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Mourad El Besseghi : « Au rythme actuel, les réserves de changes seront épuisées en trois ans »

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Dans cet entretien, l’expert financier, MEl Besseghi réagit à différents sujets qui font l’actualité du domaine ces derniers jours. Il donne son avis sur la baisse des réserves de changes, sur les nouveautés concernant la pratique de la  finance islamique, sur les dépenses des caisses de sécurité sociales et enfin sur les prévisions de la croissance économique pour 2019

Algérie-Eco : L’année 2019 est entamée par l’annonce d’une nouvelle baisse du niveau des réserves de change, comment le gouvernement doit réagir face à cette inquiétante donne ?

Mourad El Besseghi : En descendant sous la barre des 80 milliards de dollars, l’Algérie a atteint un niveau de réserves de change qu’elle n’a pas connu depuis décembre  2006, après avoir franchi au cours de ces douze années, une cime de 194 milliards de dollars à fin 2013. Au rythme de cette dégringolade, nous devrions épuiser totalement ces réserves en trois années au plus tard, si les tendances ne changent pas fondamentalement.

En effet, en considérant que le rythme de nos importations en biens sera maintenu à 45 milliards de dollars/an sans tenir compte de la facture des services que l’on a tendance à oublier, qui avoisinent ces derniers temps les 10 milliards de dollars/an, nous irons encore puiser dans les « bas de laine » les moyens pour équilibrer la balance commerciale et partant la balance des paiements.

Les ressources du pays composées quasi exclusivement par les exportations hydrocarbures seraient de 35 milliards de dollars avec un prix moyen du baril du brut qui s’établira dans le meilleur des cas à 70 dollars le baril sur la période. Ceci est encore plus aléatoire lorsqu’on considère la perspective inquiétante de la  consommation intérieure de l’énergie qui est en hausse et qui vient réduire les capacités de production exportables.

L’équilibre ressources-emplois est encore plus inquiétant si l’on introduit d’autres ingrédients défavorables tels que l’augmentation de la population de un million d’habitants par an et une inflation qui va connaitre une augmentation tendancielle au regard du volume alarmant du financement de l’économie grâce à la planche à billet. A ce jour le financement non conventionnel a atteint 5200 milliards de dinars qu’il faudra bien rembourser un jour au trésor public.

Pour ce faire, il faut administrer un traitement de choc à l’économie pour endiguer ces phénomènes qui nous tirent vers le bas. Des mesures rapides a destination de notre économie pour l’attrait des IDE susceptibles de diversifier l’industrie, de dynamiser l’agriculture et de booster le secteur tertiaire.

Le Haut Conseil Islamique (HCI) a suggéré récemment à la Banque d’Algérie un projet relatif aux mécanismes pratiques concernant une instance nationale religieuse pour l’encadrement de la Finance islamique et ce afin d’unifier la jurisprudence suite à l’approbation, par le Conseil de la monnaie et du crédit (CMC) en novembre dernier, d’un règlement définissant les règles applicables aux produits de la finance islamique. Qu’en pensez-vous?

Ce mécanisme était déjà prévu dans le règlement de la banque d’Algérie que vous avez cité, puisque la banque n’est pas habilité ou qualifié pour se prononcer sur la licitée de tels ou tels produits financiers.

Selon le règlement 18-02 du 04 novembre 2018, les banques doivent obtenir une autorisation de la Banque d’Algérie et ensuite recevoir pour leurs produits financiers une certification de conformité aux préceptes de la charia, appréciée par un organe national  habilité avec les instances de contrôle instituées au niveau des banques, qui sont composées de spécialités du Fikh.

Aux termes des déclarations rapportées par la presse, il apparait que la Banque d’Algérie avait fait cavalier seul dans cette aventure, en chargeant une autre instance de la responsabilité de contrôler les produits islamiques. Ce qui aurait poussé le HCI à formuler des réserves concernant la mise en place d’un organisme ayant pour vocation de contrôler la conformité à la Charia des produits financiers proposés par les banques, dans un premier temps, pour ensuite convenir de l’introduction d’amendements concertés  à la réglementation afin de développer la finance participative.

Rappelons que la finance islamique est à son état embryonnaire en Algérie et ne représente que 2% du marché financier alors que l’ambition des pouvoirs publics est d’absorber une partie des sommes colossales qui circulent dans l’informel afin de le bancariser.

Le ministre du travail a insisté dernièrement sur la rationalisation des dépenses des caisses de la sécurité sociale, y compris la Caisse nationale des Retraites, et sur l’amélioration de la performance administrative des différents services de la CNR. Pourquoi à votre avis?

Les caisses de sécurité sociale d’une manière générale (CNAS, CNR, CASNOS, CNAC, CACOBATH, FNPOS) fonctionnent selon des règles anciennes dépassées, et avec des coûts de fonctionnement exorbitants.

A titre d’exemple, dans le domaine du recouvrement, la CNAS se caractérise par un laisser aller  flagrant, et loin de prendre en charge les gisements financiers constitués par le marché noir du travail. Le prétexte fallacieux invoqué par cette caisse pour justifier cette contre performance est que ces réservoirs non exploités, ne sont pas connus de ses services, ni recensés dans ses tablettes.  Selon les statistiques livrées par l’Organisation Internationale du Travail, 48% de la population active est régulièrement déclaré, alors que le reste est dans la nature. Pour justifier cela, on s’acharne sur les réguliers, les encourageant à s’aligner sur les pratiques du marché noir du travail.

La CASNOS, est également visé avec des pratiques sur le terrain, qui dénotent avec les déclarations faites en grande pompe, dans des conférences de presse. Les taux de recouvrement sont faibles, les prestations fournies n’ont jamais été réellement améliorées, pour attirer plus de cotisants à s’acquitter de leurs obligations.

Le budget de l’Etat a été sollicité à maintes reprises pour combler le déficit de la Caisse Nationale des Retraites, à l’exemple du budget de fonctionnement de l’exercice 2018, ou 500 milliards de dinars ont été prévues.

Un audit a été commandé par les pouvoirs publics à l’IGF en juillet dernier mais les résultats ne sont pas encore connus. Ce qui est certain, c’est toutes les caisses ont connu une régression des recettes et une fulgurante augmentation des coûts de gestion.

Les sureffectifs, le manque d’organisation, les charges salariales adossées à de généreuses conventions collectives, des achats de véhicules de luxes, des acquisitions d’immeubles qui ne se justifient pas, des aménagements d’espaces sans intérêt avec la vocation des caisses, etc…., les fraudes révélées régulièrement dans la presse  concourent allégrement aux déficits des caisses. Il y a un sérieux problème de gouvernance au niveau des caisses sociales, qui mérite d’être traité.

Le gouvernement algérien prévoit une croissance économique en progression se situant à 2,6% du PIB pour l’exercice 2019, selon le ministre Abderrahmane Raouya des Finances qui mise sur une croissance hors hydrocarbure de 3,2%. Est-ce réalisable à votre avis?

Le taux de croissance du PIB en 2018 a été de 2,3 % alors que les prévisions  tablaient sur 4% . En revanche, la loi de finances 2019 prévoit une croissance du PIB de 2,9% pour l’exercice 2019, contre une croissance hors hydrocarbure de 3,2%. A moyen terme, la croissance économique augmentera à 3,4% en 2020 et 3,2% en 2021  avec une moyenne de croissance hors hydrocarbure de 3,1% en 2020-2021 ;

Nous voyons que le taux de croissance du PIB vacille et joue au yoyo tous les jours, d’autant que les quantités exportables vont connaitre un recul de 1%  sous l’effet de l’augmentation de la consommation locale. Par contre dans les autres secteurs, il est possible d’atteindre un taux de croissance appréciable.

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