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Rachid Gorri : « les infrastructures touristiques ne sont pas adaptées au pouvoir d’achat des touristes algériens »

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Dans cet entretien, M. Rachid Gorri, Consultant Marketing, Expert International en développement du tourisme, est revenu sur la situation du tourisme en Algérie et les différents acteurs de cette activité sur laquelle le gouvernement mise pour générer des recettes en devises.

Algérie-Eco : Quel est l’Etat des lieux du tourisme en Algérie ?

M. Rachid Gorri: Pour mettre en route une stratégie touristique il faut un savoir-faire dans plusieurs domaines : le management, le marketing, l’architecture des produits touristiques et la communication. Actuellement je n’ai pas constaté ce genre d’axe majeur. Je vois partout des hôtels qui poussent comme des champignons, des hôtels de classe supérieure. On les voit émerger du sol, mais il n’y a pas de communication et je ne peux pas vous garantir que leurs taux d’occupation soient extraordinaires, parce que la cible principale, pour ne pas dire exclusive, n’est orientée que sur la clientèle d’affaires. Il n’y a donc jusqu’à preuve du contraire que le tourisme d’affaires qui semble prédominer parmi les initiatives touristiques du pays.

Là aussi il y a une absence de communication vis-à-vis des entreprises algériennes du secteur privé et il me semble que ces hôtels sont destinés uniquement aux affaires de l’Etat, c’est probablement la raison pour laquelle l’Etat ne communique pas. C’est une erreur, parce qu’il y a des entreprises algériennes de toutes les tailles et qui sont très dynamiques, mais ne savent pas vraiment comment loger leurs hôtes.

Pour être en phase avec la communication et le marketing de ce type de produits (hôtels de luxe), un seul recours : Le M.I.C.E (correspond aux termes anglais de « Meetings » (réunions), « Incentive », « Conférences » et « Exhibitions / Events » (événements professionnels).

La configuration, l’équipement et le positionnement de ce type d’hôtels obligent à avoir recours au MICE, outils approprié et incontournable au développement de ces catégories d’hôtels.

Quelles sont les raisons qui empêchent le tourisme algérien de se développer ?

Le tourisme est un management à part, comme l’est l’hôtellerie, la restauration ou la gestion d’un parc d’attraction ou d’un site touristique. Cela veut dire qu’un management hôtelier n’inclut pas du tout un management touristique, donc on fait en Algérie du management hôtelier et du management de la restauration, mais on ne fait pas de management touristique. On ne sait peut-être pas ce qu’est le management du tourisme, car on se contente de construire des établissements sans trop se soucier de leur rentabilité ni de leur compatibilité au tourisme algérien et à sa stratégie.

Le management touristique est très complexe parce qu’il a non seulement ses propres mécanismes managériaux, mais il doit aussi intégrer le management des autres segments de produits touristiques aussi divers que variés, à savoir la restauration, l’hôtellerie et le transport, pour n’en citer que les principaux postes.

Le management touristique est une pierre angulaire dans la stratégie touristique. Il doit intégrer sa propre organisation en maîtrisant le management de chaque segment de produit touristique, ensuite viendra le montage de produits touristiques, la création de sites et de circuits touristiques et enfin la communication cohérente de cet ensemble. C’est cela le plus difficile à faire car c’est l’ensemble du territoire qui en est concerné.

Où en sont les choses par rapport à l’organisation touristique territoriale en Algérie ?               

N’oublions pas l’essentiel qui est que les infrastructures touristiques ne sont pas adaptées aux budgets ni au pouvoir d’achat des touristes algériens.

Il serait souhaitable d’initier une forme de compétition entre les régions du pays afin de provoquer leurs motivations et leur désir de mieux faire en termes de séduction et d’attraction des touristes algériens. Cela ne pourrait se faire que grâce à une décentralisation intelligente des territoires du pays.

Que pensez-vous des agences de voyages ?

D’abord leur nombre est très insuffisant et leur management est trop archaïque. Elles ne sont pas vraiment digitalisées. Bien souvent, elles ne font que la réservation de billets pour une cible non digitalisée. Même en France, elles sont en train de disparaître les unes après les autres depuis des années, notamment avec l’arrivée sur le marché de Booking.com, Hôtels.com, etc.

Il faut mettre en place des structures de promotion, de vente et de conception de produits touristiques algériens. Finalement, il y a un micro-marché de tourisme d’affaires, où les hommes d’affaires étrangers viennent grâce à leur propre circuit de distribution, avec une durée moyenne de séjour de deux nuitées environ. Cela reste insuffisant, bien sûr.

C’est aux tours opérateurs de concevoir les produits touristiques et pas aux agences de voyages qui sont des distributeurs ou des vendeurs des produits touristiques. Les uns et les autres peuvent néanmoins exercer les activités des « Tours Réceptifs » capables de satisfaire les attentes des cibles étrangères. Mais dans ce domaine, il règne une grande confusion et en général, ce sont les tours opérateurs européens et des OTA –Agence de Voyages En Ligne- (une petite poignée) à faire la promotion de la destination algérienne.

Le catalyseur du vrai tourisme réside dans la demande interne alimentée essentiellement par la classe moyenne. Il faut donc construire des hôtels appropriés au pouvoir d’achat de la classe moyenne algérienne, si on veut faire décoller le tourisme en Algérie. Toutes les grandes destinations mondiales de tourisme ont démarré par la demande interne, véritable booster de recettes touristiques. En France, les deux tiers des recettes sont réalisées par les nationaux. Il semblerait qu’en Algérie, on s’épuise à tout faire pour attirer le touriste étranger dont la conquête est plus qu’incertaine, tant cette cible est courtisée par l’ensemble des destinations mondiales du tourisme.

Il faudra du temps pour que les touristes étrangers se « bousculent » pour venir visiter notre pays. Plusieurs facteurs (objectifs et subjectifs) sont nécessaires pour rendre l’Algérie suffisamment attractive.

La demande interne existe, mais force est de constater que les Algériens préfèrent la Tunisie. A votre avis, Pourquoi ?

Cela prouve qu’il n’y a pas de produits touristiques en Algérie, tout simplement.              Les Tunisiens sont en train de faire du marketing de crise et je dois reconnaître qu’ils le réussissent bien, même si beaucoup de travail reste encore à faire. Ils ont conçu un produit approprié à la cible algérienne et ils en ont fait un mix marketing réussi. Ils prennent tous les segments de produits touristiques dont ils disposent et ils en font un package en mix marketing adapté: le produit, le prix, la promotion et la vente (distribution) ne sont que des fondamentaux bien connus du marketing. Ils ont réussi un montage conforme aux moyens et aux goûts de la classe moyenne algérienne et ce ne sera pas demain que cette classe moyenne cessera d’y aller, ce qui est dangereux pour l’Algérie bien évidemment.

Le touriste algérien ira toujours ailleurs, où il trouvera un meilleur rapport qualité/prix et surtout quand les produits de son pays ne lui sont pas accessibles.

Pourquoi les Algériens se plaignent de la cherté des hôtels ?

Les Algériens dans leur grande majorité n’iront jamais dans ces hôtels qui sont conçus presque exclusivement pour le tourisme d’affaires. Il manque des établissements dans les gammes moyennes, intermédiaires et économiques pour lancer le tourisme dit de loisirs et tous les autres types de tourismes contigus. Les segments de produits touristiques algériens sont éclatés et atomisés, ils n’ont pas de structures qui puissent les amalgamer en des assortiments pour en faire des packages cohérents.

On parle souvent de la destination saharienne

C’est de la nostalgie des années 1960-1970. Il reste encore une cible très branchée sur ce type d’histoire,  mais cette cible qui est d’origine européenne principalement, plutôt du troisième âge et nostalgique du passé. Elle n’est surtout pas assez représentative pour la destination algérienne. Et les jeunes ne sont pas du tout intéressés par ce genre de distraction.

C’est un tourisme culturel et historique qui concerne une certaine CSP (Catégorie Socio Professionnelle) élite, d’un certain âge et d’une certaine culture, plutôt orientée Pyramides d’Egypte (tant mieux pour eux).

Il est essentiel de comprendre ce qui suit :

Il ne peut pas y avoir de tourisme sans synergie des deux principaux clusters qui sont les institutionnels (l’Etat et les collectivités) et les professionnels. C’est l’implication et la motivation de ces deux clusters qui feront un jour le tourisme algérien, comme elles ont fait les tourismes des grandes destinations.

Chaque pays a une image qu’il doit promouvoir et chaque pays doit communiquer sans cesse pour conquérir les touristes, mais je ne vois pas le contenu ni le message que l’image algérienne prétend délivrer. La question est de savoir d’abord ce qui pourrait donner envie à des touristes Français, Italiens, Anglais, Allemands ou Canadiens de visiter l’Algérie, ensuite vient la communication pour « diffuser » les caractéristiques du pays. C’est pour cette raison qu’il faut structurer le tourisme algérien, le promouvoir et le vendre ensuite.

Comme il n’y a pas de produits touristiques algériens, il faut donc les créer pour enrayer cette  atomisation destructrice des segments de produits touristiques. Même la France (Première destination mondiale du tourisme) est confrontée à ce problème et j’en veux pour preuve irréfutable la supériorité des recettes espagnoles par rapport à celles de la France, alors que l’Espagne reçoit moins de touristes…

L’Algérie serait-elle en train d’imiter la France ? Portant dans le secteur du tourisme, il n’y a pas de modèle prêt à appliquer pour développer sa stratégie touristique.

Chaque pays ou destination doit avoir son propre modèle et c’est la règle dans le tourisme.

Que faudrait-il faire pour cette demande interne ?

Cette classe moyenne se situe, de façon approximative, dans la tranche d’âge des 18 à 50 ans et ce sont toutes ces catégories susceptibles d’aller profiter des bienfaits du tourisme. Cette tranche d’âge est au moins à 80% digitalisée, ce qui est un atout considérable permettant de la conquérir. Il faut donc communiquer avec ce type de cible privilégiée et concevoir des produits adaptés à son pouvoir d’achat mais surtout à ses attentes subjectives. Et ce travail devrait être fait par les agences de voyages et les tours opérateurs. S’ils ne le font pas, il ne faudra pas s’étonner qu’un ou plusieurs leaders européens ou asiatiques viennent un jour saisir cette opportunité grâce à une technologie redoutable à laquelle les investisseurs algériens n’auront pas pensé.

Quels types de produits devrait-on proposer ?

Nous avons des potentiels produits adaptés à toutes sortes d’envies eu égard aux multiples ressources naturelles que Dieu a données à notre pays.

Pour ne citer que quelques-uns, les séjours d’hiver, les vacances d’été, les longs week-ends et les fêtes de toutes sortes. Il suffit de packager et de sélectionner les produits en fonction de leur prix et de leur attractivité, puis de les inscrire dans une stratégie marketing.

D’abord, il est indispensable de posséder ces trois types de savoirs : Le savoir-faire, le savoir être et le faire savoir.

Puis, ne jamais oublier que le secteur du tourisme ne ressemble à aucun autre secteur d’activité, tant il est aussi complexe que sensible.

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