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le privé algérien se complaît dans le cocon familial

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Nées à la faveur d’initiatives d’un ou plusieurs membres d’une même famille, les entreprises privées restent volontiers dans le cocon familial qui leur assure la sécurité des capitaux mobilisés et la permanence de l’entraide mutuelle. Quelques initiatives d’ouvertures à des  partenaires étrangers à la famille ont certes commencé mais elles ne sont pas légions, l’entrepreneur privé algérien préférant faire prospérer ses affaires dans l’intimité du cercle familial qui lui a fourni les premiers apports à investir et dont il se sent éternellement redevable. La réussite indiscutable de nombreux groupes privés algériens et étrangers, les confortent dans la conviction que l’entreprise familiale est la forme d’organisation qui convient le mieux aux us et coutumes des algériens.

Le capital de départ pour la création d’une entreprise privée prend en effet généralement sa source dans la proche famille du promoteur ou celle de son épouse. Les personnes concernées mettent à la disposition du parent qui a pris l’initiative de fonder une entreprise, une part de leurs économies ou, pour ceux qui sont déjà dans les affaires (informel y compris), des moyens matériels et financiers plus conséquents pour l’aider à démarrer du mieux possible. Ces contributions familiales peuvent se traduire en prêts sans intérêt, en mises à disposition de locaux et, quelques fois même, en concours gracieux (dons, octroi gratuit d’outils et moyens de production etc.). Les membres de la famille du promoteur sont généralement peu regardants sur la légalité de l’entreprise que le proche parent s’apprête à créer. Peu importe que l’entreprise soit légalement constituée ou qu’elle s’inscrive dans l’informel, seule compte l’étroitesse des liens familiaux qu’ils entretiennent avec le promoteur apparenté. Leur aide multiformes lui est d’avance acquise et sa réussite, qu’ils mesurent en termes d’accumulation d’actifs et de recettes financières, est perçue comme étant la réussite de toute la famille.

Si les entreprises légalement constituées ont statistiquement pris le pas sur les affaires non déclarées, ces dernières restent, non seulement,  nombreuses, mais aussi et surtout, très étroitement liées aux opérateurs légaux. Les échanges mutuels entre ces deux types d’entreprises sont permanents et il n’est, à titre d’exemple, pas rare de voir des magasins de prêt-à-porter légalement inscrit au registre de commerce s’approvisionner auprès d’importateurs informels de vêtements qui leu sont généralement apparentés. Sous différentes manifestations, des pratiques informelles multiformes auraient même tendance à gangréner le commerce légal. Il n’est en effet pas rare que des boutiques ayant pignons sur rues se transforment en marché informel de devises ou en lieux de ventes d’articles introduits frauduleusement en Algérie (téléphones portables, divers produits contrefaits etc.). Il est également courant que ces derniers s’adonnent, comme au temps des monopoles de l’Etat, à la spéculation et autres formes de commerce clandestin, à la faveur de pénuries conjoncturelles ou chroniques qui ont souvent ponctuées l’histoire du commerce algérien.

S’il est vrai que le financement d’origine familial a beaucoup contribué à l’essor démographique des entreprises privées, l’accumulation à grande échelle du capital entrepreneurial a, de toute évidence, résulté des aides et protections multiformes dont ont bénéficié les quelques producteurs et distributeurs autorisés à activer du temps où le « privé exploiteur » n’avait pas droit de cité. Le privilège d’exercer octroyé à ces opérateurs privés tout au long de cette période ponctuée de ruptures de stocks et autres dysfonctionnements commerciaux, a offert à ces acteurs des rentes de situation dont on ne mesurera l’ampleur qu’après la mise en œuvre de réformes économiques libérales qui leur offriront l’occasion de les mettre en évidence à l’effet de promouvoir dans la légalité de nouvelles affaires.

En dépit des nombreux obstacles que les administrations franchement hostiles ne manquaient pas de leur dresser, les quelques rares industriels privés autorisés à activer durant l’ère socialiste avaient, en effet, l’inestimable avantage d’avoir à leur disposition des segments entiers du marché algérien qui bénéficiait en ce temps là d’une protection douanière telle, que les produits étrangers devenus trop chers avaient peu de chance d’y être écoulés. Cet avantage que l’adhésion à la zone de libre échange euro-méditerranéenne fera disparaître à la faveur du démantèlement tarifaire, fera la fortune des industriels et distributeurs privés algériens qui, avant cette ouverture à la concurrence étrangère, n’avaient même pas besoin de pousser à l’extrême leurs capacités de production, ni même de veiller à la qualité de leurs produits, tant les consommateurs, très mal servis, étaient disposés à acheter n’importe quoi et à n’importe quel prix.

Les pénuries générées par les dysfonctionnements des ex monopoles et la gestion bureaucratique du commerce extérieur feront, également, le lit de pratiques commerciales illicites à la faveur desquelles elles amasseront d’importantes fortunes qui prendront diverses destinations, à commencer par l’acquisition de biens immobiliers, les placements à l’étranger par le truchement du marché parallèle de la devise et la création d’entreprises généralement confiées à la fratrie, les mères et les sœurs y compris. Le plus gros des capitaux familiaux sera toutefois investi dans un large éventail d’activités ayant trait au commerce de matériaux de construction, la vente en l’état de véhicules automobiles, la pièce détachée, l’outillage, les équipements et consommables informatiques, la téléphonie mobile, le transport, le fast-food ainsi que les vêtements, les meubles et l’électroménager. Depuis la mise en œuvre de l’accord d’association avec l’Union Européenne, il est, par ailleurs, loisible de constater à travers la floraison d’enseignes de sociétés étrangères dans pratiquement toutes les grandes villes du pays, que la jonction entre le capital privé national et le capital privé étranger est largement entamée, au moyen des franchises, concessions et autres formes de partenariats quand bien même la loi de finance complémentaire pour l’année 2009 aurait quelque peu refreinée les ardeurs des investisseurs étrangers. 

Sans que rien ne les y prépare, les détenteurs de capitaux familiaux peuvent, du jour au lendemain, se convertir des métiers de restaurateurs ou de simples boutiquiers en ceux, autrement plus complexes, de marchands de téléphones mobiles agents immobiliers, éleveurs de poulets industriels, concessionnaires automobiles ou toutes autres activités susceptibles de générer des gains rapides et substantiels. Cette transhumance d’une activité à l’autre est d’autant plus aisée que la législation algérienne sur l’investissement ne fait pas obligation aux promoteurs de mettre en évidence l’origine de leurs capitaux. Leurs traçabilités est d’autant plus difficile à établir qu’en Algérie les paiements s’effectuent généralement en argent liquide et, le plus souvent, en dehors des circuits bancaires. Même si elle n’est pas le lot de tous les acteurs du secteur privé, cette manière d’entreprendre dans l’opacité et à la limite de l’illégalité, forgera une piteuse image du secteur privé algérien, qu’une importante frange de la société considère aujourd’hui encore comme un repaire d’escrocs agissant bien souvent en familles ; On est ainsi bien loin de l’image autrement plus valorisante de créateurs de richesses et d’acteurs dont, fort heureusement, bon nombre d’entrepreneurs  algériens peuvent se prévaloir.

Cette image détestable du privé est malheureusement corroborée par le fait que nombreux entrepreneurs privés agissant seuls ou en familles, aient abandonné les activités de production qui les valorisaient dès que l’opportunité d’importer s’est offerte à eux. Mais là ou le privé algérien a terni sans doute le plus son image de marque, c’est lorsqu’il a commencé à s’adonner au marché informel de la devise. Qu’il soit offreur ou demandeur de devises, le privé est depuis perçu comme un trafiquant auquel on n’hésite pas à attribuer tous les déboires de notre économie en devenant, entre autres, le bouc émissaire de la dépréciation du dinar. Ce flou sciemment entretenu entre ce qui est légal et ce qui ne l’est pas, donne aux opérateurs privés le sentiment d’agir en toute légalité jusqu’au jour où, pour une raison ou autre, il leur est reproché d’avoir enfreint, selon les cas, à la législation des changes, au code des douanes, aux règles prudentielles de la Banque d’Algérie et autres infractions qui peuvent leur valoir de lourdes peines.

Les procès retentissants qui leur sont parfois intentés les livrent alors à l’opinion publique comme de potentiels délinquants. Servis comme des exemples à méditer, ces procès ont pour objectif de faire prendre consciences aux entrepreneurs, mis en situation de sursis permanent, de leur extrême fragilité vis-à-vis du pouvoir politique qui peut du jour au lendemain les réduire à néant en actionnant les tribunaux. Au gré des enjeux politiques du moment, il peut en effet laisser faire ou « frapper fort », en mettant en branle ses instances de contrôle et de répression, susceptibles de transformer du jour au lendemain un entrepreneur respectable et sa famille, en d’infréquentables parias.

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