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Quelle place pour l’entrepreneur dans la société Algérienne ?

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Bien que son rôle dans l’économie ait connu beaucoup de progrès au cours des dernières années, l’entrepreneur demeure une figure récente dans la société algérienne. Son poids dans la production, le commerce et l’échange extérieur progresse de manière significative, comme en témoignent les chiffres publiés par différents organismes de statistiques. De nos jours, à titre d’exemple, l’essentiel du commerce extérieur représente 58% du PIB (2016, Banque mondiale) est assuré par le secteur privé ainsi que la création d’emplois où le privé intervient à hauteur de 60% dans l’emploi total (ONS).     

 La production nationale se privatise de plus en plus en partie grâce aux vagues successives de privatisation initiées par le gouvernement, mais aussi par la création de nouvelles entreprises par le secteur privé.

 Le secteur privé a enregistré également une progression en terme d’impact politique, puisque la plus importante association d’entrepreneurs (FCE), comme il nous a été donné de le constater, à maintes reprises, est écoutée et possède une voix certaine au chapitre. Le Forum des Chefs des entreprises est d’ailleurs devenu depuis très peu un syndicat patronal à part entière.  Il n’existe pas d’études sur le poids du patronat en Algérie, mais en Europe, un rapport[1] a montré que les grands groupes ont une influence au moins sept fois plus importante sur la vie politique européenne que les organisations dites de la « société civile ».

Cependant, en dépit de ces avancées, la place de l’entreprenariat dans la société reste ambigüe voire contradictoire. Si une partie de la société reconnait à l’entrepreneur une place d’acteur privilégié au service de la communauté vu son apport à l’enrichissement de la nation, l’autre partie n’hésite pas à le descendre en flammes en le qualifiant de parasite, de traficoteur, de corrompu, etc.  Les qualificatifs n’en manquent pas.

 Évidemment,  chaque partie essaie de se justifier et d’argumenter sa sentence, beaucoup de malentendus demeurent à cause d’un déficit de communication qui a donné lieu aux clichés et aux stéréotypes. La société Algérienne est-elle peu sensible à l’esprit d’entreprendre ? Le système de valeurs morales et politiques est-il est un frein au développement entrepreneurial ?

 Dans ce papier, la différence béante entre l’entrepreneur, le riche, le chef d’entreprise, le patron n’est pas traitée avec toute la rigueur qu’il lui faut.

Quels sont les arguments  qu’avancent les uns et les autres ?

 Pour ceux qui attribuent des vertus au rôle de l’entrepreneur, ils arborent le fait que l’entreprenariat ait contribué, aux côtés d’intellectuels et de philosophes, d’une manière décisive à l’émergence d’une nouvelle organisation humaine et enclenché un vrai processus de développement économique et social. Durant les trois siècles derniers, l’entreprenariat est au cœur du processus de transformations économiques et sociales. Aux États Unis, ce sont des entrepreneurs qui ont lancé les premières lignes de chemin de fer, des compagnes d’électrification, des lignes commerciales…

a) Les entrepreneurs facilitent la vie des gens par leurs innovations. Ces dernières peuvent aller d’une innovation de produits, c’est à dire par le lancement d’un nouveau bien ou service, d’une innovation de procédés avec l’introduction d’une nouvelle méthode de production comme le Toyotisme par exemple, jusqu’à  l’innovation en matières premières, où on va créer ou découvrir de nouvelles matières premières à l’instar du gaz de schiste.

 L’entrepreneur est alors apprécié pour les solutions et les facilités qu’il apporte à nos difficultés quotidiennes au même titre qu’un médecin traite nos maladies. Il crée de la richesse et transforme notre vie.

 Il participe également à dégager ,grâce à toutes ces innovations, des ressources supplémentaires qui vont permettre de s’organiser en tant que communauté nationale, de disposer d’un système de sécurité sociale, d’une défense, etc.

 Ce rôle est encore présent dans les sociétés industrialisées et dans les nouvelles économies émergentes.

b) Pour la deuxième catégorie qui nous intéresse le plus, un passage en revue de ses arguments, nous permet de la scinder en trois catégories : des arguments soutenus par des faits, des arguments fondés sur des idées reçues et d’autres qui relèvent de la culture sociale ambiante.

 Commençons par ce qui est fondé sur des faits. La presse nationale rapporte de manière quasi quotidienne des scandales liés à la corruption impliquant des fonctionnaires, de hauts responsables politiques à tous les niveaux ainsi que certains chefs d’entreprises. A force de soumettre l’opinion publique à un matraquage médiatique lié à la corruption, on finit par générer des impacts sur elle à même de lui forger des certitudes à fortiori, s’il n’est pas suivi par des enquêtes sérieuses. N’ayant pas la possibilité de vérifier le faux du vrai, conjuguée à un mauvais jugement porté sur la justice, l’opinion publique finit par tout gober. Elle se résigne à croire que tout est le fruit de la corruption. On ne croit plus à l’existence d’honnêtes gens. On met tout dans le même sac. Le fruit pourri contamine le reste et c’est son odeur qu’on ressent le plus, puis les gens n’ont plus d’énergie pour faire l’effort de décernement. Ils tombent dans la facilité et finissent par jeter toute la caisse, car il y a un fruit pourri et nauséabond dedans. Ce phénomène est bien connu.

 Certains avancent l’idée que les riches sont des corrompus qui ont gagné leur argent par des voies détournées. Entreprises publiques acquises au dinar symbolique, marchés publics attribués par complicité, position de monopole acquise grâce à des soutiens occultes, etc.

 Ces idées ont prospéré car les médias ne parlent pas du train qui arrive à l’heure mais plutôt de celui qui est en retard.  Les médias ne rapportent  pas l’information liée aux milliers d’honnêtes gens qui se lèvent tôt chaque jour pour faire face à des journées longues, marquées par des difficultés de toutes natures. Beaucoup d’entrepreneurs subissent les affres de la vie quand leur business tourne mal. Ils sont soumis à une pression constante venant des salariés, des partenaires économiques, de l’État, des banques. La liste est longue.

 Le principal biais de cette attitude est de considérer que l’entrepreneur se réduit à la poignée de gens influents visibles dans les médias ou qui tournent autour du sérail.  Il est commis ici la même erreur de jugement; que celle qui prend tous les joueurs de football pour d’hyper riches, qui touchent tous les mêmes pactoles que ceux gagnés par des joueurs de la Premier League. La réalité montre qu’en dehors des séries d’élites, la grande partie des joueurs évoluant dans les catégories inférieures, ne subsistent pas  du seul fait de jouer au football. De même que tous les joueurs de football ne sont pas tous riches, les entrepreneurs ne le sont pas.

 L’autre catégorie couvre tout le spectre de gens qui s’opposent à l’entreprenariat, aux privés et aux riches pour des raisons idéologiques. En France, Jean-Luc Mélenchon s’est écrié  « Qu’ils s’en aillent tous, les patrons hors de prix, les sorciers du fric ». Cette prise de becs s’est nourrie de la colère de millions de gens des couches moyennes pour qui les difficultés quotidiennes  vont crescendo. Mais elle est aussi le fait d’une vision idéologique de ce Monsieur dans laquelle,  les riches n’ont pas de place. Il s’agit d’un meuble qui n’a pas de place dans le décor idéologique que compte mettre en place cet homme de gauche.

 Il est vrai que certains riches s’exposent un peu trop ou des responsables politiques leur accordent des mesures fiscales favorables au détriment des couches moyennes. Il est aussi vrai que certains des contempteurs des riches sont envieux ou aigris, mais la relativisation doit primer et le débat restera objectif et serein.  Mais cette problématique doit tours être traitée avec sang froid, car elle est déterminante pour l’avenir économique du pays.

 En Algérie, la richesse est attribuée au pétrole pas aux efforts des hommes. Il en découle que si un homme possède trop, ce n’est pas parce qu’il a travaillé dur, mais parce qu’il a su tiré son épingle du jeu. Il a su capter plus de rente que les autres. On capte la rente par ses connaissances, non pas par ses efforts.

 Or même les fonctionnaires n’ont pas atteint leur position par le simple jeu de leurs compétences. Il y a d’autres facteurs qui interviennent dans le processus de leur promotion. Ce qui ne doit pas ramener à soumettre tous les fonctionnaires au même jugement. Ces positions sont également à nuancer.

Des réalités sur les entrepreneurs.

 Les entrepreneurs ne sont pas tous riches. Des entrepreneurs pauvres existent car, à un certain moment, ils n’ont pas pris de bonnes décisions. Certains sont déprimés ou carrément mis un terme à leur vie. D’autres qui ont fuit les incertitudes et les tracasseries liées à leurs métiers pour se caser dans des postes de fonctionnaires. Certes pas rémunérateurs, mais ils offrent plus de sécurité. Certain(e)s sont devenu(e)s fonctionnaires, car après leur échec, ils n’ont pas pu rebondir.

 Signalons aussi qu’il existe ces nombreux riches à la fibre sociale, des chefs d’entreprises qui partagent leurs bénéfices avec leurs salariés ou d’autres qui viennent en aide aux personnes diminuées à travers de multiples activités caritatives. Ces réalités, pour des raisons psychologiques, sont moins visibles. Un entrepreneur riche qui passe dans sa limousine est plus visible qu’un autre déchu qui fait la manche sur le trottoir.

Que faire face à cette réalité ?

 Pour corriger cette image qu’on colle à l’entrepreneur, il y a d’abord un effort de sensibilisation à l’égard de l’entreprenariat lui-même. Pour ne pas être accusé de corrompu, il faudrait simplement engager des actions fortes de lutte contre ce phénomène. Nous l’avons vu dans certaines sociétés où des entrepreneurs eux mêmes dénoncent la corruption et refusent d’y être impliqués d’une manière ou d’une autre.

 Comprenant sa responsabilité sociétale, à l’entrepreneur de s’imposer une certaine ligne de conduite pour se protéger de toutes actions pouvant porter atteinte à son intégrité morale ou à l’image de marque de son business.  La promotion de ce modèle  d’entrepreneurs par les organisations patronales et le fait que ces dernières se démarquent des entrepreneurs vireux, ce qui permettrait à coup sûr de rétablir l’image de l’entreprenariat dans la société.

 Il est vrai que la classe d’entrepreneurs au sens Schumpetérien du terme reste non identifiée, voire inexistante. C’est-à-dire un agent dont la fonction essentielle est d’innover, de mettre en œuvre des combinaisons nouvelles : « Son rôle consiste à réformer ou à révolutionner la routine de production en exploitant une invention ou plus généralement une possibilité technique inédite ».

 La clé de la réussite est la coopération entre les différents acteurs qui constituent la société, chacun dans son domaine, sans exagérer l’importance des agents, mais sans les diaboliser non plus, est possible si l’on envisage une série d’actions qui se répètent entre les agents, et que le jeu de la coopération s’établit en fonction d’une norme de réciprocité.

 Les innovations sociales sont aussi issues des actions personnelles de l’entrepreneur social qui agit dans les associations. L’entrepreneur doit, comme tout autre acteur de la société, s’impliquer dans les différentes communautés. Participer à définir les valeurs substantielles plutôt que procédurales, et notamment en vue d’influencer les liens sociaux qui engagent des relations signifiantes. Plus la société civile est organisée, plus les normes sociales participent à régler les conflits d’une manière pacifique et optimise l’usage des services de la communauté.

 Les êtres entrepreneurs, à l’instar des autres acteurs, ont besoin d’un environnement régulé et d’un ordre social établi qui ne soient pas pour autant envahissants. En retour de leur implication dans la société civile, il y a des obligations morales des membres et aussi des liens d’affection qui naissent. Pour maintenir cet environnement, un travail de moralisation de l’entreprenariat doit être engagé en permanence pour éviter tout recours à la coercition.

Bien qu’il soit le moteur de l’économie, l’entrepreneur, ou le riche d’une manière générale, inspire la méfiance qui peut aller jusqu’à la haine pour des raisons multiples. Son rôle peut être constructif, si l’environnement est sain, c’est-à-dire doté de régulation équilibrée et pertinente. Il peut être contreproductif, s’il devient un entreprenariat de copinage qui ne se joue pas sur l’arène neutre du marché avec des règles claires, mais dans des salons et se décide par la proximité mal saine avec les cercles du pouvoir.

 Ce qui se dit à propos de l’entreprenariat pourrait être dit à propos de la presse, du syndicalisme, du football… Pour faire simple, de toutes les corporations. Une action de moralisation doit être constante, puis assurer une surveillance et un contre-pouvoir.

 Il existe plusieurs voies pour devenir riche : par son talent, en faisant partie des cadres  dirigeants de grandes entreprises, par héritage, par l’optimisation ou fraude  fiscale, par pantouflage… Ce qui pourrait être mis en cause, ce n’est pas la position en soi, mais plutôt la voie empruntée.

 La culture entrepreneuriale, au même titre que la construction nationale, passent par plusieurs étapes et nécessite des efforts, de l’engagement et de la patience.  Les quelques entrepreneurs vireux ne doivent pas nous détourner de cette classe sans laquelle l’émergence d’une économie sera retardée, avec elle la consolidation de la nation dans la paix et la stabilité.

 Le monde de l’argent d’une manière générale, suscite des craintes et déchaine des passions dans toutes les nations depuis des millénaires. Il en est de même en Algérie.  Il doit être appréhendé avec sérénité. Le mieux on le comprend, le plus on progresse.

 Dans son ensemble, la société doit rester lucide et faire la part des choses en refusant de céder à la facilité. L’Entreprenariat de son côté, doit œuvrer à protéger son image des aventuriers qui cherchent l’enrichissement immédiat en faisant fi des règles morales élémentaires.

M. Zerourou K.Yahia

[1]Intitulé « La Puissance de feu du lobby financier » et publié le 9 avril 2014, le rapport sur la force du lobby de la finance en Europe a été réalisé par l’Observatoire des entreprises européennes et deux syndicats autrichiens. Intitulé « La Puissance de feu du lobby financier »

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