AccueilContributionsLE SECTEUR DU BTP : L’AGONIE ?

LE SECTEUR DU BTP : L’AGONIE ?

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La commande Publique, dopée par les formidables ressources tirées des hydrocarbures, et par les nombreux programmes initiés par les Pouvoirs Publics, en matière d’infrastructures, de logements et de constructions diverses, ont permis l’émergence d’importantes entreprises de BTP.

L’expérience aidant, ces entreprises qui ont contribué à l’effort de développement économique du pays ont atteint un niveau de maitrise et d’expertise des métiers de la construction, qui leur permet aujourd’hui de rivaliser pour certaines avec les multinationales du secteur, y compris pour la réalisation d’ouvrages complexes.

Marchés Publics/Mode de financement

Le mode de financement des marchés Publics, permet aux entreprises de bénéficier dès la mise en vigueur du contrat, d’avances pouvant atteindre 50% du coût du projet (avance forfaitaire, avance sur approvisionnement), en contrepartie de la production des cautions de restitution d’avances et de bonne exécution.

Le reste du calendrier des encaissements est défini contractuellement. Ces encaissements sont réalisés durant la phase de réalisation, en général 30/45 jours à compter de la date de validation des attachements et situations.

Ainsi, les modalités de paiement retenues devraient en théorie, permettre aux marchés Publics de se financer par eux-mêmes.

Même si dans la réalité il existe un décalage entre la mise en vigueur du contrat et l’encaissement des avances contractuelles, et la validation des situations de travaux et leur encaissement, les entreprises arrivent tant bien que mal, à s’en sortir, grâce aux avances des banques  sur les situations de travaux, et par utilisation d’une partie des encaissements perçus au titre des autres marchés constituant le plan de charges (trésorerie commune).

Baisse des revenus pétroliers

La baisse drastique des revenus pétroliers depuis 2014, a induit :²

  • Le gel de la majeure partie des projets non entamés ;
  • L’insuffisance des crédits de paiement pour les projets en cours de réalisation

Ces deux phénomènes viennent percuter de front les entreprises de réalisation, qui dès lors voient les retards de paiements s’allonger et s’accumuler, pour atteindre pour certaines entre 6 à 8 mois (on parle de 130 Milliards DA d’impayés), assistant par ailleurs au tarissement de la commande Publique.

Cette situation est de plus aggravée par les travaux supplémentaires réalisés en attente de régularisation par voie d’avenants, et donc ne pouvant faire l’objet de facturation.

Cette situation intenable accentue la pression sur les entreprises, lesquelles avec le temps se voient dans l’incapacité de poursuivre leur activité, de payer les salaires, la sécurité sociale, les impôts, leurs nombreux fournisseurs et sous-traitants.

 

Quand le bâtiment ne va pas….

Ceci a mis un grand nombre d’entreprises dans une situation très périlleuse ; les plus grosses d’entre elles, notamment celles dont l’activité est diversifiée pouvant soutenir le choc pendant encore quelques temps, les autres les plus fragiles étant inévitablement vouées à disparaitre à court terme (les spécialistes estiment le taux de mortalité à au moins 50% du parc existant). Il est à ce titre important de se référer aux crises qui ont secoué il n’y a pas très longtemps des pays comme l’Espagne.

A la longue, et si aucune solution n’est mise en œuvre pour desserrer l’étau qui impacte la trésorerie des entreprises, c’est tout un savoir-faire, une expertise, des équipes pluridisciplinaires durement constituées qui disparaitront, au détriment de l’économie, qui a grandement besoin de ces outils de réalisation, et cela sans compter les impacts multiformes sur l’emploi, les ressources sociales et fiscales et la stabilité du pays en général.

La tension est telle que nous commençons à assister depuis quelques mois à des mouvements de grève et de protestation çà et là sur le territoire national de la part des opérateurs inquiets du devenir de leur outil. Ces mouvements commencent à toucher d’autres corps de métiers tels que les sous-traitants de Sonelgaz qui subissent les mêmes contraintes, et dont la persistance est de nature à impacter les engagements de l’Etat en matière d’électrification et d’alimentation en gaz, sujet hautement sensible dans les diverses régions.

Les souscripteurs de même que certains spécialistes au fait des questions économiques arrivent même à douter de la finalisation des projets de logement dits AADL, en dépit des assurances réitérées par le Ministre de l’Habitat.

Cette question de l’insuffisance des ressources transparait y compris dans les relations avec les banques, qui souffrent elles-mêmes de problèmes de liquidités et qui de ce fait s’en trouvent contraintes de limiter les financements.

Ce problème touche également les entreprises étrangères avec pour conséquence la possibilité d’arrêts de projets sensibles, et le risque à terme de dégrader la perception du risque Algérie (baisse des IDE).

Effet cascade

Le plus grave est que si la crise venait à s’installer dans la durée, la tension s’étendra à toute l’activité amont, notamment le secteur des matériaux de construction, dont les capacités cumulées installées et celles en cours de lancement et de réalisation (cimenteries, produits rouges,…) sont dimensionnées pour un plan de charges soutenu (du niveau de celui de la période pré 2014).  Si rien ne change, les professionnels prédisent à titre d’exemple pour le secteur du ciment des surcapacités chiffrées en Millions de tonnes (un responsable de l’un des acteurs majeurs ayant avancé un volume de 10 Millions de tonnes de production excédentaire ?).

Dès lors quel avenir pour un grand nombre d’usines : l’export ?, où ?, comment ?à qui ? À quel coût ?, sera-t-on compétitifs, dans une situation de crise mondiale ?

Cette situation qui commence déjà à peser sur l’emploi sachant que le BTP occupe la seconde place en matière d’emploi en Algérie, avec environ 16,6% de la population active (source ONS Avril 2016), il y a risque d’aggravation du chômage avec extension directe aux secteurs liés (industrie des matériaux de construction, services et sous-traitance,…).

Ceci aura inévitablement pour effet d’amplifier des tensions déjà pesantes au niveau des entreprises concernées.

En fait le ‘’link’’ entre la baisse des revenus pétroliers et la baisse de l’activité en général, a connu un différé dans le temps et n’a pas été suffisamment appréhendé, car soutenu artificiellement par le FRR (Fond de Régulation des Recettes), qui a permis de couvrir le premier choc de la période 2014/2016.

Aujourd’hui que le FRR a fondu, les difficultés commencent à pointer, d’abord pour le secteur des BTP car dépendant de la commande publique et donc le plus exposé, bientôt suivi mécaniquement par celui des matériaux de construction,….

 

Le secteur bancaire qui a longtemps montré un taux de croissance appréciable, marqué par un niveau de crédits non performants acceptables, risque à son tour si des mesures sérieuses ne sont pas prises, de subir de plein fouet la crise du BTP qui le conduirait à enregistrer un volume de crédits non performants plus important (impayés), induisant des provisionnements de masse qui impacteraient sa rentabilité.

Ainsi comme on le voit, à travers les difficultés du BTP, c’est toute l’activité économique qui est sous la menace d’un séisme (effondrement) non souhaitable, et qui appelle pour le moins une réflexion de fond, car en économie, tous les paramètres sont imbriqués et interdépendants les uns des autres.

Problèmes de liquidités

Comme on le voit, il y a un problème sérieux de liquidités qui bloque la machine économique, alors que ces disponibilités existent hors des circuits bancaires.

Pour mémoire, il est utile de rappeler que la circulation fiduciaire hors des circuits bancaires représente environ 1/3 de la masse monétaire.

Cette masse fiduciaire hors des circuits bancaires se décompose comme suit :

  • La masse fiduciaire de transactions régulières, correspondant à la monnaie utilisée au quotidien par les agents économiques. Son importance varie selon le degré de bancarisation et de développement des moyens de paiements (cartes de paiement, chèques, e paiement, …) ;
  • Les encaisses oisives, de précaution des ménages (sous le matelas), gardées par devers soi, pour diverses raisons (absence de confiance envers le système bancaire, absence de produits d’épargne attractifs, méfiance envers les banques qui exigent des justificatifs pour les retraits et les dépôts au-delà de certaines sommes en plus des délais pour la mise à disposition des fonds…..) ;
  • La masse fiduciaire de l’économie informelle, elle-même subdivisée en :
    • La masse fiduciaire utilisée dans les transactions informelles, qui permet le dénouement en espèces des transactions, et qui bien qu’informelle participe au circuit économique ;
    • La masse fiduciaire thésaurisée, constituée de la masse dormante.

Titrisation des créances

Concernant les créances sur l’Etat, l’idée consiste en leur titrisation par l’émission d’obligations du Trésor d’une maturité de 3 à 5 années, rémunérées à un taux proche de celui du découvert bancaire, pour compenser les entreprises créancières obligées de recourir au crédit bancaire, et être suffisamment attractives afin de faciliter leur placement sur le marché.

Ces obligations devraient être dé globalisées et porter sur des montants pouvant aller de 200 000 DA à des multiples de 200 000 DA, pour atteindre un maximum de gens et faciliter leur négociation sur le marché secondaire.

Avantage :

  • La titrisation permet à l’entreprise de donner une meilleure structure à son bilan et éviter ainsi de provisionner des créances anciennes (à risque) puisque transformées en obligations du Trésor ;
  • Elle facilite la négociation avec la banque en termes de garantie, de conditions de financement et de mobilisation des crédits ;
  • Dynamisation du marché secondaire :

La dé-globalisation de la créance en titres de différents montants tels qu’évoqués supra, avec à la clé des conditions de rémunération attractives, une plus grande flexibilité en matière de ‘’fluidisation des titres’’ (ex engagement de la banque de rembourser avant terme, sans conditions et sans pénalités jusqu’à 50% de la valeur des titres acquis,…) et l’assurance de l’anonymat, peuvent constituer un formidable levier pour participer à la dynamisation du marché secondaire en totale léthargie, et ce avec l’appui actif des banques.

Il est clair que, ce qui est visé par la titrisation, ce sont les encaisses oisives des ménages ; ces derniers pouvant être sensibles au taux d’intérêt et à la garantie de l’Etat, pour autant qu’il y ait une implication dynamique, entière, massive et concrète du système bancaire.

Néanmoins, ne nous leurrons pas, car si la dynamisation du secteur bancaire peut à terme avoir un effet sur les encaisses régulières et celles oisives grâce à une plus grande bancarisation et à la mise en place d’outils de marché (cartes de paiement, vulgarisation de l’utilisation du chèque, e paiement, plus de proximité avec les clients, densification du réseau, …), il reste admis que le gros des ressources est constitué de celles informelles, dont la mobilisation n’obéit manifestement pas aux mêmes considérations.

Il y a à l’évidence l’urgence de réformes économiques qui commenceraient par une véritable révolution du système bancaire qui doit être modernisé et prendre à bras le corps son métier premier de collecte des ressources, par un travail de proximité avec les différentes catégories de clientèles, une offre de services et produits attractifs, la mise en place d’instruments de paiements variés et adaptés, le rétablissement de relations de confiance dégradées (voir la suppression par le passé des bons de caisse anonymes),… le tout accompagné par la crédibilisation des Institutions et la transparence dans la gestion.

Comme on le voit, ce problème de ressources financières plombe totalement l’économie algérienne, et à moins de recourir à la planche à billets synonyme d’explosion de l’inflation, il restera le recours à l’endettement pour pallier aux ressources tirées des hydrocarbures.

A ce titre, plutôt que de recourir de manière précipitée à l’endettement extérieur avec les risques connexes, nous considérons primordial de prospecter la voie des ressources internes qui existent et qui sont très importantes, mais qui n’ont pas su être mobilisées ; les dispositifs jusque-là mis en œuvre ayant donné des résultats mitigés, et par ailleurs ayant porté pour l’essentiel sur le recyclage des encaisses déjà dans le circuit bancaire.

L’Etat doit faire de la mobilisation des ressources informelles une priorité nationale et pour cela construire une approche qui permette de comprendre les attentes des détenteurs de ces encaisses pour adopter avec eux et non contre eux des solutions à la mesure des enjeux (amnistie fiscale suivant une formule non susceptible d’être remise en cause, anonymat total,….) et qui leur permettraient de les intégrer dans le circuit économique qui en a grandement besoin.

Le recours à l’endettement extérieur, doit viser en priorité des investissements ciblés capables de dégager par eux-mêmes les excédents nécessaires au remboursement des prêts mobilisés.

Par ailleurs, le désengagement de l’Etat de certains secteurs d’activité (ex Tourisme, Pêche,….) au profit du privé national et international, permettra de réorienter les ressources prévues vers les secteurs prioritaires (Education, santé, notamment).

Enfin, en dépit de toutes ces contraintes, de nombreux analystes et observateurs de la scène algérienne soutiennent que l’Algérie dispose encore de ressources potentielles (matières premières, produits énergétiques, et surtout les ressources humaines,) pour atténuer les effets de la crise et créer une dynamique de diversification à même de relancer la machine économique.

Pour ce faire, les réformes de fond suggérées par ces mêmes experts (gouvernance, décentralisation, régionalisation économique, crédibilité des Institutions, consensus social, …) doivent être mises en œuvre à brève échéance, c’est-à-dire pendant que notre pays dispose encore de marges de manœuvre (absence de dette, réserves en déclin mais encore significatives notamment, …).

Contribution

Abdenour KASHI

Consultant, Intelligence Economique

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