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Jean- Louis Levet, Haut Responsable de la coopération industrielle algéro-française à Algérie-éco: « La France et l’Algérie forment un duo unique sur l’échiquier mondial »

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Interview réalisée par Fatma Haouari.

Jean Louis Levet est l’architecte de la stratégie de coopération industrielle entre l’Algérie et la France. Fort d’un capital expérience dans le domaine des politiques industrielles, il a été choisi  par le gouvernement français pour baliser le terrain à une coopération effective. Longtemps confinées dans les échanges commerciaux, les relations algéro-françaises changent de cap grâce à cette nouvelle stratégie  qui repose sur la co-localisation et qui a pour objectif de mettre en place un partenariat productif gagnant-gagnant  sur le long terme tel que souhaité par les deux pays à travers la déclaration d’Alger signée le 19 décembre 2012 par les présidents Abdelaziz Bouteflika et  François Hollande. Dans cet entretien qu’il nous a accordé, lors de son passage à Alger, à l’occasion d’une réunion de suivi de ce vaste programme, Mr Levet,  fait le bilan du travail  gigantesque mené depuis cette date ainsi que les projets réalisés et ceux qui sont en cours.

 

Algérie-éco : Nous sommes à la veille de la tenue du comité inter-gouvernemental  franco-algérien de haut niveau (CIHN), quel bilan faites-vous  de la coopération industrielle depuis la dernière rencontre?

Mr Jean Louis Levet : Le prochain Comité intergouvernemental de haut niveau franco-algérien (CIHN) qui doit se tenir le 10 avril prochain a pour objectif de faire le point sur les projets économiques à travers le Coméfa (le Comité mixte économique franco-algérien) organisé chaque année. Le CIHN devait se tenir au mois de décembre mais comme on avait la COP21 sur le climat, on l’a reporté au mois d’avril car au mois de février, il y a eu en France un changement gouvernemental. Dans le cas du CIHN, nous revenons sur la dimension, économique des deux pays, cependant tous les autres sujets seront également évoqués puisque, c’est un quasi- conseil des ministres. Les questions de justice, de police, de sécurité, d’émigration seront également abordées. Il faut donc nous mettre dans le contexte du CIHN et de l’ensemble des accords qu’on a signés depuis octobre 2013. D’abord ces projets s’inscrivent dans les priorités que nous avons définies, c’est extrêmement important. Notre objectif fondamental est de passer de mode de relation commerciale à celui de relation coopérative. La démarche est donc différente. On n’est plus dans une logique où les entreprises françaises se contentent d’exporter, il s’agit de développer des projets ensemble, il faut donc définir des priorités au sein desquelles, on développe des projets d’exemplarité d’où les accords que nous signons et que nous avons signés. Pour  les trois priorités que nous avons définies, je suis parti des attentes et des besoins de l’économie algérienne. C’est dans ce sens que la démarche est innovante car ce n’est plus l’offre française qui se projette en Algérie. Pour les trois priorités, la première concerne la montée en qualité professionnelle dont j’ai très vite compris l’importance fondamentale à travers mes discussions avec des entrepreneurs algériens d’Alger, d’Oran, d’Annaba, en passant  par Sétif, Bordj Bou Arreridj, Guelma… etc.  Ces derniers m’ont fait savoir que leur premier besoin était de développer la qualité et la compétence, le souci étant de se conformer aux standards internationaux, donc d’avoir des qualifications et des métiers qui évoluent de plus en plus. Le ministère de l’Industrie qui est mon interlocuteur dans le cadre de ma mission. Avec mon homologue algérien permanent  Bachir Dihimi, nous avons développé cette priorité en lien avec l’objectif du développement industrielle. La seconde priorité a trait au développement des infrastructures technologiques et techniques d’appui aux entreprises. C’est la définition de la normalisation. 30%  du PIB de l’économie algérienne résulte de l’économie informelle. Il est donc très important de se mettre aux normes internationales dont la métrologie est un pilier fondamental. C’est dans ce sens que nous allons mettre en place un laboratoire en Algérie avec un laboratoire de métrologie français et puis tout ce qui a un rapport avec la qualité notamment dans deux domaines qu’on a priorisé. Il s’agit de la mécanique et l’agroalimentaire. A cet effet, j’ai mobilisé le centre technique des industries mécaniques (CTIM) et le centre  technique de la conservation des produits agricoles (CTCPA). La troisième priorité réside dans des partenariats de production. Cela peut aller de l’assistance technique jusqu’à la création de joint-ventures 51/49 pour produire de nouveaux produits ou de nouveaux process entre les PME françaises et algériennes. Ce sont donc les trois priorités qui structurent les relations techniques retenues et actées par nos deux gouvernements lors du premier CIHN co-présidés par l’ex premier ministre Jean Marc Ayrault et le premier ministre Abelmalek Sellal. Par  la suite, il était question de réaliser des progrès. Alors, se demande-t-on, où on en est aujourd’hui ? Concernant la première priorité relative à la formation, nous sommes en pleine mise en œuvre de quatre projets d’école sous la tutelle du ministre de l’industrie et des mines (MIM). Il s’agit d’une École Nationale Supérieure des Métiers de l’Industrie, en partenariat avec l’École des Mines Paris Tech, une École Nationale d’Économie Industrielle, résultat d’une convention avec l’École d’Économie de Toulouse (TSE), un Institut Supérieur de formation en  Logistique,  avec  l’Agence  des  Villes  et Territoires   Méditerranéens   Durables  (AVITEM), installée à Marseille et enfin une  École  Nationale  de  Management  Industriel destinés aux cadres publics, avec l’école française Knowledge management (SKEMA) de Marseille. L’objectif de ces écoles n’est pas de créer des cathédrales de savoir mais des établissements capables d’identifier les besoins à moyen et long terme des entreprises. J’avais réuni au mois de juin dernier tous les partenaires impliqués dans ces projets pour définir les principales actions et aujourd’hui nous entrons dans une nouvelle étape dans leur mise en œuvre effective. A signaler que dans le domaine de la formation, nous avons un projet  du centre Schneider d’excellence énergétique qui avance bien. Il a démarré au mois de janvier de l’année en cours. S’agissant de la normalisation, une convention a été signée entre l’Institut algérien de normalisation (Ianor) et l’Association Française de Normalisation (Afnor) pour un accompagnement intégré à la réalisation et à la mise en service d’un laboratoire national de référence en métrologie entre le MIM et le Laboratoire national de métrologie et d’essais français (LNE) qui sera implanté dans la nouvelle ville de Sidi Abdellah. C’est un projet structurant qui demande 3 à 5 ans pour le mettre en place. Sur le chapitre des partenariats de co-production, la tâche s’avère plus difficile dans le sens où la plupart des entreprises sont familiales. Pour un actionnaire familial, il n’est pas évident d’entrer dans une logique 51/49. Ces entreprises ne sont pas habituées à être minoritaires dans un pays étranger pour développer un site de production.

 

Est-ce que cette règle remet en question cette coopération basée sur un partenariat de coproduction ?

Disons qu’elle constitue un blocage à priori donc il faut faire l’effort d’expliquer. C’est ce que j’ai fait en France ces derniers mois. J’étais à Bordeaux, Dunkerque ; Lille, Lyon et dans les semaines prochaines, je me rendrai à Grenoble pour expliquer que cette règle n’est pas un obstacle et qu’il faut la voir comme un levier positif. C’est-à-dire qu’à partir du moment que les PME françaises sont fiables, les PME algériennes vont les aider à se mouvoir et évoluer dans l’environnement économique algérien dans tous les domaines financier, administratif, foncier, législatif… etc. Chaque pays a ses spécificités et ses particularités et il convient de s’y adapter. Il y a donc un travail de pédagogie et d’explication à faire dans l’exemplarité. Au mois de janvier, nous avons signé plusieurs accords qui ont débouché. Auparavant, Quand j’évoquais la coopération franco algérienne, les gens à qui je m’adressais étaient dubitatifs je ne sentais pas un grand intérêt de leur part mais depuis quelque temps, il y a une mobilisation. Je constate cet engouement notamment quand je participe à des clubs d’entreprises. Ce n’est pas simplement lié au fait que la France et l’Europe ont un taux de croissance très faible et qu’elles cherchent des marchés de croissance. Bien sûr, c’est une réalité mais on se rend compte de par les cas d’exemplarité qu’on met en avant que l’Algérie est un partenaire qui est du ressort de l’évidence. D’abord parce que ces besoins sont colossaux dans tous les secteurs mais en plus, c’est un souhait que j’entends de plus en plus de la part des entrepreneurs algériens que je rencontre lors de mes déplacement à travers le territoire algérien. Les raisons sont multiples,  Il y a d’abord la proximité des deux pays, les relations humaines entre les deux peuples, les produits français sont connus des algériens, des modes de pensée communs même si nos cultures sont différentes, néanmoins, la relation est plus forte qu’avec d’autres nations. La France et l’Algérie forment un duo unique sur l’échiquier mondial. Il n’en existe pas d’équivalent.

C’est surtout une relation tumultueuse et passionnée à cause de la question de la mémoire…

Oui et comme toutes les passions, il y a le côté positif et le côté négatif et nous voulons le côté positif. La question de la mémoire fait partie des dossiers traités par les deux gouvernements lors  du CIHN. Il faut bien sûr connaitre son histoire mais comme je le dis toujours à mes amis, il ne faut pas regarder dans le rétroviseur car on n’avance pas. Nous devons aujourd’hui nous projeter vers l’avenir et  pour cela nous devons nous investir dès à présent. Nous avons des jeunesses des deux pays qui ont beaucoup de problèmes et qui attendent qu’on leur ouvre des perspectives. L’urgence, c’est l’avenir. Le vœu le plus cher aujourd’hui est de créer  l’axe Paris-Alger comme un axe central pour réguler la Méditerranée occidentale, un axe aussi important que Paris-Berlin.

La crise économique affecte aussi bien la France que l’Algérie. Cette situation aura-t-elle un impact sur  la réalisation des projets en cours?

Sans cultiver le paradoxe, je crois qu’à partir du moment où nous traversons des difficultés importantes mais de nature différente, ces difficultés doivent nous pousser au contraire à travailler ensemble de façon lucide. Il est urgent de mettre en perspective le potentiel existant en Algérie et l’offre française dans les domaines scientifiques, technologique, industrielle ainsi que celle des services. Le grand défi de la France aujourd’hui est d’entrer de plain-pied dans la 4éme révolution scientifique et industrielle. Ce qu’on appelle la gigantesque transformation numérique qui est en œuvre. C’est un enjeu essentiel. Cela nous permettra de moderniser à la fois nos structures qu’ils soient privées ou publiques et c’est dans le numérique avec internet, les objets connectés où une grande performance des entreprises va passer. L’usine deviendra un écosystème numérisé où l’être humain est l’élément fondamental. La France et l’Allemagne ont pris le virage de l’industrie 4.0 de la transformation numérique depuis deux ans. C’est le défi de l’usine intelligente que  la France doit relever avec le développement de ses entreprises moyennes. Il faut rappeler que la France a un certain nombre de groupes mondiaux qui par tête d’habitant sont plus nombreux qu’en Allemagne ou en Grande-Bretagne et des start-ups qui  se développent rapidement mais entre les deux un déficit d’entreprises de taille intermédiaires (ETI) qui emploie entre 1000 et 5000 personnes. Pour l’Algérie, le défi est de réussir progressivement sa transition écologique et énergétique qui consiste à passer d’une économie carbonée à une économie décarbonnée. Le deuxième défi est comment  passer d’un modèle autocentré fondé sur la rente à un modèle plus ouvert, basé sur l’entreprenariat.  Basculer dans ce mode d’économie sous-entend la diversification et la création de richesses et d’emplois pour mieux répondre aux besoins de la population. Cela lui permettra de diminuer son degré de vulnérabilité pas seulement aux importations mais également face à la mondialisation. La décentralisation permettra de développer les territoires algériens du Grand Sud, des hauts plateaux, de l’Est et de l’Ouest. C’est dans les territoires quel que soit le périmètre que les entreprises, les centres techniques et les universités vont travailler ensemble. C’est ce qu’on appelle des clusters et des systèmes productifs locaux. C’est ce maillage d’entreprises et d’universités qui crée la dynamique et permet la réalisation de projets et d’offrir des perspectives aux territoires. Je me suis rendu compte que partout en Algérie, il y a de nombreuse entreprises qui se prennent en main et nous en tant que français, nous devons sortir d’Alger et des grandes villes et aller vers ces régions qui offrent également des avantages intéressants. Je crois que la coopération est en très bonne marche dès lors que la vision est plus claire et la confiance s’installe notamment après la réussite des entreprises qui constituent des exemples pour les entreprises hésitantes. Les deux opérations de co-production entre grands groupes français et algériens ont constitué des cas d’exemplarité : le 10 novembre 2014, a été inaugurée l’usine Renault d’Oued Tlelat à Oran. Avec 350 emplois  directs,  elle  assemblera  25  000  « Renault Symbol » par an destinées au marché algérien, avec un objectif à terme de 75 000  véhicules. Une usine d’assemblage et de  maintenance de rames de tramway a été  inaugurée à Annaba. Le groupe CITAL est le fruit d’un partenariat franco-algérien auquel participe l’entreprise ALSTOM. De nombreux groupes, que ce soit Sanofi, Lafarge, Systra, Saint-Gobain et bien d’autres, sans compter les sociétés bancaires et d’assurance comme BNP Paribas et AXA, ont une présence forte et ancienne en Algérie. Un exemple en a été donné dès 2014 par l’accord entre le groupe algérien ECOREP et le groupe français Piriou pour la fabrication d’embarcations de pêche en acier et de bateaux de servitude. En 18 mois de travail avec son partenaire algérien, Pirou a monté une unité de construction et réparation pour mieux vendre en Algérie et attaquer le marché africain. La création d’une société mixte de production de gaz industriel, constituée du groupe industriel public national des industries métallurgiques, IMetal, et le français Air Liquide. une prise de participation par la société française Otech dans le capital social de l’entreprise  publique  Irragris,  filiale du groupe IMetal, spécialisée dans la fabrication de systèmes d’irrigation. Dans l’habitat : protocole d’accord entre la société française IBSE International -spécialisée dans l’ingénierie de programmes de logements – et le ministère algérien de de l’Habitat, de l’urbanisme et de la ville sur des garanties d’achat de la production d’IBSE (préfabriqués); IBSE est en effet porteuse d’un projet d’industrialisation de la production de logements en Algérie. Dans l’agriculture et l’élevage : protocole d’accord pour la constitution d’une société mixte en matière de semences céréalières et fourragères entre le groupe coopératif français Axéréal et l’Office algérien interprofessionnel des céréales; convention cadre de partenariat économique et d’appui technique à la structuration et au développement de la filière bovine algérienne entre SGP Proda et Onilev pour la partie algérienne et Interbev, association interprofessionnelle du bétail et des viandes, pour la partie française. Deux autres exemples de PME dont la mise en œuvre est actuellement en cours. La première est spécialisée dans les pompes hydraulique avec comme client Sonatrach, Valco du côté français et du côté algérien Poval qui négocient actuellement le pacte d’actionnariat. Le deuxième exemple, c’est celui d’une start-up IP3 qui a inventé une machine qui fabrique des plaquettes en carton et le Groupe Batouche que j’avais rencontré à Akbou, il y a un an. J’ai mis en relation les deux partenaires. Ils  ont signé un protocole d’accord au mois d’octobre dernier avec 6 mois d’initiation pour la création d’une joint-venture. D’autres protocoles d’accord seront, je l’espère signés lors du prochain Comefa prévu au mois d’octobre prochain

F.H

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