture politique qu’à des exigences économiques et financières, est à revisiter pour la figer dans le temps et ne plus la soumettre au gré des vents et de la politique.

Les dernières lois de finances et en particulier celle de 2019, se sont souvent écartées des objectifs retenus dans le cadre de la trajectoire 2016-2019. Une rupture avec la feuille de route retenue dans le modèle économique probablement en liaison avec les échéances électorales et certainementà des fins populistes. Des remises en cause qui dénotent de l’improvisation et de la vision à court terme qui ne s’accommodent pas avec la vision stratégique à long terme conditionnant tout développement harmonieux. La place de l’agriculture et son développement est fondamentale. Les avancées dans ce secteur sont indéniables, dans beaucoup de volets, mais il reste beaucoup à faire. L’organisation des exploitations, la mécanisation, la distribution, l’augmentation des surfaces irrigables, la qualification de la main d’œuvre, ….sont autant de domaines qu’il faut renforcer ou corriger. De manière certainement non exhaustive, ce sont là quelques pistes à explorer.

Peut-on croire au scénario d’une Algérie qui va demander l’aide du FMI?

L’Algérie a constitué des réserves de change au cours des dernières années atteignant un pic de 194 milliards de dollars en juin 2014 à moins de 80 milliards début janvier 2019, un niveau que l’Algérie avait connu la dernière fois en décembre 2006. Au rythme de cette dégringolade, nous devrions épuiser totalement ces réserves en trois années au plus tard soit en 2022, si les tendances ne changent pas fondamentalement.

En effet, en considérant que le rythme de nos importations en biens sera maintenu à 45 milliards de dollars/an sans tenir compte de la facture des services que l’on a tendance à oublier, qui avoisinent ces derniers temps les 10 milliards de dollars/an, nous irons encore puiser dans les « bas de laine » les moyens pour équilibrer la balance commerciale et partant la balance des paiements.

Les ressources du pays composées quasi exclusivement par les exportations hydrocarbures seraient de 35 milliards de dollars avec un prix moyen du baril du brut qui s’établira dans le meilleur des cas à 70 dollars le baril sur la période. Ceci est encore plus aléatoire lorsqu’on considère la perspective inquiétante de la consommation intérieure de l’énergie qui est en hausse et qui vient réduire les capacités de production exportables.

Avant d’envisager d’aller au FMI, l’Algérie dispose d’un avantage non négligeable qui est un niveau d’endettement externe faible, ce qui lui permet de lever aisément des fonds sur le marché international.

En 2022, à moins que le prix du Brent ne s’envole, ce qui est très peu probable, l’Algérie pourrait recourir aux services du FMI. Espérons qu’on n’en arrivera pas à cette situation.

Parmi les revendications populaires, sur le changement du système politique, il y a la chasse aux lobbys des importations surtout les grands hommes d’affaire considérés comme opportunistes. Qu’en pensez-vous ?

Avec la libéralisation de l’économie et la suppression du monopole de l’Etat sur le commerce extérieur en 2000, de véritables lobbys se sont constitués, une nouvelle race de rentiers est apparue au grand jour. Le monopole de l’Etat a été distribué à des privilégiés, lesquels agissait par personnes interposées. Des fortunes colossales ont été érigées par des personnes qui ont souvent été financés à 100% par des banques publiques, donc sans apport personnel.

C’est à l’ombre des canons que les plus grosses fortunes se sont constituées, au cours de la décennie noire. Profitant du cafouillage qui a caractérisé cette période, les lobbys se sont partagé le marché avec des produits protégés et des secteurs réservés. Il était extrêmement dangereux de s’aventurer à toucher aux espaces patronnés par de « gros bonnets », l’ordre était établi et les règles définies.

Avec l’embellie financière, les importateurs sont devenus encore plus puissants, en mesure d’influer sur la réglementation et capable de la faire détourner à leur profit.

75% des importations étaient réalisés par le secteur privé pour un montant global qui avoisinait 50 milliards de dollars selon les chiffres du ministère du commerce.

Cette embellie passée, des restrictions et des interdictions d’importation ont commencé à pleuvoir et se mettre en place. Les différents ministres du commerce qui se sont succédés ont eu du mal à mettre en place les listes des produits interdits à l’importation et ceux soumis à contingentement. Les pressions et les résistances étaient telles que les listes des produits interdits et le mécanisme de licence d’importations étaient farouchement critiqués et remis en cause quotidiennement.

Avec la mise en place depuis peu des Droits Additionnels Provisoire de Sauvegarde (DAPS), il semble que cela se passe plus sereinement, en attendant de voir les répercussions de ces DAPS sur le pouvoir d’achat du consommateur.

Il est une évidence que ce qui est visé, ce sont ces hommes d’affaires qui sont loin du commerce régulier et propre, mais ceux qui ont profité du « système », usant de leur connaissance ou monnayant des relations particulières avec les décideurs.

La lutte implacable contre ces lobbys et de leurs pratiques qui constituent le foyer par excellence de la corruption, du blanchiment et de la fraude fiscale, est à mener sans limite.

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