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Latifa Belarbi-Drij, Economiste et membre de Nabni , à Algérie-eco : « Notre système productif est le véritable problème »

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Le Gouvernement prend nombre de décisions qui peuvent être louables, mais l’enjeu stratégique est d’engager une réforme structurelle du système nationale de production, selon Latifa Belarbi-Drij qui a bien voulu répondre à nos questions dans cet entretien.

Le gouvernement parle d’un « nouveau modèle économique » et le président Bouteflika parle de « réforme incontournable ». Or, jusque-là, il n’a été question que de quelques mesures sectorielles. Ces mesures qui tombent en cascades valent –elles, selon vous, « un nouveau modèle économique », « une réforme » ?

Un « nouveau modèle de croissance » a été adopté en conseil des ministres, mais il n’a pas été rendu public. Quelle que soit la qualité des propositions de ce nouveau modèle, sa mise en œuvre reste un enjeu majeur parce que les capacités de l’Etat sont devenues très faibles. Il manque également une réelle volonté politique de mener des réformes ambitieuses. On peut regretter que les autorités n’aient pas réagi rapidement face l’ampleur de la crise. Sans doute pensait-on que le choc négatif sur le prix du pétrole était transitoire. Face à un déficit budgétaire devenu abyssale, les pouvoirs publics se sont retrouvés démunis. La cascade de mesures sectorielles comme vous dites n’a pas pris source dans une véritable stratégie globale, on a plutôt essayé de coller des rustines. Le flou qui transparaît dans les actions des pouvoirs publics est le résultat d’une part d’une absence de vision, d’autre part d’un vrai problème de communication et de transparence. Or dans une situation comme la nôtre, la transparence pourrait être un réel allié pour mener des réformes avec succès. Malheureusement, le simple fait que le nouveau modèle de croissance ne soit même pas rendu public montre que l’heure n’est pas à la transparence ou à des réformes de gouvernance, alors que ces dernières sont au cœur de la réussite de toute action publique.

L’accord auquel sont arrivés les membres de l‘Opep à Alger et qui va probablement être renforcé à Istanbul et Vienne, a provoqué une remontée des prix du pétrole. Une stabilisation du prix du pétrole à plus de 50 dollars ne va-t-elle pas enterrer les intentions de réforme exprimées par le Gouvernement ?

Tout d’abord, il faut saluer l’exploit auquel l’Algérie est parvenue, c’est remarquable et ça montre à quel point nous avons un potentiel pour peu que la volonté politique soit là. En fait, cet accord révèle un réel manque de volonté de la part des gouvernants de mener les « vraies » réformes. Cela fait 5 ans que NABNI, parmi tant d’autres, appelle à des réformes pour changer de modèle de développement, et le constat est amer. S’il y avait la même volonté de changer le paradigme sur lequel repose le développement de notre société que celle de faire remonter le cours du baril, nous n’en serions pas là. Selon les experts du secteur, au niveau international, il est peu probable que le baril remonte à plus de 70 dollars dans la décennie à venir. A court terme, il ne dépassera pas 60 dollars. Il est donc illusoire de compter sur une remontée du prix du pétrole pour résoudre notre problème budgétaire, et à terme un problème de balance des paiements. Nous devons bien avoir à l’esprit que nous n’avons pas le choix, nous devons réformer et le plus tôt possible.

La Loi Finance 2017 prévoit de nouvelles taxes et une augmentation des prix de plusieurs produits. Pourquoi le Gouvernement a choisi d’instituer de nouvelles taxes au lieu d’élargir l’assiette fiscale à travers des réductions, des facilités qui, elles se répercuteraient fort positivement sur le climat des affaires ?

La pression fiscale, mesurée par la fiscalité rapportée au PIB, ne dépasse pas 20% (c’est le cas dans toute l’Afrique du Nord). C’est le résultat :

  1. D’une fiscalité insuffisamment développée (il n’existe par exemple pas de fiscalité locale),
  2. D’un secteur informel très important (estimé entre 35 et 45% du PIB),
  3. D’une capacité fiscale réduite (capacité à collecter l’impôt),
  4. D’un problème de crédibilité des gouvernants et donc d’une évasion fiscale importante.

L’impôt repose donc sur un nombre limité d’instruments et un nombre réduit de contributeurs. NABNI dans son rapport « NABNI 2020 » a proposé une réforme profonde de la fiscalité, dont l’élargissement de l’assiette, mais également une fiscalité locale. Le problème est que cela prend du temps de développer la fiscalité, et cela prend d’autant plus de temps lorsque l’Etat n’est pas transparent. Les citoyens ne veulent pas payer plus d’impôts parce qu’ils ne savent pas ce que les autorités vont en faire. Tant qu’on ne bâtira pas une vision de l’avenir, avec des objectifs et une feuille de route clairs, il est illusoire d’espérer une coopération de l’ensemble de la société et créer une adhésion aux réformes.

L’accès au financement s, au foncier industriel reste, malgré les nombreuses promesses du Gouvernement, un obstacle majeur au développement de l’économie. Le Gouvernement n’arrive pas à apprivoiser l’administration et la Banque d’Algérie ou celles-ci obéissent aux injonctions du Gouvernement qui, au fond, ne veut pas de réforme sérieuse de notre économie ?

Vous parlez de plusieurs choses différentes dans une seule question. L’accès au foncier, l’accès au financement, l’efficacité de l’administration et l’indépendance de la Banque centrale. En ce qui concerne l’accès au foncier, les autorités projettent la création de 50 parcs industriels, plus d’un par Wilaya, et la décision d’allocation de terrain est maintenant du ressort du Wali. On peut se demander s’il est optimal d’avoir un parc industriel par Wilaya, l’industrie ne peut pas se répartir sur tout le territoire, pour des raisons d’efficacité économique et de spécificités régionales. Par ailleurs, la décentralisation de la décision d’octroi de terrains au niveau du Wali pose des problèmes de qualité de la gouvernance locale : le Wali concentre trop de pouvoir, et il n’y a pas de système de reddition des comptes. Là encore, NABNI a fait de nombreuses propositions dans son rapport 2020 . Nous avons également fait des propositions pour l’accès au financement, avec des réformes à même de moderniser le système bancaire et développer le marché financier. Les réformes tardent à venir. L’indépendance de la Banque Centrale est une vraie question, surtout avec la gouvernance publique actuelle. Pour ce qui est de l’administration, effectivement, elle peut être considérée aujourd’hui comme un véritable frein au développement. C’est toute la gouvernance qu’il faut réformer, nous avons fait des propositions concrètes à la fois dans le chapitre consacré à la Gouvernance dans le rapport 2020 , mais également dans un document sur la réforme de la Constitution. On peut déplorer que nos propositions n’aient pas du tout été prises en compte, c’était justement l’occasion d’ancrer dans la constitution des principes fondamentaux sur lesquels s’appuyer pour réformer l’Etat et ses institutions.

L’essentiel de ce qui est fait sur le plan économique a consisté, jusque-là, à limiter les importations. Limiter les importations est-il un gage de dynamisation de l’économie ?

La limitation des moyens de paiement des importations au Credoc s’est avérée être une erreur. Non seulement cela n’a pas permis de limiter les importations, mais cela a réduit la concurrence, et donc augmenté le coût des importations. Cela a procuré une rente aux banques étrangères, qui d’ailleurs ne jouent pas leur rôle dans le financement de l’investissement. Les licences d’importation ne sont pas non plus un bon moyen pour contenir les importations. Il existe d’autres instruments, comme le taux de change (dans ce domaine la banque centrale a plutôt fait son travail), et les tarifs douaniers. Il faut également cesser de subventionner des produits importés. Il faut développer l’économie nationale si l’on veut importer moins et surtout équilibrer le commerce extérieur, car il est normal d’importer : des biens intermédiaires entrant dans le processus de production, et des biens pour lesquels nous sommes moins compétitifs.

L’Algérie a longtemps tourné le dos à l’exportation à tel point que le ministre de l’industrie a déclaré que » nous ne savons pas exporter », y compris vers l’Afrique. Que faut-il faire pour rendre équilibré et performant notre commerce extérieur, notamment à l’endroit de l’Afrique ?

En 2000, nos exportations étaient composées à 97% environ d’hydrocarbures, 16 ans plus tard nous en sommes au même point, c’est dramatique. Par ailleurs, lorsqu’on examine la composition des 3% restants, on constate que plus de la moitié est constitué de dérivés d’hydrocarbures en réalité. Il ne s’agit pas tant de ne pas savoir exporter dans l’absolu (même s’il est vrai que nous n’avons que peu d’expérience dans le domaine, avec seulement 150 entreprises qui ont déjà exporté) mais de ne pas avoir grand-chose à exporter pour le moment. Notre système productif (industrie et secteur privé en général) est le véritable problème. Ceci s’applique aux exportations vers l’Afrique mais également vers d’autres régions du monde, l’Afrique étant un marché où la concurrence est rude. Pour diversifier l’éventail de nos exportations et augmenter leur volume, il faudrait un vrai plan Marshall qui passera par :

i) la mise en œuvre d’une stratégie de développement du secteur privé qui permettra justement l’augmentation et la diversification de la production nationale et suivie par la mise en place de mécanismes d’encouragement et de facilitation des exportations portant sur les aspects administratifs, douaniers, transports, standards de qualité, promotion des produits algériens à l’étranger, incitations aux exportateurs.

Nous ne pouvons reproduire ici l’ensemble de nos propositions, nous renvoyons les lecteurs vers le chapitre économie du rapport NABNI 2020 et ABDA qui présentent un ensemble complet et cohérent de politiques publiques pour diversifier notre économie, et donc nos exportations.

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