AccueilAfriqueInvestissement : comment l’Afrique peut-elle gagner sa course contre la montre ?

Investissement : comment l’Afrique peut-elle gagner sa course contre la montre ?

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Comment financer les infrastructures nécessaires à l’Afrique ? Comment attirer les investisseurs privés ? Quels sont les obstacles à surmonter ?… Autant de questions auxquelles des personnalités reconnues (Lionel Zinsou, Sev Vettivetpillai, Jean-Michel Huet, Bandar Hajjar, Brahim Benjelloun-Touimi et Bruno Mettling) ont apporté des éléments de réponse, lors d’un important forum Monde arabe-France-Afrique qui s’est tenu ce mardi 19 septembre, à l’Institut du Monde arabe, à Paris.

Le continent africain n’est pas à un défi près. Mais l’équation qu’il doit affronter en matière d’investissement est d’une particulière relevance : comment accélérer le temps des décisions alors même que ces décisions demandent du temps pour être prises ? C’est sans doute là que réside la clef de voûte des idées, arguments, contre-arguments et propositions qu’ont échangés mardi 19 septembre les participants à la table ronde « Financement et investissement », organisée à l’Institut du Monde arabe (IMA, Paris) dans le cadre du Forum Afrique-Monde arabe-France, devant un parterre très relevé de grands patrons, diplomates, haut-fonctionnaires, banquiers et financiers.

Mobiliser la société civile

En effet, pour Yacine Fal, Représentante résidente du groupe Banque africaine de développement (BAD), les défis africains sont « extrêmement proches », parmi lesquels une démographie en forte croissance, une jeunesse toujours plus nombreuse et exigeante, une « urbanisation rapide » : d’ici à quelques années, un Africain sur deux habitera dans une ville. « Il faut mobiliser les investisseurs privés, a-t-elle souligné, et d’abord les acteurs africains, car les partenariats que l’on a connus jusqu’ici ne suffisent plus. » Mieux, a insisté la représentante de la BAD, il est indispensable de «  mobiliser la société civile » africaine, « car il n’est plus possible que les États puissent seuls prendre en charge, voire diriger les partenariats et les projets » de développement. Même si ces États doivent s’efforcer, a-t-elle ajoutée, de « créer un environnement financier favorable pour que tous les acteurs puissent travailler ensemble ».

« Le développement africain est endogène »

Oui, le temps presse : l’Afrique, « c’est le continent qui s’urbanise le plus rapidement de toute l’humanité, a renchéri Lionel Zinsou, ancien Premier ministre du Bénin et co-président d’AfricaFrance. En l’espace d’une génération, il y aura 500 millions d’Africains de plus dans les villes, soit l’équivalent de plus d’Européens qu’il n’en existe aujourd’hui ! ». Pour ce diplômé de l’École normale supérieure, de Sciences Po et de la London School of Economics, il ne faut surtout pas voir l’Afrique comme un continent « primaire » dont l’économie ne serait basée que sur l’agriculture. Ou encore comme une « juxtaposition de pétrole, de cacao, de phosphates », etc. 

Certes, le secteur agricole représente en moyenne 23 % du PIB, analyse-t-il, mais l’économie des services se développe très vite pour répondre précisément au développement des industries de transformation des produits agricoles, du bâtiment, des produits manufacturés, etc. Si bien que « le développement africain est endogène », a assuré Lionel Zinsou : alors que les investissements directs étrangers en Afrique ont été multipliés par cinq en dix ans, la croissance des investissements africains est aujourd’hui bien plus forte. Et l’économiste de citer ceux réalisés par l’Afrique du Sud, le Maroc et, plus récemment, la Tunisie. « L’Afrique de l’Ouest, a-t-il prédit, va devenir un marché unique de 350 millions d’habitants, dont le pouvoir d’achat représentera celui d’une grande puissance européenne : c’est un séisme qui se prépare car on n’a jamais vu quelque chose d’aussi fort en termes de transformation de nos économies. » C’est dire si les besoins sont grands et les opportunités d’investissements nombreuses. « Des opportunités », c’est précisément ce qu’avait réclamé quelques minutes auparavant le Dr Bandar Hajjar, président du groupe Banque islamique de développement (BID) : « Le secteur privé cherche surtout des opportunités » pour investir, et pas forcément des crédits à faibles taux d’intérêt.

Des économies insuffisamment financées 

Pas un problème, l’argent ? Au-delà même des États, les économies africaines sont très insuffisamment « financées », a estimé pour sa part Lionel Zinsou : « Les TPE-PME n’ont pas accès au crédit pour leur fonds de roulement ni pour leurs investissements, tandis que les ménages sont encore plus mal financés puisqu’il n’y a même pas de crédit au logement. » 

Il est donc « urgent », selon l’ancien Premier ministre béninois, qu’une « révolution financière » intervienne afin que le développement économique de l’Afrique « puisse être bien accompagné ». Urgent ? Mais, s’est indigné Sev Vettivetpillai, managing partner de The Abraaj Group, « en Afrique, tout prend le double de temps qu’ailleurs ! » À ses yeux, ce n’est d’ailleurs pas le seul obstacle : lorsque les investisseurs regardent les « besoins essentiels » des Africains, ils s’aperçoivent que « ce ne sont pas les mêmes partout. Ici c’est la santé, là l’éducation, ailleurs l’énergie… » Et puis, il y a le manque de « talents et de compétences », ce qui explique par exemple, selon lui, que sur les 20 projets majeurs aujourd’hui en cours dans le monde, seuls quatre se trouvent en Afrique. 

Développer les compétences

« Mais, développer des compétences demande du temps ! s’est exclamé Jean-Michel Huet, Associé chez Bearingoint. Cela ne se fait pas en un claquement de doigts. » À son avis, s’il est clair que l’Afrique « manque d’outils financiers », il est aussi nécessaire de changer les outils du développement : il faut miser sur l’éducation – et pas seulement sur les infrastructures – pour « faire éclore les compétences ». Mais pour cela, peut-être que le taux des prélèvements obligatoires des pays africains est trop faible (15 % en moyenne). « Est-ce bien ? s’est-il interrogé. Oui et non », car du coup beaucoup de pays manquent d’argent pour financer les infrastructures et l’éducation, par exemple.

« Nous ne sommes pas l’Irlande de la fiscalité, a rebondi Lionel Zinsou. L’Afrique n’est pas un paradis fiscal, au contraire, les taux d’imposition sont bien trop importants. 50 % des recettes fiscales proviennent des droits douaniers, et d’ailleurs non pas sur les importations, mais sur les exportations, plus faciles à contrôler. Un héritage de la colonisation »… En outre, pour le co-président d’AfricaFrance, la vraie question n’est pas  tant celle des finances publiques, qui sont en train d’être réformées, comme le montre le Maroc, mais l’éducation. « Là, le problème, c’est qu’il faut pouvoir suivre la démographie », a pointé Lionel Zinsou, avant de tacler : « L’importance de nos problèmes dépasse la capacité de ceux qui veulent nous donner des conseils, car ce sont des problèmes que personne n’a jamais eu à affronter. Les solutions à apporter doivent donc être très créatives. »

« L’Afrique peut donner des leçons »

Et de la créativité, les Africains n’en manquent pas. « En matière digitale, l’Afrique peut donner de leçons à l’Europe et à la France en particulier, observe Jean-Michel Huet, notamment dans les “m-paiements“ » [paiements via mobile, ndlr]. La digitalisation et les télécoms sont de « grands secteurs de croissance en Afrique », confirme pour sa part Bruno Metting, directeur général adjoint d’Orange, dont il préside la filiale Afrique et Moyen Orient. Il constate d’ailleurs que dans le continent africain et au Moyen Orient, une vingtaine de milliards de dollars sont investis par an – un rythme qui va s’accélérant – dans les réseaux pour répondre aux besoins des populations. Des besoins énormes : en 2021, le continent comptera 1 milliard de Smartphones qui tous voudront accéder à l’internet… « Certains hésitent à investir, observe Bruno Metting, mais pas Orange. Nous, nous investissons à quinze ans ».

Démarche holistique et changement de mentalité

« Holistique », un terme qui convient bien à Brahim Benjelloun-Touimi, administrateur Directeur général exécutif de BMCE Bank, présent dans une vingtaine de pays africains. « Dans nos investissements, nous ne sommes pas dans une perspective courtermiste d’entrée-sortie, a-t-il expliqué. Nous sommes dans une “vista“ de long terme de développement durable. Nous sommes une banque africaine, pas une banque d’entrée en Afrique. Nous sommes dans une démarche holistique, avec une approche de long terme ». De ce fait, la BMCE Bank « adresse tous les segments du marché, de la PME à la grande entreprise », et cherche à « développer tous les métiers de la banque »…

Reste que, pour Bruno Metting, les investissements privés en Afrique continuent de souffrir d’une « certaine immaturité fiscale » qui pénalise, entre autres, « les acteurs du numérique et des télécoms ». Selon lui, « l’offre privée peut financer les investissements nécessaires, mais à condition d’avoir de la transparence et de la stabilité fiscale ». Et puis il faudra que les bailleurs de fonds s’imposent une réflexion pour « accepter de regarder les projets d’équipements modestes, plus répartis », notamment en matière d’électricité, au lieu de ne regarder que les grandes infrastructures (grands barrages, grandes centrales). Les bailleurs de fonds doivent donc changer de mentalité. Or les changements de mentalité, c’est peut-être ce qui prend le plus de temps…

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