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Salaires peu motivants, carrières éphémères : sale temps pour les PDG des entreprises publiques

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Soumettre les salaires des directeurs généraux d’entreprises publiques et ceux de leurs collaborateurs, aux règles du marché était un des principaux objectifs de la réforme de 1988, mais les interférences politiques dans la gestion du secteur étatique n’ont, malheureusement, jamais permis d’atteindre ce but. Au regard de cette réforme promulguée en réponse au soulèvement d’octobre 1988, les dirigeants principaux d’entreprises publiques économiques, ainsi que leurs collaborateurs, avaient obtenu la possibilité de négocier leurs salaire et les avantages liés à leurs fonctions, avec les conseils d’administration de leurs sociétés qui avaient, faut-il le rappeler, accédées au statut de société par actions (EPE/SPA) dont l’Etat continuait, pour des raisons doctrinales, à être l’actionnaire unique.

Un contrat fixant le montant et les modalités des rémunérations mutuellement négociées en contre partie d’un certain nombre d’exigences managériales pouvait alors être conclu entre les entreprises publiques employeuses, représentées par leurs Conseils d’administration, et les candidats à la direction générale des entreprises concernées. Ces contrats d’une grande précision vont jusqu’à préciser les avantages matériels auxquels leurs  fonctions leurs ouvrent droits, conditions de licenciement, indemnités y afférents et autres détails notariés opposables au tiers.

Cette procédure dictée par la législation aujourd’hui encore en vigueur (code de commerce, code civil et code pénal) ne sera malheureusement jamais appliquée, hormis peut être, durant les courtes périodes des gouvernements Kasdi Merbah et Mouloud Hamrouche, périodes durant lesquelles quelques cas de dérapages (octrois de salaires et avantages mirobolants à quelques barons du secteur public) que les syndicats relayés par les médias et certains partis politiques avaient démesurément amplifiés au point de susciter le retour de l’Etat dans la gestion courante des entreprises publiques.

Ce retour posera malheureusement plus de problèmes qu’il n’en a résolus. En effet, a lieu de lier le niveau des rémunérations des Pdg à des objectifs strictement managériaux (bénéfices réalisés, performances économiques et commerciales, emplois créés etc.), le montant de leurs salaires sera, bien au contraire, soumis à un très compliqué dispositif d’encadrement basé sur une fourchette de salaires minimums garantis située, selon l’importance des entreprises concernées, entre 6 fois et 10 fois la valeur du Smig en vigueur. Selon l’importance de l’entreprise qu’il dirige, un PDG ne pourra de ce fait gagner qu’un salaire situé dans cette fourchette. Ses collaborateurs (cadres dirigeants) seront, quant à eux, rémunérés un échelon plus bas (n-1). Ce mode rémunération en vogue depuis 1995 durera jusqu’au milieu des années 2000. Il sera discrètement supprimé pour laisser place à un salaire fixe complété, au  gré des résultats de gestion périodiques, par une partie variable pouvant atteindre, lorsque les objectifs du contrat de performance sont atteints, le montant du salaire fixe.

Un certain nombre d’indemnités et d’avantages liés à la fonction octroyés d’autorité par l’Etat et, non pas, par le conseil d’administration de l’entreprise, sont précisés dans les contrats de recrutement et de performances, auxquels les Pdg et de leurs staffs sont désormais soumis. Durant la période où les salaires étaient liés à la valeur du Smig qui, comme on le sait, augmentait  chaque année au gré des réunions tripartites, les rémunérations des patrons et des cadres dirigeants concernés, ont enregistré de fortes progressions essentiellement dues à l’arithmétique de ce mode de calcul.

Cette progression s’arrêtera net dès que le gouvernement avait pris en mai 1997 la décision d’aligner cet indice de calcul, non pas, sur le salaire minimum garanti dont la valeur augmentait périodiquement, mais à un montant inamovible de 4000 dinars. Un  membre du gouvernement de l’époque avait justifié cette nouvelle mesure par le fait qu’il y avait un sérieux risque que les PDG dont les salaires valaient 6 à 10 fois le salaire minimum garanti, touchent des salaires mirobolants au gré des revalorisations annuelles de ces minimums garantis.

Avec un Smig à 10.000 dinars, comme c’était alors le cas, un PDG d’une entreprise nationale pouvait, disait-il, gagner 100.000 dinars de salaire mensuel fixe auquel il faut ajouter environ 80.000 dinars de salaire variable et les diverses indemnités auxquelles il a légalement droit. Un montant trop élevé qui sonnait mal aux oreilles de notre ex ministre outré de percevoir beaucoup moins de la moitié de ce salaire, en dépit des charges autrement plus importantes qu’il assumait.

Un jugement qui n’est en réalité pas exclusif à notre ministre. Cette manière de voir est en effet très répandue dans le milieu des fonctionnaires qui continuent à considérer les EPE comme de simples démembrement des administrations centrales et leurs dirigeants comme des responsables non éligibles à des rémunérations aussi élevées, car non soumis à l’obligation de résultats. Pourquoi dans ce cas gagneraient-ils plus qu’eux, était-il courant d’entendre dans le milieu de la fonction publique très mal payée, il est vrai, à cette époque. Cette opinion défavorable à laquelle vient s’ajouter l’hostilité légendaire des syndicats ouvriers constitue, à ce jour, un des principaux obstacles à l’émergence d’une politique salariale favorable aux élites managériales du secteur public économique.

Le marché des cadres dirigeants tel que souhaité par la réforme de 1988 n’est, de ce fait, pas prêt de voir le jour. Depuis ces trois ou quatre dernières années, on assiste même à une certaine régression. Les salaires des Pdg ne sont plus négociés entre ces derniers et les conseils d’administration des EPE. Ce sont les ministères de tutelles qui, en réalité, les fixent pour être quasi automatiquement entérinés par les SGP et les organes d’administration des entreprises publiques (C.A, A.G). Au gré de leurs humeurs certains ministres peuvent décider, selon le cas,  d’augmenter, de geler ou de diminuer les niveaux de rémunérations des cadres dirigeants de leurs secteurs.

Selon les informations que nous avons pu glaner auprès de quelques Pdg, les rémunérations mensuelles dépassent aujourd’hui rarement 120.000 dinars. Ces derniers se rattrapent au moyen du salaire variable devenu, au gré du temps et des habitudes tacitement acceptées,  un complément  de salaire, pour ne pas dire un second salaire qui grossit régulièrement leurs fiches de paye.

Ce mode de rémunération peu commode, car soumis aux aléas des ministères qui dirigent les entreprises publiques désormais placées sous leurs tutelles, est très mal perçu par les chefs d’entreprises en question. Il est, comme nous l’ont signalé la plupart des patrons que nous avons interrogés, un motif de découragement et, sans doute, l’obstacle qui refrène le plus leurs ardeurs de managers astreints, comme on le sait, à la prise de risque et à l’effort permanent. Leur frustration est d’autant plus grande qu’ils ne peuvent même pas l’exprimer publiquement, faute d’un syndicat fort et organisé capable d’infléchir une décision ministérielle qui attente à leurs droits.

En permanence sur un « siège éjectable » le poste éphémère de dirigeant d’entreprise publique n’est également pas fait pour les rassurer. Ne bénéficiant d’aucune protection juridique au cas où ils seraient dans le collimateur d’un ministre, un Pdg d’EPE peut être, du jour au lendemain, relevé de ses fonctions sans que personne ne s’en émeuve. Les nombreux redéploiements subis par le secteur public et la valse des révocations de patrons d’entreprises publiques auxquelles on assiste encore aujourd’hui, en apportent la preuve.

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