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La crise du pétrole, « une occasion à saisir pour lancer de nouvelles réformes dans les pays producteurs », William Lawrence

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INTERVIEW William Lawrence, expert en géostratégie et directeur associé spécialiste de l’Afrique du Nord au sein du cabinet de conseil en risques politiques, opérationnels et sécuritaires, Control Risks, répond aux questions d’Algérie-Eco sur les risques auxquels la région Moyen-Orient-Afrique du Nord (MENA) et l’Algérie doivent faire face en pleine crise du pétrole et les solutions qui s’offrent aux différents acteurs.

AE : Pensez-vous que l’accord signé à Doha mi-février entre le Qatar, l’Arabie Saoudite, la Russie et le Venezuela portant sur le gel des productions pétrolières peut endiguer la chute du prix du baril qui a depuis l’été 2014 perdu 70% de sa valeur ?

WL : C’est une démarche mais ce n’est pas suffisant, parce que l’Iran et l’Irak surtout n’ont pas signé. Pour moi, il faut voir cet accord comme une première tentative. C’est une bonne tentative mais qui ne résout pas le problème. Il faudrait beaucoup plus de coordination entre les pays pour arrêter la chute des prix ou bien pour stabiliser les prix et les faire remonter peu à peu.

Cela dit, je trouve cela extraordinaire quand je vois que les Saoudiens et les Russes qui ne sont pas de très bon amis, travaillent de cette manière. C’est un changement géopolitique. Et il y a des changements extraordinaires en ce moment concernant le Moyen-Orient et je crois que ces changements ne sont pas encore terminés. On va encore trouver de nouvelles alliances entre les pays.

L’Iran devrait, incessamment sous peu après trois ans d’embargo, se remettre à exporter. En matière d’hydrocarbures, il y a des rumeurs selon lesquelles la compagnie Total serait d’ailleurs déjà sur le coup. Est-ce que vous pensez que ce retour peut annihiler les tentatives pour revenir à un prix du baril élevé ?

On ne sait pas encore. Une chose est claire : c’est avec le temps que ce problème va se régler. Le prix du pétrole est très difficile à prédire. Il y a des risques dont nous connaissons la nature mais il y a aussi des risques de choc c’est à dire des risques que personne n’a prévu (climatiques, environnementaux, …). Il y a une chose qui est sûre, quand le prix baisse, normalement il se réduit de beaucoup plus que ce que les gens pensaient. Et quand le prix augmente, il a tendance à augmenter beaucoup plus que ce à quoi les gens s’attendaient.

Donc, il est très difficile de dire à quel point le prix va baisser. Il y a quelques années le prix du pétrole a atteint les 8 dollars le baril. Ca peut baisser encore.

Je ne suis pas sûr que l’on ait vu le plus bas prix. Les prix peuvent encore descendre. La plupart des experts disent que fin 2016 début 2017, on va avoir un prix qui va ré-augmenter. Ils pensent que le prix va atteindre les 60 dollars le baril, vers 2018. Mais en vrai on en sait rien, on ne peut pas prédire.

Pour votre cabinet de conseil, vous avez établit qu’un des quatre grands risques pour la région MENA pour l’année 2016 est la chute des prix du pétrole. Dans quelle mesure, en Algérie et pour l’ensemble de la région, cela devrait inciter les gouvernements, les administrations, les entités économiques à des changements à cause de la limitation de leurs budgets ?

Cela devrait les inciter à des changements ou bien à la considération de ces changements. Cela ne veut pas dire qu’ils vont agir, mais qu’ils doivent se poser la question « est-ce que c’est le bon moment ? est-ce que l’on doit faire certains changements ? ».

On ne peut pas savoir à l’avance ce que des gouvernements vont faire ou ce que la société va demander et tolérer en tant que changements.

Mais les pressions sur les gouvernements sont claires et les pays producteurs de pétrole et de gaz ont beaucoup de pressions. Mais le degré de pression dépend des pays. En Irak, on a neuf mois de réserves de devises. En Lybie, c’est entre 17 et 19 mois. En Arabie Saoudite c’est trois ou quatre ans. Pour l’Algérie, je sais pas, je dirais de trois à cinq ans mais je ne sais pas exactement. Même si les réserves sont pleines, il peut y avoir des problèmes de liquidités.

Et ces problèmes de liquidités peuvent entraîner des augmentations d’impôts, des taxes, …

Et des emprunts. Des emprunts qui ne sont pas mauvais mais qu’il faut bien investir. Si c’est pour consommer ou pour les investir ce n’est pas la même chose.

Il y a beaucoup de pression pour les pays producteurs, est-ce qu’ils vont faire ces changements ? On n’est pas sûrs. La chute des prix du pétrole est une occasion à saisir pour lancer de nouvelles réformes dans les pays producteurs de pétrole. Mais y a des problèmes administratifs dans les gouvernements producteurs de pétrole. Il y a des manques administratifs et des manques de capacité d’application. Par exemple, on peut décider d’appliquer une taxe et même passer une loi, mais il y a des problèmes de d’application et de surveillance de cette application.

Le grand enjeu, la grande question est de savoir : est-ce que les gouvernements des pays producteurs de pétrole vont saisir l’occasion de la chute des prix pour réformer ou non ? Et là, c’est pas clair si ça va se faire, dans l’ensemble des pays ou pas et à quelle vitesse. Aussi, si le prix du pétrole remonte rapidement, ça retirerai la pression pour les réformes. Si les prix restent en bas il y a plus de pression qui se prolongera pour faire les réformes nécessaires.

Dans l’idéal, pour profiter de la situation, quelles seraient les pratiques, les politiques qu’il faudrait mettre en place pour faire face à cette chute des prix, pour diversifier l’économie, pour se réorienter et s’ouvrir ?

Une bonne réponse prendrait trop longtemps parce qu’il s’agit de tout un programme économique pour un gouvernement. Dans la plupart des pays, il faudrait s’ouvrir à de nouveaux secteurs. Il y a des reflexes de protectionnisme dans les lois mais aussi dans les pays. Il y a des reflexes de souveraineté étatique. Ce sera difficile à faire. Il faut des changements de mentalité. Dans la plupart des pays arabes, les jeunes comprennent ça mais il faudra que les nouvelles élites et les jeunes technocrates montent dans les positions de pouvoir, dans les hiérarchies pour pouvoir appliquer ce genre de vision.

Est-ce que cette économie de l’ouverture est réellement un idéal qu’il faut atteindre ? Est-ce si néfaste de rester dans une économie à forte ingérence gouvernementale, nationalisée ou basée sur les richesses naturelles (que sont les hydrocarbures en l’Algérie) ?

Ca dépend ce que l’on fait. Si l’on compare les Emirats Arabes Unis et Oman. Le premier pays a fait les bons choix pour investir, pour que la population et que le pays profite de la richesse.

Le second a beaucoup de potentiel mais ils ne l’ont pas développé. Il faut dire aussi que les choix politiques ne sont pas automatiques et les leaders font face à certaines problématiques, certaines dynamiques qui sont plus ou moins identiques dans tous les pays. Est- ce qu’ils veulent faire des choix de court terme, pour leur succès politique de court terme ou est-ce qu’ils sont prêts à risquer tout, parfois même leur carrière politique pour engager des réformes structurelles et viser des objectifs à moyen ou long terme ?

C’est difficile pour les pays, notamment les pays producteurs de pétrole de privilégier le long ou moyen terme au court terme. Pour cela, il faut des leaders qui puissent porter cette idée et que la population voit les choses à long terme et pas à l’instant T.

Propos recueillis par Sarah Mechkour

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