AccueilContributionsVéritable gouffre financier pour l’Algérie : Les réévaluations sont-elles une fatalité ?

Véritable gouffre financier pour l’Algérie : Les réévaluations sont-elles une fatalité ?

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Cent soixante dix huit (178) milliards de dinars, soit prés du quart du budget total alloué au secteur des travaux publics, seront réservés en 2018 aux seules réévaluations des programmes publics en cours de réalisation et d’appels d’offres. Ils étaient tout aussi importants en 2016 et en 2017, mais c’est en 2015 qu’ils avaient atteint le record absolu avec pas moins Sept cent soixante milliards de dinars (760), soit environ 40% du budget du secteur concerné.

Ce sont des autorisations de programmes qui signifient l’accord de principe de l’Etat à prendre en charge des dépenses supplémentaires, non encore budgétisées. Un accord qui ne deviendra toutefois effectif qu’après mises à disposition des maîtres d’ouvrages de crédits de paiement confirmant la disponibilité de ressources budgétaires suffisantes

La désinvolture et les errements des maîtres d’ouvrage et des bureaux d’études chargés de concevoir, d’évaluer de confier ces projets aux entreprises de réalisation, feront ainsi perdre à l’Etat et, par conséquent aux contribuables, près de 920 milliards de dinars uniquement durant ces quatre dernières années. De quoi réaliser l’équivalent de deux autoroutes Est-Ouest en prenant comme référence le montant contractuel initial (8 milliards de dollars).

Au gré du temps et des larges disponibilités financières, la pratique des réévaluations est devenue récurrente, au point où les autorités algériennes ont fini par la considérer comme une fatalité imposant d’allouer chaque année des rallonges budgétaires conséquentes.

Selon l’ampleur, la consistance et la localisation des projets, il faut en effet savoir que ces derniers sont identifiés, confiés en étude et financièrement évalués par les techniciens des ministères concernés, les exécutifs de wilaya ou les services techniques des APC bien souvent assistés par leurs tutelles administratives.

Ces instances souffrent malheureusement toutes d’insuffisances en matière d’ingénierie.

Des insuffisances aggravées par un « droit à l’erreur » qui favorisent l’amateurisme et l’irresponsabilité chez les techniciens, convaincus  que leurs errements en matière de projections de coûts de la construction seront automatiquement corrigés en cours de réalisation par de généreuses réévaluations qu’il suffira de demander.

Les réévaluations des coûts de la construction trouvent en réalité  leurs origines dans tout un faisceau de déterminismes, parmi lesquels, on peut citer les révisions et actualisations périodiques de prix, autorisées par le code des marchés publics dès lors que la durée du chantier dépasse une année.

Ces rallonges autorisées par la loi (code des marchés publics) servent à compenser les pertes résultant de l’augmentation des prix des matières premières et de la main d’œuvre. Ce sont des droits contractuels que se dépêchent de faire valoir pratiquement tous les entrepreneurs, à moins qu’une clause contractuelle imposée par les maîtres d’ouvrages ne l’exclue expressément. Les entrepreneurs peuvent ainsi empocher, selon les cas, entre 5 et 8% du montant initial du marché.

Il y a également, les travaux supplémentaires qui commencent souvent dès  le démarrage du chantier par une augmentation sensible du volume des terrassements, généralement facturé « au métré ». Ces derniers peuvent rapporter gros au gré des imprévus induits par relevés topographiques erronés, des d’études de sol bâclées ou des terrains réservant des « mauvaises surprises ».

Ces travaux additionnels sont généralement classés dans la rubrique fourre-tout intitulée « travaux imprévus », dans la quelle on retrouve tous les correctifs et ajouts apportés aux plans initiaux sur la base desquels on avait calculé le montant du projet. Les factures à ajouter au budget initial, peuvent dans certains cas, s’avérer très lourdes.

L’autre cause et, non des moindres, des réévaluations réside, on l’a compris, dans la reprise de chantiers longtemps abandonnés. Et ils sont malheureusement nombreux. Le budget d’un chantier qui redémarre après 5 années d’arrêt peut en effectivement « exploser » uniquement sous l’effet mécanique de l’inflation.  Inscrits dans la précipitation sur la base d’études et d’évaluations financières souvent bâclées, ces projets posent effectivement problèmes tant au niveau de leur mise en adjudication, qu’en cours de travaux.

Généralement sous évalués au moment leur inscription dans les programmes nationaux ou régionaux de développement, bon nombre de projets éprouvent effectivement des difficultés à trouver des entreprises répondant aux conditions de prix, de qualité et de délais. Les appels d’offres sont souvent infructueux et la quête de bons adjudicataires rallonge parfois excessivement la procédure d’appel d’offre. Les prix des matériaux de construction et de la main d’œuvre en constantes augmentations seront automatiquement répercutés sur le coût des constructions, par le truchement des formules d’actualisations et de révisions intégrées dans pratiquement tous les contrats de travaux.

L’ampleur des dégâts est telle qu’il est aujourd’hui temps de se pencher sur cette boulimie de réévaluations qui coûte, bon an mal an, entre un milliard et un milliard et demi de dollars chaque année au pays. C’est un mal qui affecte sans discontinuité la mise en œuvre des programmes de développement depuis les années 1970, années au cours desquelles l’Etat aurait englouti, selon les estimations, l’équivalent de 20 milliards de dollars pour reprendre les chantiers du métro d’Alger, de la nouvelle aérogare de Dar El Beida et autres bâtiments en carcasses abandonnés au lendemain de la crise financière de 1986.

Les autorités algériennes n’ont apparemment pas tiré de leçon de cette crise, puisque la problématique des estimations de projets reste malheureusement, aujourd’hui encore, posée dans les mêmes termes que par le passé, avec des répercussions tout aussi désastreuses sur les finances publiques. L’ingénierie des projets continue en effet à s’opérer avec autant d’amateurisme et de désinvolture, les techniciens évoquant, chaque fois qu’on leur en fait le reproche, l’urgence et les délais trop courts que leur accordent les maîtres d’ouvrages pour concevoir l’ingénierie des projets.

On leur promet même qu’ils auront plus tard tout loisir pour en corriger les imperfections, quitte à ce que cela se répercute négativement sur le budget de l’ouvrage, les réévaluations étant, leur affirment-ils, faites pour ça. C’est de cette mentalité qui prévaut aujourd’hui encore, aussi bien, chez les maîtres d’ouvrages, que chez les maîtres d’œuvres,  que résulte cette profusion de réévaluations qui saignent le pays.

Les mêmes causes produisant les mêmes effets, tout porte à croire que les coûts de réalisation des équipements publics ne seront pas maîtrisés de si tôt. Les errements des maîtrises d’œuvres et d’ouvrages continueront à coûter chers à la nation sans que nos gouvernants ne s’en émeuvent et consentent à prendre les mesures qui s’imposent en pareils cas. Le déclin des recettes budgétaires les incitera t il à être moins complaisants à leur égard?

Aucune mesure concrète n’étant été à ce jour envisagée ne serait ce que pour édicter les conditions et les procédures de dépassements des budgets alloués à la réalisation de programme publics, tout porte à croire que les réévaluations seront pour longtemps encore admises comme un mal nécessaire, une fatalité structurelle avec laquelle les l’Etat et les collectivités locales devront nécessairement composer.

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