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Messaoud Belambri, président du Snapo : « Nous comptons pas moins de 60 à 70 produits essentiels en rupture »

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Dans cet entretien le président du Syndicat national des pharmaciens d’officines (Snapo) M.Belambri revient sur des sujets d’actualité qui alimentent le secteur des médicaments. Le sujet le plus évoqué est celui de la pénurie des médicaments. Selon M.Belambri, la crise persiste et la perturbation ne touche pas seulement les produits importés, mais aussi ceux fabriqués localement. Le Snapo a alerté, selon lui, le ministère de la santé et le premier ministère à ce sujet. Il présente des chiffres inquiétants en parlant de pas moins de 60 à 70 produits essentiels en rupture, et cette liste s’étend parfois jusqu’à 140.

Algerie-Eco : L’industrie pharmaceutique est l’une des rares filières à avoir gagné des parts de marché substantielles face aux importations. Pourquoi à votre avis?

M.Belambri : Effectivement c’est une filière qui a connu une grande dynamique. Jugez-en par les chiffres officiels : plus de 80 unités industrielles de production en activité, et 150 en cours de réalisation. Une croissance annuelle de 17% à 19 %. Avec une liste de médicaments fabriqués localement et interdits à l’importation de 358 DCI (dénomination commune internationale), et qui correspond plus exactement à  1596 médicaments remboursables sur un total de 2029 produits localement. C’est plutôt cette mesure de protection qui a encouragé l’investissement dans ce domaine. On parle donc actuellement de taux qui vacillent entre 50 et 60% d’autosuffisance locale en valeur ou en volume. Certains s’inquiètent de la saturation du secteur, car les unités qui vont venir rejoindre la production, risquent de se retrouver à produire les mêmes produits déjà fabriqués. D’où la nécessité de réfléchir dès maintenant à la variété des produits, mais surtout aux perspectives d’exportation. Et à ce sujet, il y a encore beaucoup de choses à faire, car nos industriels ne peuvent pas conquérir le marché extérieur sans l’aide de l’Etat. Il y a toute une culture, et toute une stratégie, à mettre en place. Cette question est très importante pour l’avenir de notre pays. Réaliser l’exportation de produits fabriqués localement vers l’étranger, est une question vitale pour notre avenir, car il faut sortir de notre dépendance aux recettes liées aux hydrocarbures. Tous les spécialistes s’accordent à dire que des réformes doivent être opérées de manière rapide sur plusieurs plans, et ceci impliquent plusieurs ministères : l’industrie, les finances, le commerce, la santé, etc..nous insistons surtout sur la rapidité de la réaction, ce sont des réformes qui ne peuvent pas attendre, le tissu industriel est en train de se renforcer de manière rapide, donc la production va bientôt être effective, et d’un autre coté, à l’international, et même au niveau régional, la concurrence est rude dans ce domaine, c’est à qui arrivera le plus vite sur place qui raflera les parts de marché.

Mais pour revenir à l’industrie locale,  Il faut savoir que quels que soient les efforts fournis, et les capacités de production, il y aura toujours des limites techniques et technologiques pour la fabrication de certains produits, qui restent la propriété  des détenteurs des brevets, ou tout simplement pour des raisons scientifiques de compétence et de moyens. L’industrie pharmaceutique reste un domaine très pointu, et où souvent on ne peut pas produire tout ce qu’on veut même si on dispose des structures ou de moyens financiers. Les produits de biotechnologie, les produits innovants, restent tributaires de certaines conditions que de nombreux pays dans le monde ne pourront jamais relever. Ceci revient à conclure, que l’autosuffisance aura toujours un plafond que nul ne pourra dépasser, elle se situe inévitablement entre 70 et 90%. Et vu la cherté des médicaments innovants importés, ce taux risque de descendre car le prix de certains produits pèsera sur le budget global de la facture du médicament. Il y a des médicaments qui ne sont fabriqués que dans une seule usine dans le monde, et même les pays les plus développés et les plus avancés dans le domaine pharmaceutiques importent une bonne quantité de leurs médicaments. Aucun pays ne peut fabriquer tous ses besoins en produits pharmaceutiques.

Plusieurs officines de garde réclament un renforcement de la sécurité. Est-ce que leur appel est pris en considération?

La garde est une obligation pour tout professionnel de la santé, que l’exercice soit à titre privé ou sein du secteur public. Et le problème de sécurité se pose au niveau des deux secteurs. Les établissements hospitaliers sont souvent la scène d’agressions, et du personnel de sécurité y est employé a plein temps, ou détaché par la sureté nationale sur place.

Au niveau des officines pharmaceutiques, un service de garde est assuré, de jour comme de nuit, il y a de nombreuses zones et localités où cette garde ne peut pas être assurée pour des raisons évidentes de sécurité. D’autant qu’une officine se retrouve dans des secteurs en total isolement sans aucune protection. Le problème sécuritaire se pose aussi bien le jour que la nuit, les agressions sont quasi quotidiennes et ce même lors de l’exercice régulier de  jour. Les officines sont des cibles de choix pour la sensibilité de certains médicaments et produits détenus, ou tout simplement pour le vol de matériels utilisé (caisses enregistreuses, matériel et accessoires informatiques, vol d’argent..). et concernant les gardes de nuit, à partir d’une certaine heure, il est impossible aux pharmacies de travailler portes ouvertes, nous avons été obligés d’aménager des guichets spéciaux, ou de travailler derrière un bardage, sans compter le renforcement de la présence du personnel en nombre pour dissuader les agresseurs. Certains pharmaciens sollicitent la présence de leurs confrères et amis, ou membres de leurs familles, sinon même le personnel des autres officines. Les pharmaciens ont fortement investi dans la télésurveillance et les alarmes de sécurité. Les agressions à l’arme blanche, les menaces et violences verbales, des individus suspects  en état d’ébriété, etc.. font que nous assurons souvent ces gardes dans des conditions très difficiles et traumatisantes physiquement et moralement. Une mission accomplie dans la peur et le risque.

On ne demande pas de nous placer des policiers à chaque officine, mais plutôt des interventions rapides en cas d’appel, et des rondes effectuées par la sûreté de manière régulière au niveau des pharmacies de garde. Ceci rassurera les pharmaciens, et dissuadera les éventuelles personnes mal intentionnées.

Le Syndicat National Algérien des Pharmaciens d’Officine bureau de Relizane a organisé  sa 1 ère journée pharmaceutique le Mercredi 20 Septembre 2017,  sous le thème : «  Pharmaciens et Psychotropes entre science et consciences, une délivrance aux forceps. Pourquoi ce thème? »

Ces journées que nous inscrivons dans le cadre de notre programme de formation et d’information, permettent aux pharmaciens de mettre à jour leurs connaissances, car nous sollicitons de nombreux experts pour ces conférences. Et en cette période allant de septembre à décembre 2017, nous avons programmé cinq  journées de formation : Relizane en septembre, Tipasa et Bouira en octobre, Sidi Belabes en novembre, et enfin Alger en décembre. Le bureau national se réunit la semaine prochaine pour arrêter le programme de l’année 2018.

La journée de Relizane a eu comme thème principal « les psychotropes », car nous voulions le traiter sur tous les aspects réglementaires, techniques, sécuritaires, sanitaires, et administratifs.

Le pharmacien est le seul habilité sur le plan réglementaire à détenir et dispenser ces produits. Entre différents textes de loi qui réglemente cette gestion, et difficultés rencontrées au quotidien, il était nécessaire d’entamer un débat sur ce sujet. Les psychotropes sont des médicaments indispensables pour soigner et guérir, et malgré les risques sur le plan pénal et sécuritaire, il est de notre devoir en tant que professionnels de santé, de les mettre à la disposition des patients. La santé mentale est une des grandes priorités du système de santé en Algérie, et nous devons y contribuer en assumant nos responsabilités qui nous sont confiées par la réglementation et l’autorité sanitaire.

Au cours des dernières années, les pharmaciens ont eu d’énormes difficultés en rapport avec la gestion de ces produits. De nombreux confrères et consœurs se sont retrouvés derrière les barreaux de manière totalement innocente. La majorité des pharmaciens détenus à titre préventif ou condamnés en première instance, ont fini par être totalement innocentés et relaxés. Dans ce domaine, un énorme vide juridique faisait que nous sommes arrivés à un état de psychose général au sein de la profession. Des pharmaciens ne voulaient plus commercialiser ces produits psychotropes, et d’autres voulaient même arrêter leur activité et céder leurs officines. A un moment donné, on sortait pour aller travailler et on ignorait si en fin de journée on allait rentrer chez  soi ou passer la nuit en détention ou derrière les barreaux. De nombreux confrères invités à se présenter pour apporter des clarifications dans le cadre de certaines enquêtes, et ils  n’ont pu rentrer chez eux qu’après deux à trois mois de détention, totalement innocents.

Des aberrations ont été commises, puisque de nombreuses poursuites ont été engagées, alors que les produits concernées n’étaient même pas des psychotropes, mais de simples antihistaminiques ou des antidouleurs à usage détourné.

Le SNAPO avait alors alerté les pouvoirs publics, à sa tête le premier ministère. Maintenant depuis une année, une série de réunions de travail et de coordination ont eu lieu, pour organiser les choses et procéder à la révision ou a la préparation de nouveaux textes règlementaires, qui permettront à tout le monde de travailler dans des conditions plus claires et plus sereines. Ces travaux concernent le ministère de la justice, le ministère de la santé, l’office nationale de lutte contre la drogue et la toxicomanie, et les services de sécurité ( la DGSN et la gendarmerie nationale).

Entre temps, les listes officielles des substances psychotropes et produits stupéfiants a été officiellement publiée et remises par le ministère de la santé aux différents services et organismes concernés, dont le SNAPO, qui n’a de cesse réclamé sa publication.

Cette problématique des psychotrope au lieu qu’elle soit depuis le début traitée comme une question de santé publique, avec l’implication des pharmaciens pour la meilleure prise en charge d’une catégorie spéciale et sensible de malades, a plutôt évolué vers une criminalisation et culpabilisation à tort des pharmaciens. Le pharmacien est une partie de la solution, et non pas du tout la cause du problème de la toxicomanie ou du détournement d’usage de ces produits.

Grace au travail et aux approches du SNAPO, tous les secteurs ont pris maintenant conscience de l’importance du pharmacien dans ce domaine et du rôle qu’il peut jouer non seulement pour la prise en charge des malades, mais aussi pour lutter contre le fléau de la toxicomanie.

Où en est le problème de pénurie des médicaments?

La pénurie des médicaments est toujours un sujet d’actualité et qui préoccupe le SNAPO et les pharmaciens d’officine. Nous pensions qu’après la signature des programme d’importation, dont les derniers avaient été délivrés en février et mars 2017, que le problème allait être réglé après trois ou au plus cinq mois. Nous sommes en octobre, et la crise persiste. La perturbation ne touche pas seulement les produits importés, mais aussi ceux fabriqués localement. Nous avons alerté le ministère de la santé et le premier ministère à ce sujet.

Pour être plus clair, nous ne comptons pas moins de 60 à 70 produits essentiels en rupture, et cette liste s’étend parfois jusqu’à 140.

Les tensions des produits disponibles de manière aléatoire de semaine en semaine, ou en quantité insuffisantes, va jusqu’à 230 produits.

Il s’agit donc globalement de collyres, de pommades, d’injections d’antibiotiques, d’anti inflammatoires injectables, de corticoïdes injectables, de fluidifiants de sang, de vitamine D, de produits aidant aux accouchements.

Nous signalons que les chiffres officiels de la douane attestent que jusqu’à aout 2017, la facture d’importation des médicaments a encore baissé de 7 %. Nous notons également que depuis maintenant trois ans cette facture est en baisse croissante et continue. En 2016, aucun programme complémentaire d’importation n’a été signé. Que la population algérienne est passée de 35 à presque 42 millions d’habitants, que le diagnostic de nouvelles maladies est en augmentation, notamment les maladies chroniques.

Peut-on améliorer la prise en charge sanitaire, notamment en produits pharmaceutiques, de la population algérienne, dont les besoins augmentent, en diminuant les commandes de médicaments ?

Nous faisons un constat de terrain que personne ne peut nier. Nous ne sommes pas là pour polémiquer ou lancer des accusations contre qui que ce soit, mais il est de notre devoir en tant que professionnels de santé, et en tant que syndicat, d’alerter les pouvoirs publics sur la situation. La pénurie est bien là ; les pharmaciens ne reçoivent pas les médicaments commandés, et nous ne pouvons pas faire face à la demande de la population, car nos officines ne sont pas convenablement approvisionnées.

Nous n’arrêtons pas de renvoyer nos patients vers leurs médecins leur demandant de prescrire d’autres médicaments par faute de disponibilité. Est il acceptable pour un pays comme l’Algérie de ne pas trouver de l’amoxile inj, de la penicilline G ou de la gentamycine dans une pharmacie ? Est il acceptable de ne pas trouver des collyres antiseptiques pour un nouveau né ou de la vitamine D3, est cohérent pour une femme qui va accoucher de ne pas pouvoir lui injecter du synthocinon qui va lui faciliter l’accouchement et de lui trouver après l’accouchement de la fraxiparine ou du lovenox pour lui éviter de dramatiques complications est il acceptable de ne pas trouver en officine des corticoïdes injectables ou des anti inflammatoires injectables, ou de simples pommades comme mycocide…

La liste des ruptures est arrêtée en parfaite coordination entre le snapo, l’unop, et l’adpha, c’est-à-dire tous les acteurs du domaine pharmaceutique.

Le constat est fait, l’alerte est donnée, maintenant il est indispensable que chacun a son niveau prenne ses responsabilités.

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