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Algérie, économie politique d’une rupture annoncée

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Nous reproduisons ici l’excellente analyse de Mouhoub El Mouhoud, publiée par le journal The Conversation : https://theconversation.com/algerie-economie-politique-dune-rupture-annoncee-112633. Notons que Mouhoub El Mouhoud est Professeur d’Économie et Vice-Président de l’Université Paris-Dauphine, PSL Research University.

La surprise semble avoir saisi le monde à la vue du soulèvement de la jeunesse algérienne, le 22 février 2019, contre un cinquième mandat du Président Bouteflika, rendu invisible depuis son AVC survenu en 2013.

Il est tout d’abord désolant de constater que la préoccupation essentielle de certains observateurs en France, relayant la crainte des autorités, réside dans la peur d’un afflux massif d’immigrés. La « stabilité » garantissant la mise à distance des candidats potentiels à l’émigration vaudrait elle mieux que les espoirs du changement auquel aspire une jeunesse nombreuse et délaissée ? Il est vrai que ce fut déjà la première réaction du pouvoir politique en France au moment du déclenchement de la révolution tunisienne en 2010. Il serait bien plus utile de chercher à mieux comprendre les bases profondes de ce nouveau soulèvement.

Ce mouvement est-il un épiphénomène lié à la colère contre l’arrogance d’un pouvoir qui impose à sa population une situation que les Algériens ne peuvent accepter ? Ou bien correspond-il à une réplique des mouvements précédents dans un contexte économique et social plus fragile qu’au moment du déclenchement des « printemps arabes » ?

Ce contexte est aussi très différent de celui des émeutes qu’avait connues l’Algérie en 1988 et qui avaient conduit d’abord à trois années d’effervescence démocratique, avant que la victoire du FIS au premier tour des élections de 1991 ne soit suivie d’un arrêt du processus électoral et d’une reprise en main par l’Armée algérienne.

Le déferlement d’une jeunesse pacifique et déterminée dans les rues d’Alger et d’autres villes n’est pourtant pas une surprise. Plusieurs chercheurs dans différentes disciplines avaient anticipé le risque d’une rupture. Dans un rapport sur l’économie algérienne (« Contribution à la vision Algérie 2035 », mars 2018, Banque mondiale et ministère des Finances) (resté non publié par les autorités), nous dessinions deux scénarii, dont celui de la rupture à laquelle nous assistons aujourd’hui. La chronique des événements qui explique l’aboutissement d’un scénario de rupture doit d’abord être rappelé. Quelle est la nature du régime de croissance algérien et quels sont les principaux symptômes qui rendent ce mouvement plus sérieux qu’il ne pourrait paraître ?

 Un régime de croissance polarisé, une économie désindustrialisée…

Le retournement du prix du pétrole dès 2013 à des niveaux bas n’a pas modifié les données du pays mais les a renforcées. L’économie algérienne peut être décrite comme une économie à trois secteurs d’importance inégale. Le secteur public mono-exportateur (hydrocarbures) est responsable de la quasi-totalité des recettes extérieures. Contribuant à plus d’un tiers du PIB (35 %), à l’origine de 75 % des recettes budgétaires et de 95 % des recettes d’exportations en 2018, ce secteur est pourvoyeur de liquidités, en particulier en période haussière des cours du pétrole. Il alimente, pour partie par le biais du système bancaire public, un secteur importateur hypertrophié de biens de consommation et de biens intermédiaires (30 % du PIB).

Ce secteur d’importation nourrit un secteur de négoce international avec une faible activité de transformation (dans l’agroalimentaire) et de montage (électrique, électronique, textile). Ce secteur intègre une large partie des activités informelles, et le financement des importations se fait pour partie au taux de change officieux et par le biais des réseaux nationaux dans les pays développés, principalement la France. Les prêts bancaires à court ou moyen terme servent d’appui à l’activité d’importation. L’activité formelle et le secteur informel sont étroitement imbriqués. Ce second secteur d’importation déverse sur un troisième secteur : les services, le petit commerce, la construction et les biens non échangeables en général.

La situation s’est aggravée par rapport au début des années 2000. La valeur ajoutée manufacturière par habitant est non seulement la plus faible de la région mais a même chuté depuis les années 1990. Le secteur industriel manufacturier est ainsi passé de 15 % du PIB dans les années 1980 à 10 % en 1996 pour chuter à 5 % en 2015. Ce recul de l’industrie manufacturière se fait au profit des secteurs des mines et carrières, des phosphates et fers, et du BTP et plus généralement des services. La production agricole reste marginale en dépit des subventions étatiques dont le secteur a largement bénéficié.

La dépendance de l’économie vis-à-vis des recettes des hydrocarbures, volatiles par nature, expose celle-ci à des périodes de surliquidité bancaire suivies de périodes de difficultés de trésorerie bancaire. Dans le même temps, l’économie est largement exposée aux chocs externes. Une baisse des prix du pétrole et de la demande mondiale en hydrocarbures affecte directement les revenus de l’État et l’économie réelle.

Des jeunes diplômés au chômage et des élites désespérées à la dérive

La nature du régime de croissance algérien favorise la hausse des prix des biens non échangeables (services construction), les mauvaises performances extérieures hors hydrocarbures et la dépendance des importations enfermant le pays dans une croissance concentrée sur peu de secteurs et d’acteurs. En conséquence, le taux de participation de la force de travail demeure structurellement faible (40 %), l’un des plus bas du monde, symptôme que l’Algérie partage avec les autres pays de la région Moyen-Orient et Afrique du Nord. L’économie rentière engendre une croissance qui réduit la pauvreté durant les périodes de boom pétrolier et l’augmente durant les périodes de chute des revenus des hydrocarbures, mais n’améliore pas le taux d’emploi.

Ce système économique favorise un chômage des jeunes diplômés et désespère des élites à la dérive acculées au déclassement interne dans les secteurs de biens non échangeables ou l’émigration « forcée ». Le taux d’expatriation des diplômés est anormalement élevé eu égard au revenu par tête de l’Algérie (pays à revenu intermédiaire) tout comme dans les autres pays de la région Moyen-Orient Afrique du Nord également.

Pourtant, des progrès importants dans le développement humain et l’éducation ont été réalisés puisque l’Algérie comme la plupart des pays de la région, avait été classée par l’ONU parmi les dix pays du monde ayant enregistré la plus forte augmentation de l’indice de développement humain entre 1970 et 2010. Les dépenses totales de santé en pourcentage du PIB ont réellement explosé dans les années 2000 : elles sont passées de 3 % en 1995 à 7,5 % au milieu des années 2010. L’espérance de vie en Afrique du Nord est passée de 46 à 74 ans entre 1960 et 2014. La part des enfants scolarisés a considérablement augmenté sur la même période.

Les dépenses publiques d’éducation de l’enseignement supérieur ont doublé entre 2000 (1,2 %) et 2010 (2,5 %). Le taux d’inscription dans l’enseignement supérieur a sans cesse augmenté ainsi que le nombre moyen d’années d’études. Toutefois, en contrepartie de la croissance massive des dépenses d’éducation et de la massification du nombre d’étudiants dans l’enseignement supérieur (taux de croissance annuel de 10 à 15 % dans les années 2000), on observe une détérioration inquiétante de la qualité de l’éducation, posant d’importants enjeux d’employabilité des jeunes. Il en va de même pour la qualité du secteur public de santé en dégradation structurelle.

Ainsi, l’économie rentière engendre-t-elle un afflux des revenus vers l’État qui évince le secteur privé, favorise les subventions publiques et les embauches dans le secteur public. Cette volatilité des revenus est décourageante surtout pour les porteurs de projets nouveaux. Au lieu d’une infrastructure de financement à long terme efficace et rationnelle, la subvention directe par l’État (en partie via le Fonds de régulation des recettes des hydrocarbures) joue un rôle prédominant favorisant le clientélisme et les projets moins efficaces.

Il faut également s’attendre à une aggravation des tensions nouvelles sur le marché du travail à moyen ou long terme. Cela tient en partie à un phénomène observé en Algérie et en Égypte davantage que dans les autres pays de la région : la remontée des taux de fécondité des femmes depuis les années 2000. Les tensions sur le marché du travail seront d’autant plus fortes que le taux de participation des femmes au marché du travail extrêmement faible (moins de 20 %) ne pourra rester longtemps à ce niveau en raison du progrès de leur enrôlement dans l’enseignement supérieur (les femmes sont surreprésentées parmi les diplômés) de la montée de leurs niveaux de qualification et des changements sociétaux dans les zones urbaines.

Au total, l’Algérie qui comme les gouvernements à capacités financières ont soutenu le prix des biens alimentaires par des subventions directes, crée des emplois jeunes dans l’administration, ou encore développe des opérations de crédits à la consommation d’une part et aux projets d’entrepreneurs d’autre part. Le retournement du prix du pétrole à partir de 2013-2014 a remis en cause la capacité des pays pétroliers à revenu intermédiaire à poursuivre dans cette voie de stratégie d’achat de la paix sociale.

La réaction au retournement pétrolier depuis 2013 et ses conséquences pour la région

Les cours du pétrole sont en effet tombés de 100 dollars le baril en 2014 à 46 dollars le baril en 2016. Une légère et récente remontée du prix du baril avait fait croire aux autorités que l’accalmie serait suffisante pour faire coïncider une politique économique risquée avec le calendrier électoral d’avril 2019. Dans les pays de l’OPEP, la chute de 102 dollars en 2014 à 45 dollars en 2016, a occasionné une perte de 1 000 milliards de dollars en termes de revenus. La croissance de tous les pays de la région Moyen Orient Afrique du Nord a été sensiblement affectée passant de 5,1 % en 2016 à 2,2 % en 2017. Dans l’ensemble des pays de cette région, la situation économique est fragilisée par l’entrée dans une phase longue de prix du pétrole bas. Dès 2017, il apparaissait clairement que les soulèvements pouvaient ressurgir, à l’instar des mouvements sociaux de la fin 2017 en Iran.

La situation macroéconomique s’est aussi dégradée fortement en Algérie. Le déficit public, qui représentait 1,4 % du PIB avant le contre-choc pétrolier de 2013, a atteint 15,7 % du PIB en 2016. Les réserves de change ont chuté drastiquement d’un peu moins de 200 milliards de dollars en 2013 à 108 milliards de dollars en 2016 pour atteindre 60 milliards en 2018. Les termes de l’échange se sont dégradés et le dinar officiel s’est déprécié de 20 % en termes nominaux.

Les ajustements qui ont suivi n’ont pas été moins drastiques : dans l’hypothèse d’un baril à 35 dollars, les dépenses publiques ont été réduites de 9 %, surtout pour les dépenses d’investissement. Les importations de biens de consommation finale (nouvelles licences d’importation) ont été également réduites, mais les importations de biens intermédiaires qui vont de moins en moins aux investissements des entreprises du secteur manufacturier au profit du secteur de la construction et du bâtiment se sont maintenues. Des tentatives d’ouvrir le capital des entreprises publiques pour favoriser l’investissement dans les secteurs hors hydrocarbures sont restées embryonnaires.

Le choix de la procrastination dans les réformes structurelles

En Algérie, la valse des premiers ministres depuis l’été 2016 et le retour à ce poste de M. Ouyahia, ont marqué un choix de procrastination devant les réformes. Les autorités ont mis en place une stratégie nouvelle pour faire face à l’érosion des réserves de changes et à l’épuisement du Fonds de Régulation des Recettes des hydrocarbures depuis 2016.

Plusieurs facteurs ont favorisé le choix des financements non conventionnels (la fameuse planche à billets), autorisant le Trésor à se financer auprès de la Banque centrale en relâchant fortement les contraintes : citons la difficulté à renouveler l’opération d’accaparement des bénéfices consolidés de la Banque centrale (1 660 milliards de DA au 1er janvier 2016), les problèmes de mise en œuvre de l’emprunt national obligataire de 2016 et de la mobilisation des fonds en espèces thésaurisés par les entreprises et les ménages ainsi que la volonté de l’Etat de ne pas recourir à l’emprunt extérieur.

Les réformes structurelles, comme celle des systèmes – très inégalitaires – de subventions aux biens de consommation (qui représentent environ 12 % du PIB), semblent marquer le pas. Néanmoins, le prix de l’électricité a augmenté pour rejoindre son prix réel. Bien que calculés, les risques de nouvelles tensions inflationnistes (5,7 % en 2018) ne sont pas écartés. L’accroissement de la thésaurisation des ménages – qui reportent leur épargne sur l’or, l’immobilier, les biens durables, et l’achat de devises étrangères – favorise la dépréciation du taux de change sur le marché parallèle, stimulant l’expansion du secteur informel. Le relèvement obligatoire des taux d’intérêt des banques, afin de limiter les risques inflationnistes, a freiné l’investissement productif. La baisse du niveau de revenus des salariés et des fonctionnaires de l’État affecte les classes moyennes, alors que l’inflation provoque une sorte d’épargne forcée.

Dès 2017, deux scénarios d’évolution pouvaient se dessiner, ouvrant de nouveaux risques mais aussi des opportunités à saisir. Le premier scénario, optimiste, s’appuyait sur une comparaison des conditions macroéconomiques actuelles de l’Algérie par rapport à celles de la première rupture de 1988. Le second scénario, plus pessimiste, mettait en exergue les effets pervers qui pouvaient être anticipés et évités.

Scénario 1 : une situation favorable à court et à moyen terme par rapport à la rupture de 1988

La période de rupture de 1988 (qui a succédé au contre choc pétrolier de 1986) fut une période d’endettement externe très élevée, accompagnée d’une baisse drastique des réserves de change ayant entraîné les révoltes et l’entrée dans les années 1990 dans la violence politique, sociales et la dégradation économique en termes absolus.

Le retournement pétrolier de 2013 et la baisse des réserves de change se produisirent dans une situation économique beaucoup plus favorable : un taux d’endettement très faible (moins de 15 % du PIB,) à la différence de 1988 (90 % du PIB). En dépit de leur détérioration massive, les réserves de change demeurèrent à un niveau confortable (environ 90 milliards de dollars), offrant encore plusieurs mois d’équivalents en importations.

Dans la période actuelle, la réduction du prix du pétrole n’intervient pas dans une situation de transition d’un système de production étatique vers une économie de marché, comme à la fin des années 1980 – ce qui avait exacerbé les tensions sociales et les intérêts politiques dans les processus de privatisation de certaines entreprises publiques.

Le pari des autorités tablait sur la crainte farouche des populations d’un retour aux violences des années 1990 et leur très forte demande de paix et de sécurité. C’est le fameux « capital sécurité », acquis de la présidence Bouteflika, qui garantissait aux yeux des autorités, la préférence de la société civile algérienne pour la stabilité plutôt que pour le changement. Enfin, les incitations aux réformes structurelles et à la diversification de l’économie devaient être stimulées par des décideurs politiques privilégiant les réformateurs.

Scénario 2 : La rupture

Dès 2016, plusieurs signaux sérieux permettaient de relativiser le scénario précédent. Les changements de premiers ministres dans une période très courte ne permettaient pas de stabiliser une équipe gouvernementale ayant fait un choix clair d’application des réformes structurelles.

L’annonce de la réforme de la loi des hydrocarbures et l’annonce de la reprise de l’exploitation du gaz de schiste dans le sud du pays laissaient penser à une continuité dans le modèle de gestion rentière de l’économie, tournant le dos aux réformes, sans éviter d’alimenter les risques de révoltes dans la mesure où les populations locales sont farouchement opposée à l’exploitation des gaz de schiste.

Comparativement à 1988, les émeutes avaient été le fait des jeunes des classes populaires des zones urbaines, les élites éduquées ne rejoignant le mouvement qu’après coup pour faire vivre les réformes et l’effervescence démocratique exceptionnelle de la période 1988-1991.

A partir du retournement de 2013-2014, la détérioration des marges de manœuvre de l’État pour soutenir l’emploi des jeunes arrivant sur le marché du travail chaque année, ne pouvait plus être amortie par l’embauche dans le secteur public ou le recours à la soupape migratoire massive vers l’Europe et la France en particulier, comme ce fut le cas en 1988, en raison du durcissement des politiques migratoires européennes et des attitudes anti-immigration depuis l’afflux de demandeurs d’asile en Europe en 2015.

Enfin, à la différence de la rupture de 1988, on assiste aujourd’hui à une détérioration de la situation des élites, dont le pouvoir d’achat commence à être grignoté par l’inflation et la dégradation des équilibres sociaux. La base de contestation et de mobilisation tend à s’élargir à l’ensemble des classes moyennes.

Ce second scénario apparaissait donc porteur de risques de rupture sociale et politique majeurs. Des opportunités existaient toutefois, pour mettre en œuvre de manière rapide et efficace les réformes structurelles. Mais ces messages furent tus et dès 2016-2017 les réformes ont été reportées sine die pour donner la priorité à un agenda de politique économique de court terme destiné à préparer les échéances des élections de 2019. Aujourd’hui, cela semble passer par une remise en cause totale du « système », comme le scandent les manifestants.

Conclusion : la nécessité d’une réforme profonde de l’État

Personne ne peut réellement prédire ce que ces mouvements de la société civile vont advenir. Il est clair qu’ils s’inscrivent dans un mouvement long de volonté de changement qui ne date pas d’aujourd’hui et qui s’insèrent pleinement dans un contexte régional de revendications démocratiques par les sociétés civiles des pays arabes. Rappelons les leçons du paradoxe de Tocqueville (1856) : c’est bien lorsque les États progressent et se réforment que la perception des inégalités accompagnée du sentiment de mépris et de domination par les pouvoirs autocratiques deviennent insupportables pour les élites impatientes et pour les populations.

Quelles que soient les institutions qui vont découler de ce mouvement politique et social, les changements structurels de l’économie et de la société algérienne doivent trouver des réponses. Une chose est sûre : la procrastination n’a de valeur d’option pour personne. Ni pour l’Algérie, sa société civile, ses jeunes ; ni pour les partenaires européens, et tout particulièrement la France, qui ne peuvent se contenter de préférer ce qui peut assurer la sécurité des frontières contre les risques d’un afflux migratoire.

Le premier défi, celui de la diversification de l’économie et de l’employabilité des diplômés, nécessite de mettre en œuvre une politique industrielle active d’insertion internationale et régionale, en particulier dans le domaine des activités de services de la connaissance, riches en emplois qualifiés. Un investissement dans une véritable stratégie en direction des diasporas algériennes en Europe, en Amérique du Nord devrait permettre de mieux bénéficier de la fuite des cerveaux anormalement élevée en Algérie, cela en relation avec les secteurs industriels et de services visés par la politique industrielle. Elle jouerait un rôle fort dans la remise à niveau du système d’enseignement supérieur, de la recherche et de la formation, qui constitue une véritable urgence en Algérie.

L’État y jouerait un rôle de coordonnateur et de facilitateur de l’émergence d’un secteur privé encore trop inhibé. Les relations de vassalité mais aussi de copinage entre l’État et les entreprises, qui évincent les plus productives et les plus innovantes, doivent changer radicalement.

D’autres pays disposant de rentes des hydrocarbures ont réussi à développer la diversification de leur économie. Ce n’est pas la rente qui est mauvaise en soi pour le développement. Il n’y a pas de fatalité ou de malédiction des matières premières. Ce sont les institutions qui sont en jeu non les ressources naturelles. La solution est de mobiliser les revenus de la rente vers des usages productifs pour induire un processus d’accumulation des richesses. Des propositions ont été formulées mais restées inexploitées.

Cette politique doit également pouvoir être pensée dans le cadre d’un renouvellement des accords d’intégration régionale avec l’Union européenne, très déséquilibrés à la défaveur des pays de la région. Les rapports bilatéraux entre chacun des pays du Sud de la Méditerranée séparément et l’Europe ne permettent pas aux premiers de bénéficier de la libéralisation des échanges entre les deux rives.

En dépit des obstacles géopolitiques persistants entre certains pays du Maghreb, il est urgent de mobiliser les volontés pour la mise en œuvre d’une zone régionale intégrée au sud et à l’est de la Méditerranée qui renégociera de manière multilatérale avec l’Europe dans l’intérêt des populations. Un élargissement du marché du Sud plus intégré est indispensable à l’attractivité des investissements directs d’accès au marché qui ne viennent pas suffisamment dans la région en raison des coûts de transaction exorbitants entre chacun des pays du Sud. Il est moins coûteux pour les firmes européennes de desservir ces pays par l’exportation que de s’installer sur place pour vendre sur le marché régional beaucoup trop fragmenté.

Une intégration plus profonde entre les pays de la rive Sud correspond, en outre, à une aspiration des sociétés civiles, tout particulièrement des jeunes, des pays du Maghreb. C’est à cela que l’Europe et la France devraient s’atteler en coopération avec les pays de la région en sortant de la logique purement bilatérale.

Le second des défis centraux auxquels fait face l’Algérie consiste à transférer la rente pétrolière à la population par des instruments universels non discrétionnaires de manière à répondre au mieux à ses objectifs stratégiques.

Des propositions existent pour développer des modalités de transfert des recettes pétrolières à la population, après la correction nécessaire des déséquilibres actuels par exemple : la création d’un véritable fonds de stabilisation, et d’un fonds d’accumulation pour améliorer l’équité intergénérationnelle, la réorientation d’une partie des recettes vers des entreprises productives grâce au secteur financier intérieur, ou sous la forme de taux réduits de l’impôt, afin d’améliorer la création d’emploi dans le secteur privé formel déficient dans la plupart des pays de la région…

Ces propositions ne sont possibles que si une réforme profonde de l’État est réalisée. Il va sans dire que le préalable réside dans la lutte radicale contre la corruption à tous les niveaux et la mise en œuvre de mécanismes garantissant la transparence. Ce dernier point sera au centre des changements que réclament les Algériens.

Mouhoub El Mouhoud

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