AccueilAfriqueVoici pourquoi le transport aérien africain est si cher et si désorganisé

Voici pourquoi le transport aérien africain est si cher et si désorganisé

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Coût des vols très élevés, escales de plusieurs heures et détours par plusieurs pays. Tels sont les maux qui caractérisent le secteur du transport aérien africain, surtout quand il s’agit de vols intracontinentaux. Entre taxation excessive et barrières protectionnistes des espaces aériens nationaux, décryptage d’une situation aux conséquences désastreuses pour les économies africaines.

Un service peu désirable : D’après une étude réalisée par City Lab, le prix de base hors taxes d’un billet KLM entre Freetown, en Sierra Leone, et Londres est d’environ 350 dollars. Mais avec les frais et taxes, le prix du billet peut grimper jusqu’ à 825 dollars.

Une situation qui empire lorsqu’il s’agit de vols intra-continentaux. Un voyageur en provenance de Kinshasa vers Lagos au Nigéria est susceptible de dépenser jusqu’à 1200 dollars avec un voyage qui peut durer plus de 12 heures, en passant par une ou plusieurs escales. Or, la distance qui relie ces deux métropoles est de 3000 km. Une comparaison avec le secteur aérien américain, montre qu’une telle distance correspond à un vol New York à Minneapolis qui coûterait en moyenne 300 dollars et ne prendra par aucune escale. Il faut par exemple débourser plus de 600 dollars pour un vol entre Kampala et Bujumbura. Les deux villes sont séparées par 725 km et le vol durera en moyenne 10 heures de temps avec des escales au Kenya et au Burundi. Au même moment, avec la distance qui est à peu près la même entre les villes américaines de Boston et Washington DC, un voyageur achètera son billet en moyenne à 120 dollars et durera en moyenne 1h30. 

Pour se rendre d’un pays à l’autre sur le continent africain, un voyageur peut devoir parcourir des milliers de kilomètres des fois en passant par le Moyen-Orient ou l’Europe, souligne City Lab. La problématique de la cherté du transport aérien en Afrique fait que le continent ne compte que pour moins de 3 % du marché mondial du transport aérien avec environ 54 millions de passagers par an. Or, il abrite environ 12 % de la population mondiale et sera responsable de la majeure partie de la croissance démographique mondiale, au cours des trois prochaines décennies. 

La taxation : le grand mal du transport aérien africain : L’une des principales causes de la cherté des billets d’avion en Afrique est la taxe imposée par les Etats. Les compagnies aériennes se retrouvent par conséquent, contraintes d’augmenter d’autant les tarifs des billets d’avion. Contrairement, à l’Europe ou à l’Amérique du Nord, il existe, sur le continent africain, une grande disparité entre les taxes prélevées par chaque gouvernement sur le billet d’avion acheté par un voyageur. Selon le rapport « Over Taxation in Africa » écrit par Nowel Nagal, directeur des opérations commerciales et terrestres du Groupe Asky Airlines, les différentes taxes et redevances imposées par chaque Etat contribuent aux prix élevés des billets, surtout pour les liaisons internes.

En Afrique, chaque Etat perçoit en moyenne 12 redevances et taxes différentes afin de recouvrer les coûts de la fourniture d’installations, de services aéronautiques aux aéroports et à la navigation aérienne, mais aussi pour remplir les caisses publiques. Selon une classification faite dans le rapport, les Etats d’Afrique Centrale perçoivent en moyenne 100 dollars sur le billet d’avion, ce qui en fait la région où les billets d’avion sont les plus chers en Afrique. L’Afrique de l’Ouest suit dans le classement avec une moyenne de 84 dollars prélevés. S’en suivent l’Afrique de l’Est avec 60 dollars, l’Afrique australe avec 40 dollars et l’Afrique du Nord avec 35 dollars. Cette situation engendre une baisse des revenus des compagnies aériennes qui par conséquent investissent moins et se retrouvent parfois obligées de dégraisser leurs effectifs, ce qui entraine une hausse du taux de chômage et les problèmes sociaux y afférent. « Ces taxes réduisent le rendement potentiel de l’investissement, de sorte que la compagnie aérienne n’augmente pas sa flotte autant qu’elle l’avait prévu. Elle offre moins de vols, ce qui entraîne des tarifs aériens encore plus élevés et la mise à pied de certains de ses travailleurs. Ce n’est là qu’un exemple parmi tant d’autres de la façon dont les impôts se répercutent sur l’économie et ont toutes sortes de conséquences illimitées », déplore le rapport. 

Un protectionnisme aérien nocif au transport : Selon un article publié dans le quotidien La Libre Belgique, le coût du kérosène en Afrique est le plus élevé du monde pour les compagnies aériennes. Il y est 21% plus cher que dans le reste du monde. De plus, dans certains pays, les taxes sur les carburants sont plus du double de la moyenne mondiale. Cela justifie aussi l’augmentation des prix des billets par les compagnies.

Selon Qatar Airways, « les Etats africains doivent revoir leur politique de la porte fermée ». En effet, dans le secteur, l’Afrique est la région où on dénote le plus de barrières juridiques protectionnistes, d’obstacles réglementaires et de nationalisme obstiné dans les politiques locales du transport aérien. Les compagnies aériennes qui tentent de lancer une nouvelle liaison entre des pays africains doivent d’abord obtenir l’autorisation des deux pays, une perspective longue et coûteuse qui peut parfois impliquer d’importants pots-de-vin. Partout sur le continent, les pays ont manifesté une tendance protectionniste à limiter l’accès des autres à leur propre espace aérien.

En 1999, 40 pays africains ont signé un accord promettant de promouvoir des marchés concurrentiels et d’éliminer les obstacles réglementaires. Mais à ce jour, rares sont ceux qui ont effectivement mis en œuvre cet accord. Toutefois, les experts et analystes du secteur n’ont eu de cesse de montrer que ces causes sont à la base de la situation financière délicate de nombreuses compagnies africaines.

Une lumière au bout du tunnel : Depuis quelques années, on peut noter une prise de conscience progressive des décideurs africains pour renverser la tendance afin d’apporter un nouveau souffle au secteur.

En janvier 2018, la Commission de l’UA a lancé le Marché Unique Africain du Transport Aérien. L’objectif est de « créer un marché unique et unifié du transport aérien en Afrique, à libéraliser l’aviation civile sur le continent et à faire avancer le programme d’intégration économique de l’Afrique », a expliqué l’institution dans un communiqué. La mise en place de ce marché stimulera les opportunités de promotion du commerce, les investissements transfrontaliers dans les industries de production et de services, y compris le tourisme, aboutissant ainsi à la création de 300 000 emplois directs supplémentaires et deux millions d’emplois indirects, une contribution importante à l’intégration et à la croissance socio-économique du continent.

Selon une étude soutenue par l’Association internationale du transport aérien (IATA), l’adoption de politiques de ciel ouvert contribuerait à encourager la concurrence, qui fera doubler le trafic africain et baisser le coût final pour les consommateurs. Une autre analyse de l’organisation a également révélé que 12 des principaux pays africains pourraient augmenter leur PIB collectif de 1,3 milliard $ et attirer 4,9 millions de nouveaux voyageurs en mettant en œuvre des accords bilatéraux dans ce cadre. Le prix des billets diminuerait ainsi de 35% au profit d’une augmentation des échanges commerciaux. Ainsi, après l’annonce du lancement du Marché Unique Africain du Transport Aérien, de nombreuses compagnies aériennes africaines se sont lancées dans des projets pour desservir l’ensemble du continent avec des tarifs révisés et plus compétitifs.  D’ici les cinq prochaines années, des compagnies comme Kenya Airways ou encore le leader africain du secteur Ethiopian Airlines devraient sensiblement augmenter leurs vols directs sur le continent, à des tarifs plus abordables. La relecture des tarifs pratiqués par les Etats africains est également vivement attendue. 

Un renouveau du secteur grâce au marché unique du transport aérien : Afin de profiter de cette embellie à venir, de nombreux acteurs locaux ont, depuis le lancement du projet de marché unique du transport aérien, annoncé leur intention de démarrer leurs activités à travers tout le continent pour une couverture optimale du marché.

L’Éthiopie est l’un des pays africains qui semble le plus désireux d’exploiter cette opportunité. La compagnie aérienne d’État qui est la seule compagnie aérienne africaine rentable et qui possède l’une des meilleures liaisons à travers le continent, envisage d’y développer davantage ses activités. L’Éthiopie investit également massivement dans un nouvel aéroport, ainsi que dans l’agrandissement de l’aéroport actuel à l’extérieur d’Addis-Abeba. Plusieurs autres compagnies se sont alignées sur cette opportunité. En août dernier, le gouvernement zambien a annoncé qu’il relancera les activités de la Zambia Airways, sa compagnie aérienne nationale qui a suspendu ses activités depuis les années 90. Une enveloppe de 30 millions de dollars sera nécessaire pour réaliser ce projet.

Pour sa part Kenya Airways a annoncé en mars 2018 qu’il prévoit de desservir 20 nouvelles destinations en Afrique, en Europe et en Asie, au cours des cinq prochaines années. En août dernier, la ministre ghanéenne de l’aviation, Cecilia Dapaah a déclaré que le gouvernement a entamé des négociations avec des partenaires étrangers pour le lancement d’une compagnie aérienne nationale. Autant d’initiatives qui devraient (enfin) ouvrir le ciel africain aux Africains.

Ecofin

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