Les algériens sont descendus massivement dans la rue pour dire non à ce mandat de trop pour un président grabataire. Une occasion pour remettre en question un mode de gouvernance qui a produit plus de malheurs que de biens faits pour un peuple à très forte majorité jeune. Si du côté des manifestants on a revendiqué dans le calme, les forces de l’ordre rarement provoquées ont globalement gardé leur sérénité. Les quelques escarmouches aux environs du siège de la présidence de la république et le décès dans des conditions non encore élucidées d’un manifestant, donnent la mesure de la modicité des affrontements entre la police et les millions de citoyens qui défilent dans les rues de toutes les villes du pays. Si basculement vers la violence il y aura, tout porte à croire qu’il ne viendra pas de ces deux parties, mais de certains cercles du pouvoir qui pourraient, pour diverses raisons, donner l’ordre à des forces occultes (police politique, « baltaguis » payés pour la circonstance, militants zélés du FLN etc.) de torpiller les manifestations pacifiques pour les faire sombrer dans une violence pouvant légitimer la répression et l’instauration d’un état de siège, le report du scrutin présidentiel et le maintien logique de Bouteflika à son poste. Les prémices de ce genre de violence par le truchement de « baltaguis » financés par certains cercles du pouvoir ont déjà commencé à l’occasion de la manifestation du vendredi 1ermars où l’on avait aperçu des amas de pierres et de bâtons stockés à certains endroits de la place du 1er mai, sans doute pour être utilisés par des jeunes recrutés à l’effet de produire des désordres en des lieux bien précis.
C’est un scénario tout à fait plausible qui résulte du fait que les soutiens au président actuel sont pour la plupart à la tête de grandes fortunes et d’espaces de pouvoirs considérables qu’ils n’accepteront pas de perdre aussi facilement. Si bon nombre d’entre eux ont fait une bonne part de leurs fortunes à l’étranger, la crainte d’être rattrapés en cas de renversement de régime les taraude, au point de s’accrocher mordicus à leurs privilèges, qu’ils ne céderont jamais sans garantie pour leurs biens et leurs familles. Et, de ce point de vue, rien n’est encore envisagé pour eux. La révolte populaire n’étant qu’à ses débuts, aucune porte de sortie n’est encore envisagée, aussi bien, pour les dirigeants que pour les personnalités envers qui les algériens ont manifestés le plus de griefs. En situation d’insécurité, ces derniers qui détiennent encore le pouvoir politique et celui de l’argent pourraient commettre les pires exactions pour sauver leurs vies et leurs rentes de situation, a moins que l’armée intervienne pour calmer le jeu et pousser les belligérants à négocier, en vue de concilier du mieux possible leurs intérêts. Des intérêts malheureusement trop divergents qui basculeront d’un côté ou de l’autre selon la décision du président Bouteflika de confirmer ou de se retirer de la course au 5é mandat.
Entre les millions d’algériens qui manifestent depuis quelques semaines pour empêcher un président grabataire de briguer un nouveau mandat, exiger une autre manière de gouverner le pays et le pouvoir rompu aux intrigues et à la répression pour maintenir ses privilèges, le bras de fer qui vient de s’engager n’est sans doute pas prêt de se terminer. Les deux parties s’observent, se jaugent chacun attendant que son adversaire ouvre frontalement les hostilités pour adapter la riposte qui convient. Les réseaux sociaux étant généralement favorables aux insurgés, le pouvoir sait qu’une maladresse, qu’il pourrait commettre risquerait de se retourner définitivement contre lui. Du coté des manifestants on craint évidemment des violences qui pourraient surgir à n’importe quel moment et dans n’importe quel lieu, si des casseurs venaient à être infiltrés dans les cortèges les plus filmés, ce qui risquerait de jeter un discrédit sur ce mouvement de protestation que le pouvoir prendra plaisir à exploiter, en prenant à témoin l’opinion publique nationale et étrangères, pour justifier différentes formes de répressions pouvant aller jusqu’à l’instauration de l’état de siège.
Nous n’en sommes évidemment pas encore là. Les deux camps restent suspendus à la décision d’Abdelaziz Bouteflika de confirmer ou d’annuler sa candidature au prochain scrutin en déposant ou non, ce dimanche 3 mars 2019, son dossier au Conseil Constitutionnel. Entre temps l’Algérie retient son souffle.