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Conséquence de la fuite des revenus agricoles vers les villes: Le monde rural s’appauvrit

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En revisitant l’Algérie après plusieurs années d’absence, l’écrivain et journaliste franco-algérien Maurice Tarik Maschino, a décrit avec force détails dans un ouvrage intitulé « l’Algérie retrouvée » la ruralisation de pratiquement toutes les villes du pays avec tout le lot de détresse, de perte de repères identitaires, mais aussi et surtout, de pauvreté qui affecte les campagnes désertées par les agriculteurs.

Il suffit en effet, d’aborder quelques personnes parmi les mendiants, les sans domicile fixe et exclus de tous bords, de plus en plus nombreux à Alger, pour être fixé sur l’origine rurale de l’écrasante majorité d’entre eux.

Leur drame se confond avec celui plus large de l’agriculture traditionnelle en proie à une crise sans précédent, nourrie par une constante baisse des rendements agricoles exacerbée par le départ vers les villes des agriculteurs qui disposent d’un réel savoir faire en matière de mise en valeur des terres agricoles.

Les rendements, et par conséquent les revenus des paysans, ne cessent en effet de diminuer en raison du morcellement continu de leurs terres, du mode de faire-valoir resté archaïque et de la poussée démographique sur ces terres qui ont peu de choses à donner.

Le peu de production agricole que les paysans parviennent à tirer des terres en grande partie ingrate (seuls 0,3% des terres algériennes sont cultivables) prend généralement le chemin des villes où elle est vendue par des acteurs informels qui investissent l’argent ainsi gagné dans les villes. Les campagnes s’appauvrissent ainsi au gré de la fuite vers les villes, voire même à l’étranger, des valeurs ajoutées réalisées dans le monde rural.

Le témoignage d’un vieux paysan kabyle qui s’accroche malgré son extrême pauvreté à sa terre, résume parfaitement la situation : « Le demi-hectare que vous voyez et que je partage avec mes frères nous suffisait autrefois. Même si on n’était pas riches, on ne manquait ni de fruits ni de légumes. Au début des années 1980 nous avons abandonné, mes frères et moi, notre terre pour travailler dans une entreprise communale de travaux qui embauchait à tour de bras. Notre terre ne nous intéressait que pour construire une maison familiale suffisamment spacieuse pour abriter notre famille de plus en plus nombreuse.

Près de la moitié de la surface agricole a servi à la construction de la maison que vous voyez et qui ne sera sans doute jamais terminée parce que nous n’avons plus suffisamment d’argent et que les matériaux de construction sont devenus très chers. Le peu de légumes que nous produisons est consommé sur place ou vendu à prix misérable à des intermédiaires qui les revendent deux à trois fois plus chers sur les marchés de la ville » nous affirme, non sans dépit, ce laissé pour compte du monde rural kabyle. 

Le professeur Abdelatif Benachenhou a, lors d’une toute récente conférence  au CREAD, évoqué ce très grave problème de transfert des rentes agricoles des campagnes où elles ont été constituées, vers les villes où elles sont consommées ou investies, avec toutes les conséquences négatives que cette fuite de capitaux fait subir à un monde rural de plus en plus appauvri.

La  pauvreté en Algérie, affirme t-il,  est d’abord un phénomène rural qui affecte environ 1,8 million de ménages ruraux, notamment ceux qui ont le plus d’enfants et peu de terres à mettre en valeur. Notre politique d’aménagement du territoire trop dépendante des budgets centraux et la désorganisation des marchés agricoles largement dominés par l’informel seraient en grande partie responsables de la propagation de la pauvreté dans nos campagnes, selon le professeur d’économie et ancien ministre des finances.

La massification de la pauvreté aurait également pour origine la modicité des salaires versés aux agriculteurs qui ont la chance d’avoir un emploi permanent ou saisonnier dans les exploitations agricoles publiques ou privées. En matière de revenus salariaux les agriculteurs sont les moins bien lotis. Ils figurent au plus bas du tableau des salaires sectoriels.

Une enquête du ministère du Travail sur les salaires versés dans les entreprises économiques, le secteur de l’énergie et celui de l’agriculture, a révélé de criantes disparités en défaveur de ce dernier. Selon cette étude effectuée dans le courant de l’année 2003, le salaire mensuel moyen brut versé dans le secteur agricole ne dépasserait pas 12 000 DA, soit à peine un peu plus que les 10 000 DA du SMIG en vigueur en 2003, alors que le salaire moyen versé dans les entreprises industrielles et de services se situe autour de 24 000 DA tandis que celui versé par les entreprises du secteur de l’énergie et les banques est d’environ 47.000 DA.

Il n’est par conséquent pas étonnant de voir des travailleurs agricoles fuir ce monde de misère pour un hypothétique emploi mieux rémunéré qu’ils pensent pouvoir décrocher dans une des villes du pays. La chance d’avoir un jour une agriculture performante est de ce fait à jamais compromise, les jeunes susceptibles de constituer la relève d’une main d’œuvre agricole vieillissante, préférant désormais construire leur avenir dans les villes où les salaires promettent d’être plus gratifiants

On n’omettra pas de citer comme cause principale de la propagation de la pauvreté dans le monde rural, le terrorisme islamiste qui a contraint dans un premier temps à un isolement forcé, puis à la fuite des agriculteurs vers des endroits mieux sécurisés se trouvant généralement à proximité des grandes villes.

Ce sera la première étape d’un exode qui se terminera dans les logements précaires ou insalubres des banlieues urbaines qui ont, de ce fait, pris l’allure de douars. Une organisation internationale des droits de l’homme a récemment estimé à près d’un million et demi le nombre de personnes ayant fui leur résidence d’origine essentiellement rurale en raison du terrorisme.

Des retours aux douars d’origines sont signalés çà et là, mais le nombre encore dérisoire de personnes concernées, ne permet pas d’affirmer qu’il s’agit d’une inversion de flux. Les dégâts occasionnés aux équipements collectifs (écoles et entreprises locales brûlées etc.) ayant amplifiés la désolation qui prévalait déjà dans certaines localités rurales, il est bien évident que l’exode rural en direction des villes a toutes les chances de se poursuivre tout au long des prochaines années, à moins que l’Etat  fasse l’effort de reconstruire ce qui a été détruit et veiller à ce que les valeurs ajoutées constituées par les agriculteurs soient consommées ou investies en priorité dans les campagnes où elles ont été réalisées.

Des mesures incitatives devront être mises en œuvre pour que le monde rural puisse capter le maximum de capitaux destinés au développement agricole (PNDA) et retenir sur place, au moyen de marchés des produits agricoles mieux régulés, les revenus tirés du travail de la terre

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